L’ESPACE,
UN MILIEU STRATEGIQUE
de Gérard Lepeuple
Expert en industrie d’armement
Au moment où se ferme le Salon du Bourget il nous a semblé utile de rappeler que le Bourget ce n’est pas seulement l’aéronautique mais aussi le spatial qui devient un élément incontournable de notre vie quotidienne et de notre défense. Dans des numéros précédents la Revue de Presse de Jacques Raimond fait régulièrement le point dans ce domaine et nous avons aussi publié 2 vidéos : « Espace un nouveau champ de bataille » et « L’espace un enjeu pour les armées ».
Le 21/06/2019 l’agence Reuters indique que quatre hauts diplomates ont déclaré : « L’OTAN envisage de reconnaître l’espace comme un domaine de la guerre cette année, (Sommet des 3 et 4 décembre à Londres) en partie pour montrer au président américain Donald Trump que l’alliance est pertinente et qu’elle s’adapte aux nouvelles menaces après avoir signé la création de la Space Force américaine ».
– le communiqué de l’agence REUTERS
– la rubrique Revue de presse
– Vidéo « Espace un nouveau champ de bataille »
– Vidéo « L’espace un enjeu pour les armées »
Il est
difficilement contestable que la disponibilité de systèmes spatiaux de
surveillance (observation et écoute) aurait radicalement changé la donne des
grands conflits du siècle dernier : l’effet de surprise, avantage
opérationnel majeur, caractéristique de ces opérations, aurait été très
difficile, sinon impossible, à obtenir. Quel aurait été alors le déroulement de
la 2è guerre mondiale ? Pearl Harbour aurait-il eu lieu ? Le
débarquement en Normandie aurait-il réussi ?
La France a marqué son intérêt pour l’observation spatiale à la fin des années
70, avec le programme SAMRO, satellite militaire de reconnaissance optique. Le
programme a été décidé après les événements survenus entre le Tchad et la Libye
à partir de 1978, au cours desquels tous les renseignements français sur les
dispositifs libyens provenaient des Key Hole
américains. Les faibles performances optiques de SAMRO, les contraintes
financières et le peu d’empressement des états-majors à consacrer des
ressources budgétaires à l’espace ont conduit à l’arrêt du programme en 1982.
Il a fallu attendre 1985 pour reprendre un programme militaire d’observation
spatiale avec Hélios.
La guerre des Malouines (avril 1982) a démontré l’intérêt du spatial militaire.
C’est en effet grâce à leurs satellites de surveillance que les États-Unis ont
pu informer les Britanniques des mouvements navals argentins. La guerre du
Golfe de 1991 a révélé toute l’étendue des services que le spatial pouvait
rendre en matière de télécommunications, de localisation et d’observation
stratégique. Aujourd’hui, les forces américaines sont devenues fortement
tributaires du spatial puisque même dans la guerre d’Afghanistan, pourtant dite
« de basse intensité », le spatial est vital pour leurs communications,
qu’il s’agisse de liaisons orales pour des directives, ordres ou comptes-rendus
immédiats, d’internet, de transfert de données, de planification et de conduite
des opérations centralisées hors du pays, de télé-pilotage de drones depuis les
États-Unis, etc.
Le spatial militaire est ainsi devenu un véritable « multiplicateur de
puissance ». Ses caractéristiques de permanence et de non-intrusion
donnent, à celui qui en maîtrise l’usage, un atout stratégique incomparable par
les avantages qu’il lui procure. Il peut aussi avoir un rôle stabilisateur, par
limitation, voire suppression totale, de toute attaque surprise d’envergure,
sous réserve évidemment que personne n’ait la possibilité d’annihiler cet
avantage. Il en résulte que plusieurs pays comme les États-Unis, la Russie et
la Chine cherchent à contrer cet avantage stratégique en se dotant de moyens
spécifiques pour contrôler l’espace. Cette question est d’autant plus
importante aujourd’hui qu’à moyen terme, les possibilités d’attaque de
satellites ne se cantonneront peut-être plus à l’orbite basse, d’ores et déjà
la plus vulnérable.
Les types d’armes antisatellites sont nombreux. On peut citer les armes à
effets mécaniques, les armes à énergie dirigées, les armes nucléaires même, les
satellites perturbateurs, etc. Le plus probable aujourd’hui relève de la
cyberguerre, pour brouiller les liaisons avec les satellites, donner de faux
ordres et leurrer le satellite ou la station sol. C’est la seule attaque qui ne
nécessite pas de moyens importants et de technologies avancées. Les systèmes
spatiaux sont potentiellement vulnérables aux attaques informatiques (déni de
service, virus, bombe logique, cheval de Troie…) ayant pour but la perturbation
du système (dysfonctionnement ou prise de contrôle du système), ou l’accès à
des données confidentielles ou critiques. Outre l’aspect espionnage, ces
techniques visent un déni de service en perturbant le fonctionnement du
système, mais elles ne cherchent pas nécessairement à l’endommager de façon
définitive. Il devient alors difficile, pour l’opérateur, de savoir s’il y a eu
panne passagère ou si le système a fait l’objet d’une agression.
Les moyens spatiaux, ont une utilisation de plus en plus intégrée aux
opérations, du plus haut niveau du commandement jusque sur les théâtres des
opérations. Il est donc impératif de pouvoir :
- accéder librement à l’espace,
- protéger ses moyens spatiaux pour assurer toutes les missions, dans la durée,
- savoir ce qui se passe pour être capable de réagir, et donc surveiller l’espace,
- intervenir, si besoin, pour conserver ses avantages.
L’accès libre à l’espace suppose d’abord de disposer en permanence
et sans contrainte d’une base de lancement et d’une gamme de lanceurs, des
légers pour les petits satellites en orbite basse, aux lourds pour les gros en
orbite géostationnaire. La France protège le site de Kourou et l’Europe y
poursuit ses investissements. Les décisions prises par l’Agence spatiale
européenne sur les suites à donner à Ariane 5, sur le petit lanceur Vega et sur
l’utilisation à Kourou du lanceur russe Soyouz donnent à l’Europe son autonomie
dans ce domaine, sous réserve que les tensions avec la Russie ne se traduisent
pas un jour par l’abandon de la filière Soyouz. On peut donc considérer
qu’actuellement, l’Europe s’assure du libre accès à l’espace et prévoit de
l’assurer à l’avenir.
La protection des moyens spatiaux
présuppose une analyse quasi exhaustive de leur vulnérabilité afin de bien
définir les mesures à adopter pour les « durcir » aux menaces les
plus réalistes, d’abord celles de la cyber guerre et tout particulièrement les
liaisons entre le sol et les satellites en orbite pour éviter le piratage, le
brouillage et l’intrusion informatique.
La surveillance de l’espace (origine
des satellites, performances, caractéristiques des orbites suivies, mouvements
orbitaux, débris…) a plusieurs finalités. C’est, d’abord, ne pas dépendre d’une
tierce puissance pour avoir une information claire et complète, non tronquée,
ni déformée de ce qui vole en orbite, en quasi-temps réel. C’est, ensuite, un
moyen indispensable pour évaluer les capacités spatiales de pays non-amis,
auxquels, peut-être un jour, on pourrait être confronté directement ou
indirectement. C’est, enfin, permettre de comprendre pourquoi un satellite est
devenu défaillant, savoir s’il n’a pas été agressé par un autre satellite
passant à « proximité », et pouvoir réagir en meilleure connaissance
de cause.
La surveillance spatiale se fait essentiellement depuis le sol et impose des
mesures à de très grandes distances. Le système de référence est le NORAD
(North American Aerospace Defense Command) des États-Unis. La France a
développé son système GRAVES (Grand Réseau Adapté à la Veille Spatiale) qui peut
suivre une bonne partie des objets en orbite basse et tout particulièrement les
satellites d’observation. GRAVES a permis de repérer des écarts avec les
informations figurant dans les catalogues américains en source ouverte.
Cependant, il ne permet ni un suivi complet des objets, ni leur
caractérisation. L’identification repose sur des échanges informels avec les
Allemands, qui possèdent un radar imageur capable de reconnaître des satellites
en orbite basse. Pour les objets en orbite lointaine, l’ESA dispose d’un
télescope performant installé à Ténériffe et le CNES utilise son télescope
ROSACE. Le ministère de la défense britannique a mis au point de quoi détecter
des objets de faibles dimensions placés en orbite géostationnaire.
La Commission européenne a souhaité aider les États membres de l’Union à mettre
en réseau leurs infrastructures de surveillance existantes dans le cadre du
projet « Space
Surveillance and Tracking » et l’ESA a lancé son programme
préparatoire de surveillance spatiale. Décidé en novembre 2008, il a surtout
cherché à tester des techniques de suivi et d’observation
des débris spatiaux à partir de prototypes. En 2016, il a été doté
de 95 M€ jusqu’en 2020 !
Intervenir dans l’espace peut
s’avérer nécessaire pour contrer les puissances adverses ou hostiles en cas de
nécessité. En effet, on ne peut laisser des troupes en OPEX préparer et
exécuter une mission militaire au vu et au su d’hostiles, soit par leurs
propres satellites d’observation, soit par l’intermédiaire de satellites
d’autres pays prenant fait et cause pour eux. L’intervention pourrait couvrir
plusieurs formes, de l’aveuglement temporaire des satellites d’observation
hostiles, à la « panne définitive », en passant par l’intrusion dans
la chaîne de contrôle du satellite pour lui interdire de « voir » ce
qui se passe sur le champ des opérations. Une cyberattaque !
En résumé :
- Autrefois, pour gagner une guerre, il suffisait de maîtriser le champ de bataille.
- Hier, il fallait aussi maîtriser les mers.
- Aujourd’hui, il faut en plus, peut-être même d’abord, maîtriser le ciel.
- Demain, il faudra maîtriser l’espace, c’est-à-dire, être capable, en toute indépendance, d’y aller, de l’exploiter, de le surveiller et de le contrôler, donc être capable d’y intervenir.
Propos tirés du livre « Réagir » (Chapitre III.4 Espace militaire), publié à la Société des écrivains, du même auteur Gérard Lepeuple. Le livre a été présenté dans la rubrique « LIVRES » du n°106 d’ESPRITSURCOUF du 5 mai 2019
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