Europe – Afrique
Un « New Deal »
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Ramona Bloj (*)
Fondation Robert Schuman
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Le 6ème sommet entre l’Union Européenne et l’Union Africaine s’est tenu à Bruxelles les 17 et 18 février dans un silence assourdissant. Il est vrai que la crise en Ukraine et les péripéties de la campagne électorale en France n’ont laissé à l’évènement que très peu de place dans le contenu de nos journaux. Cependant, avec l’aide de Lina Ricci et Melina Giraud, l’auteur en profite pour dégager quelques chiffres et quelques réflexions qu’il est bon de connaitre.
Les chefs d’État et de gouvernement se sont déplacés en masse, vingt-sept européens et cinquante-cinq africains. Ils ont débattu de thèmes comme le financement de la croissance, l’avenir des systèmes de santé, la production de vaccins, l’agriculture, l’éducation, la formation professionnelle, la culture, l’immigration, la mobilité, le soutien au secteur privé et l’intégration économique, la gouvernance, la paix, la sécurité, le changement climatique et la transition énergétique.
L’axe afro-européen est l’une des priorités affichées de la Présidence française en Europe. Emmanuel Macron a annoncé en décembre 2021 sa volonté de créer un « New Deal » avec le continent africain, afin de relancer son économie, qui connaît sa première récession depuis vingt-cinq ans. L’Union européenne estime à « 300 milliards d ’ euros de financement » l’aide dont l’économie africaine aurait besoin entre 2020 et 2025 pour faire face aux effets de la crise sanitaire. Le sommet a été le coup d’envoi de l’initiative européenne annoncée le 1er décembre 2021, « Global Gateway » (littéralement « la porte du monde ») qui concrétise la volonté de constituer une Europe géopolitique bâtie sur des volets de puissance autres que le « hard power ».
Sous les effets de la crise sanitaire
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Les économies des pays d’Afrique ont été durement touchées par la crise sanitaire. Une étude publiée en décembre 2020 par la Banque africaine de développement estimait que le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté en Afrique a augmenté de 30 millions en 2020. Selon le FMI, le PIB de l’Afrique a crû de 3,7% en 2021, après une contraction de 2,1% en 2020. Mais la relance reste entravée par de faibles taux de vaccination : 11,2% de la population a reçu un schéma vaccinal complet contre le Covid-19 et 16,5% au moins une dose de vaccin. Selon les estimations du Fonds monétaire international revues le 25 janvier 2022, l’économie de l’Afrique subsaharienne devrait connaître une croissance de 3,7% en 2022, mais les chiffres cachent des disparités importantes entre pays : les prévisions de croissance sont de 7% pour le Rwanda, 6,5% pour le Bénin mais seulement 2,7% pour le Nigéria. Le Ghana, la Côte d’Ivoire et le Sénégal devraient renouer avec les taux de croissance pré pandémiques. Alors que le prix du pétrole continue d’augmenter, deux des plus grandes économies du continent, l’Angola et le Nigéria, pourraient en profiter, bien que l’instabilité sécuritaire au Nigéria, comme le haut niveau de la dette de l’Angola, présentent des risques d’instabilité.
La crise sanitaire a entraîné également l’augmentation de l’endettement : le ratio dette publique/ PIB est de 65% en 2021, taux le plus haut depuis vingt ans. Il dépasse 100% dans certains pays dont le Mozambique, l’Angola, le Soudan et le Zimbabwe. Face à des difficultés de remboursement, l’Éthiopie, le Tchad et la Zambie s’étaient portés candidats à une restructuration de leur dette. Une trentaine de pays avaient bénéficié d’un moratoire sur le service de leurs dettes jusqu’à fin 2021.
À ces tendances macroéconomiques s’ajoute le contexte démographique. Selon les Nations Unies, la population de l’Afrique subsaharienne devrait doubler d’ici 2050. Cinq des neufs pays qui vont compter pour plus de la moitié de la croissance de la population mondiale se trouvent en Afrique. Si les défis pour les objectifs de développement sont de taille, allant de l’éradication de la pauvreté à l’accès aux soins et à l’éducation, l’augmentation rapide de la population en âge de travailler pourrait contribuer à l’accélération de la croissance économique.
Priorités de la relation Europe-Afrique
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Le fait que la première visite officielle d’Ursula Von der Leyen en tant que présidente de la Commission européenne en 2019 ait eu lieu à Addis-Abeba, siège de l’Union africaine, témoigne de la volonté européenne de renouveler le partenariat avec ce continent, mais aussi d’y répondre à la présence de plus en plus importante de la Chine et de la Russie. La communication publiée en 2020 « Vers une stratégie globale avec l’Afrique » identifie cinq axes prioritaires de coopération, qui structureront les échanges pendant le Sommet : un partenariat pour une transition verte et l’accès à l’énergie, un partenariat pour la transformation numérique, un partenariat pour une croissance et des emplois durables, un partenariat pour la paix et la gouvernance, un partenariat en matière de migration et de mobilité.
L’Union européenne, donc ses états membres, est le principal bailleur de fonds des pays en développement. En 2019, son aide s’élevait à 75,2 milliards d’euros, représentant 55,2 % du total de l’aide mondiale. En 2020, l’aide publique au développement représentait 0,50 % du RBN européen et elle devrait atteindre 0,70 % à l’horizon 2030, ce qui est bien supérieur aux montants consacrés par les États-Unis (0,18%), et à la moyenne des pays contributeurs (0,21%). Dans le cadre financier pluriannuel 2021-2027, l’instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (IVCDCI), qui réunit l’ensemble des instruments existants, est doté de 79,5 milliards €, dont 29,2 consacrés à l’Afrique subsaharienne.
La coopération au niveau du bassin méditerranéen a occupé une large place des discussions. S’il existe des partenariats dans plusieurs secteurs, tels que l’automobile et l’aéronautique, la part de l’Union européenne dans les échanges a diminué dans tous les pays d’Afrique du Nord, passant de 67 % à 53 % pour les exportations et de 55% à 39 % pour les importations entre 1999 et 2019. Conséquence : l’Union européenne a été devancée par la Chine et l’Inde comme premier partenaire commercial de l’Afrique.
Changement climatique
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Malgré sa contribution très marginale au réchauffement de la planète, le continent africain est l’une des zones les plus vulnérables face au changement climatique, qui pourrait avoir des effets catastrophiques sur la sécurité alimentaire et les écosystèmes. En 2009, lors de la conférence de Copenhague sur les changements climatiques, les pays les plus développés s’étaient engagés à mobiliser 100 milliards de $ par an jusqu’en 2020 pour la lutte contre le réchauffement : ce montant n’a jamais été atteint ! Les Nations unies estiment que les pays en développement auront besoin de près de 300 milliards de dollars chaque année d’ici 2030 pour des mesures d’adaptation au changement climatique.
L’Union européenne, qui essaye de prendre la tête de la lutte pour le climat, n’a pas avancé de chiffres précis pour son aide, mais s’est engagée à soutenir l’Afrique dans sa transition afin de promouvoir des trajectoires durables vers la neutralité climatique.
Les dirigeants ont également réaffirmé leur attachement à la pleine mise en œuvre de l’accord de Paris. Ils ont reconnu que la transition énergétique de l’Afrique est vitale pour son industrialisation et pour combler l’écart énergétique. Ils ont apporté leur soutien à l’organisation de la COP 27, qui se tiendra en novembre à Charmel-Cheikh, en Egypte, où l’accès à l’énergie et le développement des sources décarbonées seront une préoccupation majeure. 48% de la population totale du continent n’avaient pas accès à l’électricité en 2020, selon l’Agence internationale pour les énergies renouvelables. Le potentiel pour le développement des énergies propres, notamment le solaire photovoltaïque « hors réseau », c’est-à-dire individuel, encouragé par la rapide numérisation du continent, est pourtant énorme.
Vaccins
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Si Ursula Von der Leyen a écarté la possibilité d’une levée des brevets sur les vaccins, elle a souligné que l’Union européenne avait fait des propositions pour faciliter l’utilisation des licences « volontaires » ou « obligatoires » et qu’elle « investit pour augmenter la capacité de production en Afrique, avec plus d’un milliard d’euros engagés dans cet effort ». Le premier défi pour le partenariat conclu consiste à assurer un accès juste et équitable aux vaccins. Les dirigeants sont convenus de soutenir les mécanismes locaux et régionaux de passation de marchés, ainsi que l’attribution et le déploiement de produits médicaux. L’UE a réaffirmé sa détermination à fournir à l’Afrique au moins 450 millions de doses de vaccin, en coordination avec la plateforme de l’équipe spéciale pour l’acquisition de vaccins en Afrique (AVATT), d’ici la mi-2022.
En mettant plus de 3 milliards de dollars (soit l’équivalent de 400 millions de doses de vaccin) à la disposition du mécanisme COVAX et des efforts de vaccination sur le continent africain, l’Équipe Europe contribue à cet objectif. Elle met 425 millions d’euros pour accélérer le rythme de la vaccination et pour soutenir la distribution efficace de doses ainsi que la formation des équipes médicales, l’analyse et le séquençage. Forte des enseignements tirés de la crise sanitaire actuelle, elle a affirmé sa détermination à soutenir la souveraineté à part entière de l’Afrique en matière de santé, afin que le continent soit en mesure de réagir aux futures urgences de santé publique.
En marge du sommet, l’Organisation mondiale de la santé a annoncé quels seront les six premiers pays à recevoir la technologie nécessaire à la production de vaccins à ARN messager sur le continent africain: l’Égypte, le Kenya, le Nigeria, le Sénégal, l’Afrique du Sud et la Tunisie.
Global Gateway et présence russe et chinoise
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En décembre 2021, la Commission européenne lançait Global Gateway, « la nouvelle stratégie européenne visant à développer des liens intelligents, propres et sûrs dans les domaines du numérique, de l’énergie et des transports et à renforcer les systèmes de santé, d’éducation et de recherche dans le monde entier ». Vu par de nombreux experts comme la réponse européenne aux Nouvelles Routes de la Soie chinoises, un premier projet d’investissement d’un montant de 1,6 milliard € sur cinq ans a été annoncé le 9 février 2022 au Maroc pour des projets d’énergie verte, et plus de 150 milliards d’euros d’investissements dans le cadre du programme régional Europe-Afrique.
Le « Global Gateway » sera au centre des investissements que le sommet Europe-Afrique a identifié. Questionnée sur la dimension géopolitique de l’initiative européenne, visant à contrer l’influence russe et chinoise en Afrique, la présidente de la Commission a déclaré que « les options d’investissement en Afrique ont trop souvent des coûts cachés. Les coûts financiers, politiques, environnementaux et sociaux sont parfois très lourds. Ces options créent souvent plus de dépendance que de liens réels ». En effet, depuis le début des années 2000, et plus particulièrement après 2014, la Russie a continué à accroître son influence en
Afrique, notamment en Afrique subsaharienne, dans des domaines économiques, militaires et sécuritaires. Entre 2014 et 2020, dix-neuf accords de coopération militaire ont été signés entre différents pays du continent africain et la Russie ; le premier sommet Russie-Afrique s’est tenu en octobre 2019 à Sotchi.
Quant à la Chine, si ses investissements sur le continent africain connaissent un certain ralentissement, selon la Direction générale du Trésor, Pékin reste le principal créancier de l’Afrique subsaharienne. En 2020, la Chine détenait 62,1 % de la dette externe bilatérale africaine. Toutefois, les conditions d’allocation des prêts concernant les clauses de conditionnalité liée aux emprunts, comme le rôle des entreprises chinoises qui laisse peu d’opportunités aux acteurs locaux, la sélection peu transparente des projets ou l’endettement des pays participants ne sont souvent pas soutenables. Par ailleurs, la Chine étend son empreinte sécuritaire en Afrique, et sa première base militaire à l’étranger, qui a surtout pour rôle de protéger les entreprises chinoises, se situe à Djibouti !
Plus particulièrement, comme le soulignait Achille Mbembe (universitaire, historien et politologue camerounais), la compétition croissante des grandes puissances en Afrique a lieu dans le cadre « d’une concurrence acharnée entre différents modèles politiques ». Dans ce contexte, il est essentiel pour l’Union européenne de s’impliquer dans le soutien à la démocratie en Afrique « pour pouvoir relever les défis centraux de l’Anthropocène » et « répondre aux intérêts politiques et sécuritaires de long terme de l’Europe en Afrique ». Le lancement d’un paquet d’investissement conséquent dans le cadre de l’initiative « Global Gateway » représente la concrétisation de l’effort de définition d’un agenda plus « géopolitique » pour l’UE.
(*) Ramona BLOJ a suivi le cursus étudiant Erasmus à l’Institut Catholique d’Études Supérieures, est diplômée en relations internationales de l’Université de Bucarest, diplômée de Sciences Po Paris. Elle est responsable des études de la Fondation Robert Schuman |
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Directeur de la publication : Pascale JOANNIN La Fondation Robert Schuman, créée en 1991 et reconnue d’utilité publique, est le principal centre de recherches français sur l’Europe. Elle développe des études sur l’Union européenne et ses politiques et en promeut le contenu en France, en Europe et à l’étranger. Elle provoque, enrichit et stimule le débat européen par ses recherches, ses publications et l’organisation de conférences. La Fondation est présidée par Jean Dominique Giuliani.
Elle est répertoriée dans la rubrique THINK TANK de la Communauté Géopolitique, Économie, Défense et Sécurité.
Plus d’information sur son site : La Fondation Robert Schuman (robert-schuman.eu)
Bonne lecture et rendez-vous le vendredi 11 mars 2022
avec le n°185
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