Changements climatiques
et foyers de conflits

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Marine de Guglielmo Weber

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Enseignante-chercheuse au sein du pôle Climat, Energie, Sécurité de l’IRIS, Marine de Guglieno Weber a tenu une conférence en ligne, en juin dernier. Hélène Senecot en rapporte ici la quintessence.
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En 2022, les changements climatiques ont engendré des événements météorologiques extrêmes à travers le monde. Ces phénomènes ont aggravé les fragilités existantes, provoquant des tensions politiques et socio-économiques dans des pays déjà instables. Les populations vulnérables ont été particulièrement affectées, leurs moyens de subsistance, des déplacements massifs, la déstabilisation des États et un risque accru de conflits violents. Cette situation crée un cercle vicieux où les impacts sécuritaires nourrissent davantage la vulnérabilité des populations.

Depuis son lancement en décembre 2016, l’Observatoire Défense et Climat, au service du ministère des Armées et en collaboration avec la DGRIS (Direction générale des relations internationales et de la stratégie.), se concentre sur l’étude des enjeux liés au climat et à la défense. À travers des scénarios prospectifs et des analyses thématiques, son objectif est de mettre en évidence les impacts des changements climatiques dans différentes zones géographiques et d’examiner comment ils se connectent aux enjeux de défense et de sécurité.

Au cours de leur webinaire, Marine de Guglielmo Weber et ses collaborateurs ont présenté les conclusions de leur analyse des conséquences du réchauffement climatique dans une perspective de sécurité. À travers des réflexions prospectives et stratégiques, ils ont cherché à évaluer dans quelle mesure ces changements pourraient agir comme multiplicateurs de conflits.

UNE ÉTUDE MONDIALE À TRAVERS L’EXEMPLE DE QUATRE RÉGIONS PARTICULIÈREMENT SENSIBLES

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Pour mener à bien cette étude, une méthodologie précise a été adoptée. Deux indicateurs pays considérés, comme les plus fiables sur le sujet, ont été compilés. D’un côté, le Notre Dame Global Adaptation Index, établi par l’université Notre Dame, mesure la résilience de chaque pays face aux changements climatiques. De l’autre côté, le Global Peace Index évalue le niveau de paix de chaque pays. En croisant risques climatiques et conflictuels, les chercheurs ont pu exclure certaines zones qui ne correspondaient pas à l’objectif de ce rapport.

Dans la mesure où ce travail se place à l’échelle mondiale, la difficulté pour les chercheurs a été de prendre en compte la diversité des espaces qui composent le monde et d’en tirer les grandes tendances sans se perdre dans les détails. Ainsi, les zones qui n’étaient pas sensiblement touchées par ont été écartées.

En plus de la vulnérabilité climatique et du niveau de conflits actuels, les intérêts des forces armées françaises ont également été pris en considération. Ainsi, quatre grandes régions géographiques ont été privilégiées dans cette étude : l’Afrique de l’Ouest, centrale et de l’Est ; le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord ; l’Asie du Sud-Est et le Pacifique Ouest ; l’Amérique latine.

L’INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE : LE PROBLÈME SÉCURITAIRE MAJEUR

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Avec le réchauffement climatique (entre 1970 et 2020, les températures ont augmenté d’un demi-degré), ces quatre zones sont confrontées à un problème majeur : la raréfaction des ressources naturelles et la précarisation importante des moyens de subsistance.

L’Afrique est le continent le plus exposé et le plus vulnérable face au manque d’eau et de denrées alimentaires. En 2021, 278 millions de personnes souffraient de la faim en Afrique, et cette situation ne montre aucun signe d’amélioration.

De son côté, le Moyen-Orient est confronté à une pénurie d’eau critique qui a des conséquences directes sur la production agricole et la disponibilité générale des ressources. En Asie, où l’agriculture dépend largement de l’irrigation, plus de la moitié de la population souffre de malnutrition. Au-delà de l’aspect humain, ce problème met également en danger le secteur touristique, qui est un pilier économique essentiel dans ces régions.

Cependant, le principal souci de cette situation réside dans l’aggravation des conflits. Marine de Guglielmo Weber et les autres experts ont identifié trois principales conséquences sécuritaires majeures résultant de l’insécurité alimentaire. 

Tout d’abord, les conflits internes deviennent courants car la compétition pour l’eau et les terres agricoles s’intensifie. Cela a été notamment le cas lors du conflit au Darfour en 2003, qui était en partie causé par des tensions entre agriculteurs et éleveurs, et qui ont repris récemment. Ensuite, les tensions entre États s’exacerbent, car la pression climatique sur les ressources alimentaires et hydriques favorise la compétition pour les bassins fluviaux transfrontaliers, comme c’est le cas entre l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie qui se disputent les eaux du Nil. Au Moyen-Orient, la majorité des États de la région partagent également leurs ressources en eau avec au moins un de leurs voisins. Enfin, il y a l’exploitation de la précarité de la population par des groupes armés non étatiques, qui se servent du mécontentement des populations et de l’impuissance des États, pour se propager et recruter. Leur attractivité repose sur la sécurité physique et économique qu’ils prétendent offrir.

D’AUTRES FACTEURS D’EXACERBATIONS

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En dehors de l’insécurité alimentaire et de la diminution des ressources hydriques, il existe aussi des particularités, notamment pour l’Asie du Sud Est et l’Amérique Latine, qui ne font qu’intensifier les phénomènes de tensions.

Dans la région de l’Asie du Sud-Est et du Pacifique ouest, les chercheurs ont principalement souligné les questions territoriales, en particulier les modifications que le réchauffement climatique pourrait entraîner. Il existe déjà une forte incompatibilité entre les revendications des trois puissances nucléaires de la région : la Chine, l’Inde et le Pakistan. Le changement climatique risque d’exacerber ces antagonismes. Par exemple, la région du Cachemire est une zone de tensions territoriales majeures entre la Chine et l’Inde. La fonte des glaciers dans l’Himalaya peut avoir des implications, notamment en ce qui concerne les questions liées à l’eau, comme la perturbation du débit des cours d’eau transfrontaliers. Ce problème se retrouve partout dans le monde, mais dans le contexte spécifique de la région, il pourrait prendre de l’ampleur et conduire à de véritables actes d’intimidation militaire.

Un autre problème est celui des phénomènes de submersion progressive. Ces transformations frontalières pourraient conduire à une exacerbation des revendications territoriales et à une remise en question des frontières et du droit international. Ce dernier repose en partie sur des éléments naturels tels que des rochers ou des lignes de côte. Avec le changement climatique, l’élévation du niveau de la mer pourrait modifier ces repères juridiques.

Quant à l’Amérique latine, le déplacement massif des populations y est un facteur destructurant. L’exode massif de millions de personnes est déjà bien documenté, notamment à la frontière entre le Venezuela et la Colombie. Mais le changement climatique aggrave cette situation. Avec l’insécurité alimentaire, les migrations sont plus fréquentes, en particulier parmi les éleveurs qui se déplacent pour s’adapter aux changements de météo et de climat. Sur le plan de la sécurité, cela pose de nombreux problèmes. Cela offre des recrues bon marché aux réseaux armés de la région et favorise la généralisation de la xénophobie. On observe ce phénomène dans la population colombienne à l’égard des Vénézuéliens, mais aussi au sein de la population nord-américaine vis-à-vis des personnes.

(*) Hélène Sénécot, diplômée à la Sorbonne d’une double licence en Histoire et en Anglais, est étudiante en Master Histoire – Relations internationales dans le parcours Sécurité et Défense à l’Université Catholique de Lille. Elle est l’auteur d’un mémoire de recherche sur les relations entre la Russie et l’Asie centrale.

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