Les politiques occidentales
en Asie centrale
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Hélène Sénécot (*)
Etudiante en Histoire
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Reliant l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie, avec ses vastes étendues de steppes et de montagnes, l’Asie centrale a toujours été un carrefour géopolitique stratégique. Elle a suscité au fil des siècles l’intérêt de puissances étrangères cherchant à étendre leur influence et à exploiter des ressources naturelles abondantes. Depuis trois décennies, les politiques occidentales s’y concentrent davantage sur la stabilité régionale, la sécurité énergétique, la lutte contre le terrorisme, ainsi que sur la promotion de la démocratie.
L’implosion de l’URSS en 1991 a poussé les pays d’Asie centrale à s’ouvrir au monde. De leur côté, l’Union européenne comme les États-Unis ont vu dans les nouvelles républiques d’Asie centrale de nombreuses opportunités économiques, énergétiques et politiques. Avec le conflit ukrainien, on voit se renforcer l’engagement de l’Ouest dans la région. Les objectifs des politiques occidentales en Asie centrale reflètent des préoccupations communes, mais sont en réalité multiples.
Les questions sécuritaires
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La stabilité régionale est un objectif central dans les politiques occidentales, qui contribuent à prévenir les conflits internes, les mouvements migratoires massifs et les menaces pour la sécurité mondiale. Un des enjeux majeurs est la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent.
Du fait de sa proximité avec l’Afghanistan, l’UE et les États-Unis considèrent cette région comme une plaque tournante potentielle pour le recrutement et la propagation du terrorisme. Ils cherchent par conséquent à échanger du renseignement et à renforcer la capacité des forces de sécurité locales dans la protection de leurs frontières, la prévention de la radicalisation, et la lutte contre les terroristes.
Les États-Unis fournissent ainsi une assistance militaire par le biais d’un programme appelé Régional Coopération. Le CENTCOM (Commandement central militaire américain pour l’Asie centrale et le Moyen-Orient) a par exemple organisé l’an dernier dix jours d’exercices au Tadjikistan. Y ont participé des contingents tadjik, kirghiz, kazakh, ouzbek, pakistanais et mongol.
Du côté européen, Bruxelles finance deux programmes de coopération régionale. Le BOMCA (Border Management Programme in Central Asia) est le plus abouti. Avec un budget global de 21,65 millions d’euros, il se concentre sur l’amélioration des systèmes de gestion des frontières et l’élimination des trafics illégaux, de la criminalité transfrontalière et de l’immigration illégale. Le CADAP (Central Asia Drug Action Programme) apporte de son côté un soutien aux républiques centre-asiatiques dans la lutte contre le trafic de drogue.
Coopération économique en développement
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Privés de gaz russe suite à la guerre en Ukraine, les pays européens cherchent de plus en plus à diversifier leurs approvisionnements énergétiques. L’Asie centrale regorge de ressources énergétiques, notamment de gaz et de pétrole. Selon le CIA World Facebook, la région recèle environ 13 000 milliards de mètre cube de réserves prouvées de gaz naturel, et, d’après l’OPEP, le Kazakhstan dispose de 30 milliards de barils de pétrole. Aussi la majeure partie des investissements européens sont-ils placés dans le secteur énergétique au Kazakhstan et au Turkménistan.
L’Union européenne apporte aussi une assistance économique et financière aux pays d’Asie centrale. Des accords pour favoriser les investissements étrangers et des programmes sont mis sur pied. On peut ainsi parler du TRACECA (Transport Corridor Europe-Caucasus-Asia) qui a développé plus de 80 projets logistiques, du DCI (Development Cooperation Instrument) ou encore du Central Asia Invest Programme qui permet à l’UE de soutenir les petites et moyennes entreprises centre-asiatiques à travers différents plans d’investissements.
Volontés démocratiques
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L’Asie centrale est caractérisée par une certaine diversité politique et des gouvernements autoritaires. Le président tadjik, Emomali Rahmon, est ainsi président depuis 1992. En 2015, il a fait voter une loi au Parlement qui lui accorde une immunité à vie contre les poursuites judiciaires et un droit de veto sur toutes les décisions de l’État. Le président turkmène, Serdar Berdimuhamedow, et le président kirghize, Sadyr Japarov, se comportent aussi en dictateurs. Le premier maintient le régime répressif mis en place par son père, en particulier en matière de liberté politique et de droits de l’homme, quand le second organise une réforme constitutionnelle qui octroie de nouveaux pouvoirs au chef de l’État.
Les pays occidentaux cherchent à encourager des réformes démocratiques et à soutenir les organisations de la société civile. Cela se traduit par un soutien à la liberté de la presse, à l’accès à l’information et à la participation civique. Pour ce faire, la diplomatie et le dialogue politique sont des éléments clés. Le C5+1 est ainsi un forum initié par Barack Obama qui réunit les cinq ministres des Affaires étrangères de l’Asie centrale et le secrétaire d’État américain. Le respect des droits de l’homme, la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption sont des sujets abordés lors de ces discussions. De son côté, l’Union européenne dispose de délégations dans tous les pays de la région depuis l’ouverture de sa délégation au Turkménistan en juillet 2019.
Des politiques limitées
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Malgré leur volonté grandissante de s’implanter dans la région, les occidentaux doivent faire face à plusieurs défis et contraintes de taille. Tout d’abord, l’influence de la Russie et de la Chine. Ces deux puissances pèsent depuis longtemps dans la région et détiennent d’importants intérêts économiques, politiques et sécuritaires en Asie centrale. Ainsi, la Chine place l’Asie centrale au cœur de ses projets commerciaux et économiques, comme celui des Nouvelles Routes de la Soie (BRI), quand la Russie se place à la tête de nombreuses organisations régionales. Cette situation tend à limiter l’impact des politiques occidentales qui ne sont pas en capacité de concurrencer les autres acteurs régionaux. De plus, l’instabilité politique, les conflits internes et les tensions ethniques et religieuses rendent la mise en œuvre de politiques cohérentes et durables plus complexe. Enfin, les contraintes budgétaires et les ressources limitées restreignent la portée de ces politiques.
À cela s’ajoute pour l’UE une présence régionale qui reste très variable et incertaine. Les pays membres n’ont pas tous la même implication et sont parfois en désaccord. Les intérêts nationaux priment sur l’agenda bruxellois, ce qui limite l’action européenne et ses perspectives stratégiques dans la région. De plus, ces différentes politiques sont parfois considérées comme de l’ingérence par les républiques d’Asie centrale. Ainsi le gouvernement américain a-t-il décidé de faire moins attention au respect des standards démocratiques et aux droits de l’homme pour se concentrer depuis 2022 sur la lutte contre le changement climatique et la sécurité alimentaire. Les pays d’Asie centrale et leurs voisins étant des gouvernements autoritaires, cela reviendrait à nier les réalités de la région.
Ainsi, les politiques occidentales en Asie centrale visent principalement à promouvoir la stabilité régionale, le développement économique et la promotion des droits de l’homme. En mettant l’accent sur ces différents secteurs, les pays de l’Ouest cherchent à établir des relations équilibrées et durables. Malgré les défis et les contraintes, il existe des opportunités continues pour renforcer la coopération et le développement dans cette partie du monde en constante évolution.
(*) Hélène Sénécot, diplômée à la Sorbonne d’une double licence en Histoire et en Anglais, est étudiante en Master Histoire – Relations internationales dans le parcours Sécurité et Défense à l’Université Catholique de Lille. Elle est l’auteur d’un mémoire de recherche sur les relations entre la Russie et l’Asie centrale. |
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