Jeux d’influence
aux Nations-Unies

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Fanny Altobelli (*)
Journaliste stagiaire chez ESPRITSURCOUF
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L’invasion russe de février 2022 est un évènement capital, mais on sait que les tensions entre la Russie et l’Ukraine durent depuis 2014. Et depuis 2014, résolutions et sanctions se sont enchainées lors des assemblées générales des Nations-Unies. L’auteur y a analysé les votes des pays africains, qui traduisent de nouveaux équilibres.

 

Les pays africains sont à la recherche de partenariats fondés sur leurs intérêts, et leurs valeurs ne s’alignent pas toujours sur celles des États européens. Ils prennent peu parti entre les membres du Conseil de Sécurité de l’ONU qui possèdent un droit de véto.

A la fin des années 50, l’URSS a trouvé de nombreux partenaires en Afrique, en aidant notamment des pays africains dans leur lutte contre la colonisation et pour l’indépendance. En revanche le mouvement des pays alignés durant la Guerre Froide n’a pas permis de pérenniser les partenariats. Lors de l’implosion de l’URSS, Moscou a opéré un retrait brutal hors d’Afrique. Depuis le début des années 2000, le gouvernement russe tente une nouvelle approche de la région, avec une volonté de diversifier ses actifs hors de la zone européenne.

L’industrie extractive est la part la plus importante des ressources que le continent africain peut offrir, et en ce sens la coopération économique est à l’origine de nombreux accords et échanges. La Russie, elle, propose de l’armement et des accords militaires. Les principaux importateurs d’armes russes en Afrique sont l’Algérie, l’Égypte et le Mali. Lors du Sommet Russie / Afrique à Sotchi en 2019, Vladimir Poutine a déclaré « En Afrique, il y a de très nombreux partenaires potentiels qui ont de très bonnes perspectives de développement, avec un énorme potentiel de croissance ». 

Trois résolutions

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La résolution A/RES/68/262 de l’Assemblée générale des Nations unies adoptée le 27 mars 2014 est un document non contraignant, titré « Intégrité territoriale de l’Ukraine ». Elle est la réponse de l’ONU à l’annexion de la Crimée par la Russie, et vise à renforcer l’engagement de l’Assemblée générale des Nations unies concernant l’intégrité de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues. Cette résolution affirme notamment le caractère invalide du référendum du 16 mars 2014 dans la république autonome de Crimée et à Sébastopol, compte tenu de la non-reconnaissance de sa légalité par l’Ukraine.

À la suite de ce vote, certains observateurs ont qualifié les 25 États africains qui se sont abstenus ou qui ont été absents de « membres du Mouvement des non-alignés ». Un groupe que le premier dirigeant du Ghana indépendant a décrit comme représentant une Afrique qui « ne fait face ni à l’Est ni à l’Ouest ».

Le 2 mars 2022, la résolution ES-11/1 de l’Assemblée générale des Nations unies condamne « l’opération militaire spéciale » lancée en Ukraine par le Russie.. Elle déplore l’invasion de l’Ukraine et « exige que la Fédération de Russie cesse immédiatement de recourir à la force et s’abstienne de toute nouvelle menace ou utilisation illégale de la force », et « que la Fédération de Russie retire immédiatement, complètement et inconditionnellement toutes ses forces militaires du territoire de l’Ukraine à l’intérieur de ses frontières internationalement reconnues ».

Le 7 avril 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté  une résolution par laquelle elle suspend la Russie du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies en raison de la guerre que ce pays mène en Ukraine.

La Russie sur l’échiquier international

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Le fait qu’un peu moins de la moitié des pays africains n’aient pas voté en faveur de la résolution du 2 mars 2022 montre le besoin de diversifier leurs partenariats. En effet, l’Union Européenne a été considérée comme incohérente sur des questions telles que les guerres au Yémen et en Libye mais aussi sur l’équité en matière de vaccins et les restrictions de voyage en réponse au covid-19.

Tout d’abord, le Soudan a soutenu la Russie lors du conflit russo-géorgien, puis a voté à l’ONU en faveur de l’annexion de la Crimée. De nombreuses sources, dont la BBC et le service de sécurité ukrainien, ont indiqué qu’une société militaire privée russe intervenait au Soudan. Un accord-cadre Russie-Soudan a été signé en 2017. En 2022 le Soudan s’est abstenu. Le Soudan peut être vu comme un partenaire mais il n’est pas fiable. Tandis que l’Érythrée pourrait devenir, en revanche, un partenaire fiable. En septembre 2018, une délégation érythréenne, menée par le ministre des Affaires étrangères Osman Saleh, a rencontré le ministre russe des Affaires étrangères Sergey Lavrov à Sotchi. En 2014 l’Érythrée qui s’était abstenue en 2014, a voté contre toutes les résolutions en 2022.

Les relations entre la République centrafricaine et la Russie ont débuté lors du Forum économique de Saint-Pétersbourg de juin 2017. À cette occasion, les liens bilatéraux ont été renforcés, en particulier la coopération militaire. La vente d’armes a donc constitué une porte d’entrée pour le Kremlin en République centrafricaine. La République centrafricaine avait approuvé la résolution de 2014, mais s’est abstenue en mars 2022, et a voté contre la résolution d’avril.

Le Zimbabwe s’est abstenu lors des résolutions de mars 2022 et a voté contre les résolutions de 2014 et d’avril 2022, soutenant ainsi clairement la Russie. L’Algérie, partenaire traditionnel des russes, qui s’était abstenue lors des résolutions de 2014 et mars 2022, a voté contre en avril 2022 pour la résolution visant à suspendre la Russie du Conseil des droits de l’homme. Le Mali, nouveau partenaire russe, a également adopté la même posture que l’Algérie. Les coopérations avec des États comme le Mali se sont développées sous Vladimir Poutine, la Russie cherchant à regagner l’influence qu’elle avait en Afrique subsaharienne durant la période soviétique, notamment au Mali.

Ainsi, à travers les votes se dessinent les alliances. Pour autant la Russie n’est pas toujours soutenue comme elle pourrait s’y attendre. En 2014, l’Égypte s’était abstenue, et elle est depuis devenue un partenaire important de la Russie. En 2017, lors d’une visite du président Vladimir Poutine au Caire, l’Égypte et la Russie ont signé un accord pour la construction de la première centrale nucléaire égyptienne dans le nord-est du pays. Pourtant, en 2022 l’Égypte a voté en faveur des résolutions condamnant la Russie.

Le continent Africain compte un grand nombre de pays absents lors des votes à l’Assemblée générale des Nations Unies. Le Maroc est un grand absent des votes, il n’était présent à aucune des résolutions citées.

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(*) Fanny Altobelli est actuellement étudiante en Master 1 « Conflictualités et médiations » à l’Université Catholique de l’Ouest. Elle est diplômée d’une licence en Langues Étrangères Appliquées Anglais-Russe-Italien à l’Université Nice Côte d’Azur. Dans le cadre du programme de l’Université Franco-Russe, elle a participé à une année d’échange universitaire à l’Académie Russe de l’économie nationale à Moscou, et elle rédige un mémoire sur l’influence russe en Afrique de l’Ouest. En parallèle de ses études, elle poursuit l’apprentissage du russe et du mandarin et est co-présidente de l’association Initiatives Conflictualités et médiation. Elle fait un stage de journaliste chez ESPRITSURCOUF


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