LES ENJEUX DE LA DÉFENSE
ET
DE L’ARMÉE EUROPÉENNE

de Patrick Toussaint (*)
avocat spécialisé en contrats internationaux

Depuis plus d’un an, notre revue a publié de nombreux articles sur des sujets très différents. Mais, ce sont les problèmes de l’Europe et de sa Défense qui sont les plus nombreux, ce qui est normal (voir le Dossier Thématique : Europe de la Défense).

En effet, c’est devenu un problème majeur pour l’Europe qui est menacée par des ennemis puissants qui ne veulent surtout pas d’une Europe unie qui sont, à ce jour, principalement la Russie, la Chine et les Etats-Unis :

  • La Russie parce qu’elle perçoit l’Europe comme les alliés des Américains dans l’OTAN dont elle pense que ce sont des ennemis qui veulent porter atteinte à sa puissance,
  • La Chine parce qu’elle a décidée d’être la 1ère puissance mondiale et qu’elle définit sa puissance comme la faculté de soumettre tous les pays qu’elle peut atteindre et, surtout, leurs économies à l’économie ou aux décisions chinoises et que cela est plus facile et rapide à réaliser dans une Europe désunie – l’exemple de la Grèce et de l’Italie le démontre- et qu’elle se dote des moyens guerriers nécessaires pour avoir toutes les options en main pour y arriver,
  • Les Etats-Unis parce que d’une part, un marché de plus de 500 millions de riches consommateurs est nécessaire à l’économie américaine et qu’une Europe unie peut les gêner pour y avoir accès et d’autre part, parce qu’elle a besoin de vendre ses matériels militaires ruineux aux Etats européens qu’ils ne peuvent plus financer seuls pour ses propres besoins – l’avion F35 en est un parfait exemple- ce qu’elle fait à travers l’OTAN et, en conséquence une Europe unie ne peut que la gêner.

L’Europe, face à ces adversaires ne peut être crédible que si elle est économiquement unie et si elle est capable de riposter non seulement économiquement mais aussi militairement.

Malheureusement, les perceptions des alliés les plus proches et les plus importants de la France n’en sont pas conscient :

  • L’Allemagne a récupéré une économie florissante qui est devenue la première de l’Europe et qui est en train de retomber dans les travers qui l’ont conduite à ravager l’Europe à raison de trois guerres – 1866/1870, 1914/1918 et 1940/1945 pour affirmer sa suprématie- refuse maintenant toute politique économique et financière commune tout en réclamant la conduite de l’Europe et dans le monde, notamment à avoir ou à partager un siège avec la France au Conseil de l’ONU, trouvant aussi tout à fait normal que la dissuasion nucléaire française  la protège,
  • L’Italie, qui participé activement au déclenchement de la 2ème guerre mondiale et dont l’économie se développe grâce à l’Europe, revient à ses vieux démons du particularisme régional, de la recherche du profit d’où qu’il vienne des Etats-Unis dont elle est le bon élève ou de la Chine dont elle pense, à tort, que cela lui profitera,
  • La Pologne dont l’économie se développe grâce aux fonds européens, pour ses besoins civils mais aussi militaires afin de faire face à la Russie -son ennemi héréditaire- utilisant aussi les fonds européens pour acheter des matériels américains et ne participe à l’Europe que pour ses besoins financiers, considérant que sa sécurité ne dépendant que des Américains,
  • Le Benelux revient à ses tropismes habituels, la Belgique se partageant entre la France, les Pays-Bas, l’Angleterre et les Etats-Unis, les Pays-Bas vers l’Allemagne, l’Angleterre, les pays scandinaves et les Etats-Unis,
  • Les pays scandinaves ayant un tropisme les attirant plutôt vers l’Allemagne et les Etats-Unis.
  • Seule, l’Espagne garde une voie moyenne et coopère volontiers.

Ce tableau ne serait pas complet si l’on ne disait pas un mot des pays de l’Est dont la connaissance et l’habitude de la démocratie sont des plus limitées mais qui apprécient tout ce qui vient de partout du reste de l’Europe comme des Etats-Unis mais qui entendent néanmoins avoir leur mot à dire quant à la direction de leur manne.

Le plus curieux dans tout cela est que lorsque l’Europe se veut unie, elle fait pièce à ses adversaires et particulièrement aux Etats-Unis et tous ceux qui sont dans la zone euros ont apprécié la stabilité économique que cela leur procure.

A ces Etats peu enclins à s’unir, on peut se demander comment leur faire admettre les contraintes graves d’une défense commune.

Une défense commune implique en effet :

  • Des buts militaires et stratégiques communs,Quelle unité quand la Pologne et les pays de l’est restent axé sur la menace de la Russie, l’Allemagne considérant que c’est le vrai péril quand l’Italie est plus préoccupée par la Lybie, l’Espagne et la France plus vers l’Afrique et que l’Allemagne préfère la sauvegarde de ses industries et le bien-être de ses ressortissants à toute autre considération ?
  • Un cadre juridique commun, tant au niveau des organes décisionnels qu’au niveau des états-majors, des règles d’engagement définis par des instances autres que les pouvoirs politiques des états ce qui supposent des abandons de souveraineté importants alors que tous les pays, surtout les plus petits s’accrochent à la règle de l’unanimité dans les décisions à prendre pour avoir un droit de veto ,
  • Des moyens donnés par chaque Etat ce qui suppose aussi une certaine standardisation ou une importante communité alors que cela fera ressortir la différence entre les Etats dans leurs moyens militaires qu’ils ne peuvent pas financer seuls,
  • Des règles de fonctionnement et d’action communes en ce qui concerne les engagements, les combats donc l’entrainement, le commandement, la ou les langues communes, les règlements, la seule langue possible restant l’anglais dont le pays sort de l’Europe,
  • Un financement collectif ce qui suppose la définition de règles de répartition et la définition des clés nécessaires en fonction de critères admis par tous alors que la majorité des Etats dépendent des grands pays et alors que déjà plusieurs pays, l’Allemagne en tête refusent toute participation communautaire en matière financière,
  • L’acceptation d’une préférence européenne pour les acquisitions de matériels afin de pouvoir d’arriver à une meilleure standardisation ce qui posent de nombreux problèmes avec des économies aussi disparates et qui posent aussi le problème du maintien d’industries dans les pays les moins développés avec aussi des problèmes d’emplois dans ces pays, on pense notamment aux pays de l’est de l’Europe, à la Grèce également,
  • La participation à la logistique en fonction des scénarios d’engagement et des moyens mis à disposition étant donné que nombre de petits pays n’ont déjà pas les moyens financiers de soutenir leurs armées.

Cette liste est loin d’être exhaustive et il y aurait encore de nombreux points à traiter mais il en reste au moins trois qui sont essentiels.

Le premier concerne bien évidement le positionnement vis-à-vis de l’OTAN : on ne dit pas qu’il est incompatible mais qu’il nécessite une position commune avec l’accord de tous. On a vu plus haut combien ce problème est difficile si l’on parle de la Pologne, par exemple, à propos de laquelle on ne peut pas reprocher de compter plus sur les Etats-Unis que sur la France, l’Espagne, l’Italie ou le Benelux avec d’excellentes raisons découlant de l’histoire.

Pour les pays de l’est, l’assurance du reste de l’Europe peut leur paraître de n’être pas tout à fait suffisante, là encore, en fonction de l’histoire l’on pense notamment à la Tchéquie et à la Slovaquie.

Le positionnement de l’Europe unie face aux problèmes mondiaux n’est pas simple non plus même si de nombreux pays ont participé aux principaux conflits depuis la fin de l’URSS : Balkans, Afghanistan, Irak et maintenant Afrique mais le plus souvent sous couvert soit de l’OTAN, soit de l’ONU ou soit des Américains : qu’adviendra-t-il quand l’Europe devra intervenir en Afrique en RDC par exemple pour protéger les intérêts d’un pays de l’Europe qui en profitera le plus ?  Ou dans des pays asiatiques menacés par la Chine ou la Chine même alors qu’un ou plusieurs Etats de l’Europe concentrent de gros investissements chinois et que ces investissements sont vitaux pour l’économie de ces pays ?

Il reste aussi un grave problème qui ne semble pas avoir trop attiré l’attention des médias qui est le problème de la France.

Ce problème doit être résolu avant toute intégration, mais il ne semble pas que les dirigeants français, depuis bien longtemps, aient pris des positions claires à ce sujet, et qui est l’application de la dissuasion nucléaire française dans une Europe unie alors que cela parait plus relever de la schizophrénie : on est pour la Défense européenne, pour une armée européenne le plus intégrée possible alors que la dissuasion nucléaire  ne concerne que les intérêts vitaux de la France selon la doctrine  officielle.

La définition des intérêts vitaux propre à la France est déjà difficile mais que fait-on si l’Estonie est envahie par les Russes qui indiquent clairement qu’ils sont prêts à utiliser l’arme nucléaire pour garder leur conquête ?

Que fait la France si les Chinois, ayant investi massivement en Bulgarie, par exemple, font élire un gouvernement à leur botte qui exige de sortir de l’Europe, ce pays étant défendu militairement par la Chine qui déclare sa résolution absolue de soutenir cet Etat par tous moyens, le but étant bien clairement établi de faire sauter l’Europe unie ?

Est-ce un intérêt vital pour la France ? La réponse devrait être :  bien évidemment oui ! Mais alors la France prendra-t-elle le risque d’être le premier pays à déclencher le feu nucléaire qui plus est en Europe dont les effets se feront sentir sur une bonne partie de cet espace, avec le risque absolu de se faire vitrifier par une frappe massive chinoise ? Le risque est le même pour la France si elle frappe le territoire chinois.

L’objection classique est bien entendu : l’Europe agira alors sur un autre théâtre ou par un autre moyen, économique, par exemple, et forcera la Chine à partir mais on ne peut affirmer que cela sera suffisant. En tout cas, le risque est grand que la conclusion qui s’impose soit que la dissuasion nucléaire française est soit limitée à la France – ce qui est le principe même d’une dissuasion nucléaire nationale – soit inexistante.

Dernier point en passant, quel sera l’avis et le soutien des Français, premier point et, deuxième point, qui décidera de la frappe ? L’état-major européen ?

Il faut aussi savoir quelle sera la position d’une Europe de la défense unie face à la Grande Bretagne.

Cet dernier Etat est aussi hanté par ses vieux démons : puisqu’il n’est pas parvenu à transformer l’Union européenne en vaste marché de libre échange uniquement, il va pouvoir, de l’extérieur, reprendre sa politique des 17ème, 18éme et 19ème siècle qui lui a été si profitable pour son commerce : être l’arbitre de l’Europe en ne développant que des relations bilatérales avec chaque pays européen, tous ces pays européens étant nécessairement attirés par sa position financière indépendante, cette industrie financière étant toujours aussi réputée, devenant d’ailleurs la première au monde attirant les capitaux aussi bien européens qu’Américains grâce à ses relations privilégiées avec les Etats-Unis, devenant en quelque sorte la porte d’entré en Europe et le refuge pour les européens unis : Hélas ! Les temps ont changé.

 Et, malheureusement, la Grande-Bretagne et l’Europe ont besoin l’une de l’autre pour se défendre.

Dans la cacophonie existante, si l’Europe doit être unie, les enjeux sont nombreux et difficiles à régler.

(*) Patrick Toussaint

Avocat spécialisé en fiscalité, droit des sociétés et contrats sur le plan national et international.Auditeur de l’IHEDN, Lieutenant-colonel (H) diplômé ORSEM.
Directeur juridique d’espritcors@ire depuis 2012, Conseiller « international » et membre du comité de rédaction de ESPRITSURCOUF,

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