Transport maritime français :
Une ambition nouvelle

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Jacques Gérault (*)
Préfet de région honoraire
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Dans un contexte de crises économiques répétées, face à des risques géopolitiques croissants, et après plusieurs décennies de déclin des ports français, la France doit se doter d’une stratégie d’approvisionnement résiliente en capitalisant sur le transport maritime. Telle est la thèse défendue par l’auteur qui, on le comprendra très vite, est un fin connaisseur du cercle plutôt fermé des armateurs français.

Alors que près de 90 % du transport mondial de fret se fait sur mer, le domaine maritime français est le 2ème mondial et s’étend sur tous les océans. Cette situation géostratégique unique peut permettre à la France de devenir une plateforme logistique mondiale. Mais elle doit comprendre que son transport maritime est un enjeu vital pour son indépendance au cours du siècle à venir.

Pour mieux appréhender les rouages de la logistique mondiale, il est essentiel d’en avoir une vision globale, en considérant les frets terrestre, maritime et aérien comme maillons d’une même chaîne logistique. Il devient évident alors que les ports, plateformes intermodales la terre et la mer, les flottes, vecteurs de la décarbonation du transport maritime, et les marins, acteurs de la logistique de demain, constituent les trois leviers d’une nouvelle stratégie maritime française.

Repenser les ports

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En 2020, 44 % des marchandises à destination finale du marché français étaient acheminées par voie maritime via des ports étrangers, principalement du Bénélux. Les grands ports français devraient pourtant constituer la principale courroie de transmission entre l’import-export français et ses clients et fournisseurs internationaux.

Or les ports français sont depuis plusieurs décennies en perte de vitesse par rapport à leurs concurrents européens. À titre d’illustration, au cours des dix dernières années, les trois ports de la façade atlantique – Dunkerque, Le Havre et Bordeaux – ont perdu 10 % en trafic total de marchandises, alors que Rotterdam et Anvers en ont gagné près de 20 %.  La France n’est aujourd’hui que la cinquième puissance portuaire européenne.

La baisse du trafic total de marchandises est sensible d’années en années dans le port du Havre. Photo Haropa port

Dès lors, pour qu’elle retrouve une place de premier rang dans le commerce international maritime, il convient de faire des ports français les hubs incontournables des marchandises européennes. À ce titre, l’exigence d’un continuum logistique, du premier au dernier kilomètre, fait du port le point névralgique des chaînes logistiques. Des investissements conséquents dans l’aménagement du territoire intérieur (hinterland) sont nécessaires. L’aménagement et le renforcement des réseaux ferrés et des voies fluviales sont une condition majeure de la compétitivité des ports français.

Des projets concrets de développement de ces infrastructures sont déjà en cours et leur réalisation doit être accélérée. À titre d’exemple, le contournement ferroviaire de l’agglomération lyonnaise (CFAL), prévu depuis 2008, se doit d’être finalisé pour inscrire le Grand Port Maritime de Marseille-Fos dans la compétition des ports méditerranéens. La consolidation de l’axe Marseille-Lyon créera les conditions pour établir une grande route d’approvisionnement du marché ouest-européen. De plus, l’aménagement du territoire passe par l’installation de nouvelles zones logistiques le long de la Seine et du Rhône permettant d’attirer des entreprises à forte valeur ajoutée et de développer ces axes fluviaux qui couvrent 50 % du territoire français.

Remise à niveau

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De surcroît, les ports, plateformes centrales des chaînes logistiques, nécessitent une remise à niveau de leurs infrastructures, en métropole comme en outre-mer, sur tous les plans : modernisation des infrastructures, évolution des modes de gouvernance, transition numérique et écologique.

En effet, alors que les outre-mer représentent une opportunité de déploiement sur tous les marchés mondiaux, les infrastructures portuaires accusent un retard de développement par rapport aux concurrents régionaux. Dans un contexte d’intensification des échanges à l’échelle régionale et mondiale, un grand plan de modernisation des ports s’impose afin de faire de l’activité logistique un tremplin pour l’économie des outre-mer. Les portiques devraient être rénovés ainsi que les tirants d’eau réadaptés à la taille croissante des navires. Les zones logistiques des enceintes portuaires devraient également être systématiquement élargies pour offrir davantage de services aux compagnies maritimes.

Quand les porte-conteneurs grossissent en taille, il faut adapter les portiques de déchargement. Photo marfret.fr

La gouvernance des ports constitue également un levier pour optimiser ces travaux et les priorités de développement. Ainsi, en outre-mer, les acteurs privés devraient systématiquement siéger dans les conseils de surveillance portuaires pour consolider les orientations stratégiques des ports. Les grands ports maritimes de métropole devraient aussi devenir des centres de supervision logistique intégrés, avec une représentation équilibrée des parties prenantes (monde de l’entreprise et administration) pour soutenir la construction d’un continuum logistique.

Enfin, les transitions numériques et écologiques constituent des moyens de compétitivité pour les ports français, en fluidifiant d’une part le continuum logistique, du premier au dernier kilomètre de la chaîne, et en décarbonant d’autre part l’ensemble des échanges, permettant d’entrer en conformité avec les règlementations internationales. Ainsi, la mise en place de branchements électriques à quais dans tous les ports français est un impératif à la décarbonation des navires. En l’absence de ces branchements adéquats, les navires continueront à laisser tourner leurs moteurs thermiques en permanence dans les ports pour générer leur électricité de  bord… 

La flotte

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La flotte marchande constitue le deuxième pilier de la stratégie française d’approvisionnement. Bien qu’elle ne se situe qu’au 27ème rang des flottes mondiales en termes de taille du pavillon, elle doit relever le défi de la décarbonation du transport maritime.

La marine marchande s’est engagée à poursuivre les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effets de serre fixés par l’Organisation Maritime Internationale et le Pacte Vert de l’Union européenne. Toutefois, les surcoûts impliqués pour la transformation des navires, estimés à 15 à 20 % du prix originel, impliquant la R&D et la disponibilité des carburants alternatifs, nécessitent une vision publique-privée de l’enjeu.   

Dès lors, l’État devrait tout d’abord considérer la décarbonation du transport maritime comme une politique publique prioritaire, impliquant la mise à disposition de fonds publics dédiés, ainsi que de structures de R&D spécifiques. Le fléchage de crédits tout au long de la chaîne de valeur d’un navire, allant des nouveaux carburants au réseau de distribution ainsi qu’à la transformation des cuves, pourrait être complété par la mise en place de pôles de compétitivité dans les territoires côtiers, afin de renforcer les synergies entre organismes de recherche publics et privés.

La puissance publique doit, de surcroît, veiller à décarboner le transport maritime sans pour autant entraver la compétitivité de ses acteurs et de ses chaînes d’approvisionnement. À ce titre, les mécanismes de quotas d’émissions de CO2 applicables aux compagnies maritimes au niveau européen en 2023 ne devront pas établir de concurrence déloyale avec les acteurs extra-européens.

Les marins

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Le renforcement stratégique de la flotte française passe enfin par le troisième pilier, celui du capital humain. Outre les enjeux du dumping social vis-à-vis des concurrents européens et extra-européens, les marins français doivent être plus nombreux et mieux formés. Il est en effet hautement stratégique pour la France de garder un nombre conséquent de navires sous pavillon français et cela implique une formation à la hauteur des ambitions.  

Quand les porte-conteneurs grossissent en taille, il faut adapter les portiques de déchargement. Photo marfret.fr

Dans un environnement de compétition déloyale menée par certains pavillons européens et extra-européens, la France doit veiller à maintenir la compétitivité des emplois de la filière, en protégeant les salaires des marins français. Une politique d’harmonisation sociale, a minima au niveau européen, en attendant une concertation mondiale au niveau de l’OMI (Organisation Maritime Internationale), doit être portée par les instances françaises dans les organismes internationaux.

De plus, pour soutenir un pavillon français adapté aux enjeux logistiques actuels, l’Etat doit faire la promotion des emplois du transport maritime, en formant davantage de marins, initialement mais également tout au long de leur carrière. Puisqu’un navire nécessite l’emploi d’officiers francophones pour battre pavillon français, les promotions d’officiers de l’École Nationale Supérieure Maritime (ENSM) doivent à ce titre être plus nombreuses, et ce dans les plus brefs délais, alors que le doublement des promotions n’est prévu que pour 2027.

Parallèlement, les formations aux métiers logistiques et portuaires doivent être encouragées par davantage d’apprentissage ou de passerelles inter-secteurs. La formation continue des acteurs du transport maritime et de la logistique nécessite enfin une pleine coopération entre les compagnies maritimes et logistiques, et les établissements d’enseignement supérieur pour renforcer les synergies.

En conclusion, il est primordial de lancer une stratégie claire et cohérente de compétitivité logistique, qui permettra aux entreprises françaises de mieux exporter, aux compagnies maritimes de davantage s’orienter vers les ports français, et aux consommateurs de gagner en pouvoir d’achat. L’engagement ferme et durable de l’État à soutenir le déploiement de cette stratégie est la condition d’un gain de compétitivité économique, de souveraineté nationale et de résilience des approvisionnements français. Pour cela, l’État et les grands acteurs de la filière doivent porter ensemble cette vision à long terme.

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(*) Jacques Gérault, diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, de l’ENA, titulaire d’une maîtrise de droit et auditeur de l’IHEDN, est un haut fonctionnaire qui a effectué une carrière complète dans la préfectorale. Successivement sous-préfet, préfet, préfet de région, il a été directeur de cabinet de cinq ministres différents et directeur des affaires publiques du groupe Areva. Aujourd’hui préfet de région honoraire, il est conseiller institutionnel du groupe CMA-CGM.


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