EUROPE,
N’OUBLIE PAS TON DROIT !

Jean-Dominique GIULIANI (*)
 Président de la Fondation Robert Schuman

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Le 21 juillet dernier, les Européens se sont entendus sur un plan ambitieux et novateur de 750 milliards € pour soutenir et relancer l’économie gravement affectée par les conséquences de la crise sanitaire. L’Union européenne peut se permettre d’engager une telle somme parce que sa richesse, c’est son grand marché unique, appliquant les mêmes règles soumises à la même juridiction, à des personnes, des biens et des services circulant librement sur tout le continent.

Or certains Etats membres, par idéologie, démagogie ou incompétence, pour lutter contre le Covid-19, ont suspendu la libre circulation et se sont repliés derrière leurs frontières nationales. On n’a jamais vu de virus respecter les frontières. Celui-là pas plus qu’un autre. Mais on voit trop souvent des politiciens en mal de succès les appeler à la rescousse. Ce fut le cas pour la crise des réfugiés ; c’est aussi la mauvaise surprise de la crise sanitaire.


La Hongrie, la Pologne, la Belgique n’ont pas hésité à prendre des décisions nationales sans concertation avec leurs partenaires. Ils en ont juridiquement le droit, mais ils mettent ainsi en danger le fonctionnement même du marché unique. L’Autriche a, par exemple, paralysé la circulation des Européens au mois d’août en appliquant de ridicules contrôles de personnes transitant par son territoire. Tous ces pays n’ont pas échappé à la récession qu’ils ont même aggravée par leurs mesures restrictives. Ils ont de surcroît choisi entre leurs voisins ceux qu’ils en exonéraient, allant ainsi plus loin dans la violation de l’esprit communautaire.

Pour une relance plus complète encore


La question est posée : Ne devrait-on pas conditionner les bénéfices du plan de relance européen à une autre avancée, l’harmonisation des décisions sanitaires ayant un impact sur la libre circulation ? La Commission européenne, avec l’Allemagne et la France, propose de progresser en ce sens. Il faut maintenant décider. Les Etats membres ne peuvent revendiquer « le beurre et l’argent du beurre ».

Ceux qui garderont leurs frontières fermées à leurs partenaires européens devraient en payer le prix et être exclus du bénéfice du plan de relance. Cela pourrait inciter à progresser enfin vers une Europe de la santé plus efficace.

Si le contexte international se durcit et contraint enfin l’Europe à davantage peser pour défendre et promouvoir ses intérêts, il en va de même en interne. Pour éviter un délitement lent et progressif de ce qui fait la force de l’Union, sa solidarité, son unité et la bonne foi exigée entre partenaires, il est temps d’être plus exigeants entre nous. Il a fallu acheter l’accord des « radins » en juillet dans une négociation qui rappelait par trop les souks orientaux. Ne bradons pas les avancées européennes récentes à des Etats qui continuent à faire croire à leurs citoyens qu’ils sont plus efficaces tout seuls.

L’Empire du droit 


La construction européenne est interpellée par une évolution mondiale dans laquelle de plus en plus la force prime le droit. Les exemples en sont multiples. La Turquie, comme la Chine, violent délibérément le droit de la mer, la Russie ses engagements internationaux concernant l’usage des armes chimiques, les Etats-Unis instrumentalisent le droit au profit de leurs entreprises.

Jusqu’ici l’Europe restait l’empire du droit. Inventrice des Droits de l’Homme, construite par le droit et pour le droit de vivre en paix des peuples européens, l’Union européenne était pour cela assez rigide dans l’application de son droit. On le lui reprochait parfois. Les Britanniques, dans un acte insensé pour ceux qui se réclament d’une grande nation, violent ouvertement et délibérément leurs engagements en Europe, signés pourtant il y a moins d’un an et remettent en cause le traité de divorce qui les lient à l’Union européenne.

Le parlement européen à Strasbourg.
Photo Pixabay

Le Parlement européen lui-même, législateur commun, viole les traités européens en refusant une nouvelle fois de siéger à Strasbourg au prétexte d’un virus pourtant aussi actif à Bruxelles que dans la capitale alsacienne de l’Europe du droit. Il donne ainsi raison à ceux, dont des fédéralistes, qui réclament l’unité de siège des institutions européennes. D’ailleurs, s’ils étaient logiques et honnêtes dans leur engagement intégrationniste, ils exigeraient aussi de la Belgique qu’elle cède la souveraineté du quartier européen de Bruxelles aux 27 Etats membres. Il n’est en effet pas normal que le siège des institutions communes se trouve dans la capitale d’un Etat et ce qui s’y passe soit sous la juridiction de la loi belge. L’histoire du fédéralisme nous rappelle comment Washington, Ottawa, Brasilia, Abuja et bien d’autres capitales sont ainsi nées de cette volonté d’indépendance au regard du droit local et au bénéfice du droit élaboré en commun.

Le droit régresse partout et c’est, pour l’Europe, un défi. 


La Covid-19 est l’occasion de restreindre les libertés au nom de la santé en prolongeant dans la durée des mesures de contrainte exceptionnelles déjà peu convaincantes. Pour cela on distille la peur et hélas cela fonctionne.

On avait déjà vu des législations antiterroristes empiéter sur les libertés, des parlements interdire à leurs membres d’être présents, des juges français abuser des écoutes téléphoniques, des dirigeants italiens refuser d’aider des naufragés…. On voit maintenant des grandes puissances pratiquer la politique du fait accompli, se libérer des contraintes du droit international, et ainsi nier aux Européens des années de construction de relations civilisées entre nations. Ces derniers ne devraient pas flancher dans leur attachement au droit. Les députés européens devraient y réfléchir à deux fois avant de mettre les doigts dans cet engrenage.

Le continent européen doit se souvenir que seul le droit garantit les libertés et le préserve des excès. Toute violation, « même spécifique et limitée », comme le dit un secrétaire d’Etat britannique, ramène l’Europe vers ses plus dangereux penchants et fait le bonheur des tyrans qui la contestent, chinois, russes, biélorusses ou turcs. Si l’Europe ne reste pas, grâce au droit, la gardienne des libertés et l’exemple de la démocratie pluraliste, qui le fera ?

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(*) Jean-Dominique GIULIANI est Président de la Fondation Robert Schuman, centre de recherche de référence sur l’Union européenne et ses politiques. Conseiller spécial à la commission européenne (2008-2010, il a précédemment été Maître des Requêtes au Conseil d’Etat, directeur de cabinet du Président du Sénat (1992-1988) et directeur à la direction générale du groupe Taylor Nelson Sofres (1998-2001). Il a fondé J-DG.Com International Consultants, qu’il préside. Membre du Conseil de Surveillance d’ARTE France (depuis 2009) et Président de l’ILERI (Institut Libre d’Etude des Relations Internationales) depuis 2019.
Vous pouvez suivre Jean-Dominique Giuliani sur son site :
https://www.jd-giuliani.eu/

La Fondation Robert Schuman, créée en 1991 et reconnue d’utilité publique, est le principal centre de recherches français sur l’Europe. Elle développe des études sur l’Union européenne et ses politiques et en promeut le contenu en France, en Europe et à l’étranger. Elle provoque, enrichit et stimule le débat européen par ses recherches, ses publications et l’organisation de conférences.

La Fondation Robert Schuman est répertoriée dans la rubrique THINKTANKS de la « Communauté Géopolitique, Économie, Défense et Sécurité» d’ESPRITSURCOUF.fr

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