MACRON AU LIBAN
POUR LA DEUXIEME FOIS

.Richard Labévière (*)
Journaliste

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Pour la diplomatie française, le Liban ne peut pas être un pays comme les autres. En se rendant à Beyrouth le 1er septembre dernier, après une première visite le 6 août au lendemain des explosions qui ont ravagé le port, le président de la République a ainsi salué le centième anniversaire de la création du « Grand Liban », du Liban dans ses frontières actuelles. Richard Labévière, dont nous connaissons bien les engagements et les humeurs parfois explosives, mais qui reste un grand spécialiste du Proche-Orient, veut voir dans cette visite du président français les signes d’un « aggiornamento » diplomatique.
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Le 1er septembre marque le centenaire de la création par la France du « Grand Liban ». Au sortir de la première guerre mondiale, la France avait été chargée par la SDN (société Des Nations) de gouverner cet ex-territoire de l’empire Ottoman, que l’on appelait alors le Levant. Le haut-commissaire français, le général Henri Gouraud, avait le 1er septembre 1920 scindé ce territoire en deux entités distinctes, la Syrie d’un côté, le Grand Liban de l’autre. Le Grand Liban combinait le Mont Liban, où les populations étaient et sont principalement chrétiennes et druzes, avec des zones à l’ouest et au sud où les communautés sont principalement sunnites et chi’ites. Le général Gouraud avait fait sa déclaration depuis la Résidence des Pins, qui est aujourd’hui la résidence de l’ambassadeur de France au Liban, là où le président Macron a récemment rencontré des responsables politiques libanais.

Hormis cette résonnance historique, la visite présidentielle tombait doublement à propos : le Pays du Cèdre traverse la plus grave crise économique et sociale depuis la guerre civile (1975 – 1990). Avec la démission du gouvernement d’Hassan Diab, pourtant le meilleur qu’ait connu le pays, l’instabilité prévaut plus que jamais. Par conséquent, les différentes manifestations françaises de solidarité étaient particulièrement bienvenues : le porte-hélicoptère-amphibie (PHA) Tonnerre a débarqué plusieurs dizaines de tonnes d’aide humanitaire et d’autres bâtiments de la Marine nationale ont débarqué nombre de spécialistes en catastrophes et reconstructions.

L’Élysée versus Quai d’Orsay


Par ailleurs, et hormis quelques voix minoritaires dénonçant une « ingérence », la population libanaise dans sa majorité a salué les gestes de solidarité de la France éternelle. Cela dit, cette posture n’est pas sans ambiguïté, révélant notamment quelques contradictions franco-françaises… La principale exprime une divergence d’approche et d’agenda entre l’Elysée et le Quai d’Orsay.

En effet, Emmanuel Macron a mis un point d’honneur à rencontrer l’ensemble des composantes de la classe politique libanaise, y compris le Hezbollah, le parti chi’ite qui reste toujours copieusement démonisé par Washington et Tel-Aviv. Quelques jours auparavant, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian avait soigneusement boycotté les représentants de ce parti.

Conseillant aux députés du Hezbollah « d’être davantage libanais », l’Elysée cherchait à faire savoir qu’il reconnaissait enfin cette incompressible évidence : composante majeure de la vie politique libanaise, le parti chi’ite est parfaitement incontournable. Tandis que le Quai d’Orsay reste actuellement encore sur la ligne américano-israélienne de son boycott, affirmant que cette organisation politico-militaire n’est qu’une « organisation terroriste », courroie de transmission de Téhéran.

Au Quai, certains diplomates, néo-conservateurs à la française, font toujours la loi, sans que l’Elysée ne puisse faire grand-chose, d’autant que cette association de diplomates, ayant été en poste à Washington, Bruxelles-Otan et Tel-Aviv, se tient fermement les coudes et partage les mêmes relations affairistes. « Ils sont de plus en plus nombreux à aspirer à vendre leurs services en fin de carrière », écrit Marc Endeweld dans une remarquable enquête publiée dans le Monde Diplomatique en septembre dernier.».

Dès juin 2017, sitôt élu président, Emmanuel Macron promettait dans un entretien au Figaro : « avec moi, ce sera la fin d’une forme de néo-conservatisme importée en France depuis dix ans. La démocratie ne se fait pas depuis l’extérieur à l’insu des peuples. La France n’a pas participé à la guerre en Irak et elle a eu raison. Et elle a eu tort de faire la guerre de cette manière en Libye. Quel fût le résultat de ces interventions ? Des Etats faillis dans lesquels prospèrent les groupes terroristes. Je ne veux pas de cela en Syrie… ».

Non à l’alignement derrière les USA.


N’oublions pas que cette divergence Quai/Elysée a pris naissance lorsque Bernard Kouchner était ministre des Affaires étrangères (entre 2007 et 2010)4. Derrière ses déclarations sur « l’action humanitaire » et les « ingérences » toutes aussi généreuses, l’agenda était parfaitement clair : fragiliser, sinon casser les État-nations du Sud, retribaliser les populations, afin de perpétrer l’influence, sinon l’hégémonie, des pays occidentaux, au premier desquels les Etats-Unis et leur satellite israélien.

Dans ce jeu de massacre, le Liban constitue toujours un merveilleux laboratoire, où il suffit d’attiser quelque peu les fractures confessionnelles et communautaires pour atteindre la Syrie, l’Iran, sinon la Russie voire la Chine. Emmanuel Bonne, le conseiller diplomatique du président de la République en sait quelque chose, lui qui fût ambassadeur de France au Liban (2015 – 2017). Aujourd’hui à contre-emploi, puisqu’il est chargé d’accompagner la « nouvelle approche diplomatique du Proche-Orient » que veut incarner Emmanuel Macron, Emmanuel Bonne fût un farouche partisan du renversement de Bachar al-Assad.

Comprenne qui pourra ! Toujours est-il que les principaux conseillers du Quai en charge des Proche et Moyen-Orient, continuent à soutenir et promouvoir les factions libanaises qui cherchent à renverser le président Michel Aoun parce que ce dernier a eu le grand tort, à leurs yeux, de nouer une alliance avec le Hezbollah dès novembre 2006. Comment Emmanuel Macron peut-il s’émanciper de cet « Etat profond », qui favorise d’abord les intérêts américano-israéliens avant d’œuvrer à la défense de ceux de la France ? Grande question… dont le début d’une réponse possible commence par la pensée, sinon la mise en œuvre d’une diplomatie française réellement adaptée à la région.

Hassan Nasrallah, troisième et actuel secrétaire général du hezbollah. Photo DR

Ainsi, il ne suffit pas de réclamer des réformes – des ré-for-mes – en sautant comme un cabri ! Quelles réformes ? Dans quels secteurs ? Avec qui ? Et dans quel ordre. L’ensemble des classes politiques libanaise et française réclament des « réformes », mais sans jamais n’en rien dire de précis et de concret. Comme des perroquets, les journalistes répètent à tous vents que les gouvernements libanais sont corrompus depuis la nuit des temps… La belle affaire et quel scoop !

Une nouvelle vision, en trois temps


La rengaine est repartie de plus belle. Alors les réformes, mais lesquelles ? – et après ? Le coup d’après, ce serait justement de fixer des objectifs et une méthode pour les atteindre. Le ministre plénipotentiaire (1ère classe) Pierre Duquesne vient d’être nommé ambassadeur chargé de la coordination du soutien international au Liban. C’est bien ! On lui souhaite pleine réussite !

Cette nomination est un bon signe, mais une vraie diplomatie française pour le Liban et le Proche-Orient : c’est quoi au juste ? D’abord revenir à la centralité du conflit israélo-palestinien qui déstabilise l’ensemble de la région. Il fût un temps où Elysée et Quai d’Orsay condamnaient, certes en des termes soigneusement pesés, les bombardements israéliens sur Gaza et la Cisjordanie. Aujourd’hui, la soldatesque israélienne peut commettre n’importe quelle bavure en violant allègrement les eaux territoriales et l’espace aérien libanais : pas un mot, ni du Quai, ni de l’Élysée.

Dans un deuxième temps, il s’agirait de tirer toutes les conséquences de l’invasion anglo-américaine de l’Irak au printemps 2003, afin de corriger rapidement les mêmes désastres en cours aujourd’hui en Syrie et en Libye. En se rendant en Irak afin de conforter les efforts de restauration de cet État, Emmanuel Macron envoie quelques messages politiques forts, mais qui resteront abstraits s’ils ne sont pas suivis de coopérations économiques conséquentes. Et pourquoi se sent-il obligé de le faire en critiquant la présence d’intérêts iraniens dans ce pays ? Quand la diplomatie française cessera-t-elle de donner des gages à Washington pour voler de ses propres ailes ?

Enfin, dans un troisième mouvement, il s’agirait de revisiter et de hiérarchiser les intérêts français dans la région pour les consolider en communiquant davantage sur leurs implications et les perspectives qu’elles ouvrent. Ces dossiers sont trop rarement évoqués à l’Assemblée nationale et au Sénat…

Non seulement, il y aurait urgence à rouvrir notre ambassade à Damas, mais également une même nécessité s’impose pour refonder notre relation avec Téhéran, sur d’autres bases que celles d’une hostilité américaine invariable depuis la révolution islamique de 1979 – et surtout qui ne correspond pas, mais alors pas du tout, aux intérêts de notre pays.

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(*) Richard Labévière est rédacteur-en-chef du site « Proche et Moyen-Orient ». Il a été rédacteur-en-chef à TSR (Télévision Suisse Romande) et à RFI (Radio France Internationale). Il a aussi assuré la rédaction en chef de la revue Défense de 2003 à 2011. Il exerce depuis 2010 comme consultant en relations internationales et en question de Défense et Sécurité. Il écrit dans le mensuel « Afrique Asie ».
Il est vice-président d’espritcors@ire et Responsable de la rubrique « Géopolitique » d’ESPRITSURCOUF. Officier de réserve opérationnelle de la Marine nationale.
Il vient de publier « Reconquérir par la mer » aux éditions Temporis.
Son livre a été présenté dans la rubrique
LIVRES du  numéro 131 du 10 février 2020

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