UN SONDAGE DÉROUTANT :
FRANÇAIS ET RÉFORMES

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Olivier Passet (*)
Économiste
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C’est un sondage exclusif, révélé par Xerfi Canal : Quelles réformes veulent vraiment les français ? Les réponses montrent un
décalage saisissant entre la gravité des enjeux et les souhaits de la population.
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Jamais le capitalisme n’a été soumis à des questions existentielles aussi prégnantes. La crise Covid a accéléré la prise de conscience sur le fait que la mondialisation nous dirigeait droit dans le mur. Impasse climatique, impasse sur la mobilité des hommes et des marchandises, impasse sur les inégalités de revenus et de patrimoine, impasse sur la soutenabilité financière, impasse sur la sécurité… Tous les paramètres sont au rouge, avec, partout, la démocratie sous menace.

Et seule la morphine des taux zéro permet à ce stade d’acheter un peu de temps et d’insouciance. Le rendez-vous des présidentielles, qui est celui des grandes options en France, devra être à la hauteur de ces défis. Les Printemps de l’économie, qui se sont tenus du 12 au 15 octobre ne s’y sont pas trompé. « Bifurcations : l’heure des choix ». Les économies du monde, dont la France, ont rendez-vous avec l’Histoire. Soit le changement de cap est piloté, soit il sera subi et prendra un caractère catastrophique. L’occasion pour ses organisateurs de prendre le pouls de l’opinion sur de grandes options de politique économique, sur lesquelles les politiques devront se prononcer. L’opinion française est-elle prête à la radicalité que l’urgence semble nous dicter ? A première vue, non.

Le décalage est saisissant entre la gravité des enjeux et ce que la population est prête à mettre en œuvre pour faire dévier la trajectoire du Titanic. Si le programme idéal des Français devait être l’agrégat des réformes auxquelles ils se rallient très majoritairement (à plus de 70%), la montagne des défis accoucherait d’une souris. Oui à la réduction de notre dépendance à certains biens stratégiques (santé et composants), oui à la levée temporaire des brevets sur les biens de santé publique, oui à la salarisation des travailleurs des plateformes, oui au maintien ou au renforcement de notre politique d’exception culturelle. Oui enfin à une imposition minimale des multinationales supérieure ou égale à 15%.


Des opinions très fractionnées
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Seules les réformes circonscrites, dont le gain immédiat est bien perçu, emportent l’adhésion. À quoi répond le refus de toute réforme qui aurait un coût pour soi-même… où un coût mal réparti ? Les citoyens ne veulent pas de la double peine : avoir été les perdants d’une mondialisation qui a profité à un petit nombre, et devoir subir les coûts de déconstruction et de réparation du système.


Emblématique de cela, le refus de voir augmenter le niveau de la protection sociale dès lors que l’on rajoute à la question : « ce qui signifie plus de cotisations sociales ». Avec des fractures importantes au sein de la population qui dénote un fort déficit de solidarité intergénérationnelle. Adhésion des plus jeunes, encore outsider du marché du travail, et rejet massif des plus vieux, qu’ils soient CSP+ ou CSP–.  Refus tout aussi marqué de l’option opposée : « travailler plus », alternative au plus d’assistanat : oui pour des dépendants, jeunes ou seniors, non concernés directement, et refus massif des classes d’âge les plus actives. Le sang, la sueur et les larmes pour les autres, mais pas pour soi. Au « et de droite et de gauche » de Macron, répond le « ni de droite, ni de gauche » d’une population qui refuse toute idéologie.


Et les mesures les plus radicales face au changement climatique butent sur le même refus du consentement à payer. Le protectionnisme tarifaire pour limiter les importations, ou la taxe carbone aux frontières pour réduire les émissions planétaires de CO2, rencontrent un refus ou partagent l’opinion dès lors qu’il est mentionné que cela renchérira le panier de consommation. Ce qui frappe à travers les réponses, c’est le fractionnement des opinions, en fonction des intérêts propres à chaque catégorie et la défiance implicite qui traverse la société.


Aucun projet collectif ne s’esquisse


Emblématique de cela, la position des Français face à un démantèlement des GAFAM. On aurait pu penser que cette mesure, qui atteint l’hégémonie américaine, aurait rallié largement l’opinion. Mais c’est l’intérêt des utilisateurs qui prime. Dans ce contexte l’opinion tranche, sans excès d’ailleurs, en faveur de corrections à la marge : meilleure taxation, meilleur contrôle des données personnelles, autour de services qui font figure de bien commun.


Cette balkanisation des opinions, étanches à l’urgence, invite en première lecture à la politique des petits pas pragmatiques, arbitrés pour fâcher le moins possible, celle des équilibres d’orfèvre, des réformettes additives, sous-dimensionnées, qui veulent faire croire que les petits ruisseaux font les grandes rivières. L’idéal implicite serait une Merkel à la française, figure européenne qui est autant adoubée que son bilan est pauvre concernant tous les enjeux environnementaux et sociétaux qui menacent la planète et nos démocraties.


Évidemment, un programme, ce n’est pas l’agrégation de ce qui plaît au Français au cas par cas. C’est une cohérence d’ensemble. Ce qui apparait derrière ce sondage, c’est le déficit de projet fédérateur. Que vaut la réponse à un catalogue de réformes s’il n’est pas rattaché à une vision globale ? Faute de projet, l’électeur ira chercher l’intention cachée et inavouée qui sous-tend une proposition. Travailler plus pour enrichir quelques-uns, augmenter la protection sociale aux frais de la classe moyenne pour acheter la paix sociale. Et c’est tout le danger de cette période qui met le politique au défi de modifier en profondeur l’ADN du système. Face au projet clair du repli identitaire, d’un ordre ancien prospère aux vertus mythifiées, règne le déficit de sens : aucun projet collectif ne s’esquisse, pas même l’écologie, trop souvent perçue comme un catalogue de mesures punitives.

Pour lire les résultats du sondage vous pouvez suivre l’entretien d’Olivier PASSET en vidéo,

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(*) Olivier Passet est directeur de la Recherche chez Xerfi Canal.

Il a été économiste à l’OFCE (1989-2000), chargé de mission puis chef du service économique et financier international du Commissariat Général du Plan (2000-2006), chef du service Économie-Finances du Conseil d’analyse stratégique auprès du Premier Ministre (2006-2011) et conseiller au Conseil d’analyse économique (2011-2012).Il est aujourd’hui directeur des synthèses chez Xerfi, notamment en charge du suivi des politiques économiques et des mutations de l’appareil de production. Depuis 2014, il est également membre de la commission économique de la Nation.

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