Midterms :
 Républicains et Démocrates dos à dos

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Jean-Claude Beaujour (*)
Avocat, Président du Forum Transatlantique

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Un peu plus d’un mois après le scrutin du 8 novembre 2022, date des midterms (scrutin de mi-mandat), voilà que le résultat est éloigné de celui qui était attendu. Le scrutin interpelle et l’auteur nous dit qu’il devra faire réfléchir les deux principaux partis, Républicain et Démocrate, à deux ans de la prochaine élection présidentielle de 2024.
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Les élections de mi-mandat sont habituellement des échecs pour le titulaire de la Maison Blanche, et Joe Biden ne semblait pas faire exception. Avant lui ces élections furent perdues par Bill Clinton et par Barack Obama, mais ne les empêchèrent pas par la suite d’être très largement réélus. Forts de cette tradition, les Républicains anticipaient en 2022 leur victoire, allant jusqu’à imaginer une vague rouge qui devait déferler sur toute l’Amérique et donner le signal de départ pour la prochaine élection présidentielle de 2024.

Mais ce scrutin était également marqué par un fait inhabituel, avec la présence dans cette campagne de l’ancien président Donald Trump, dont on sait qu’il avait toujours refusé sa défaite, allant jusqu’à ne pas participer à la passation « paisible » de pouvoir le 20 janvier 2021. Ce qui était très loin de l’allocution du Républicain Ronald Reagan, qui exactement 40 ans plus tôt, le 20 janvier 1981, lors de son discours d’inauguration, remerciait son prédécesseur Démocrate Jimmy Carter pour avoir coopéré dans la transition avec la future administration.

Reagan insistait sur le fait que cette transition pacifique, aux yeux du monde, montrait l’unité du peuple américain et le maintien de son système démocratique. Cette tradition de plus de 200 ans, insistait Reagan, donnait précisément à l’Amérique son caractère unique. En rupture totale avec la pratique antérieure, Donald Trump s’érigeait en leader de l’opposition qui entendait prendre sa revanche dans la perspective du futur scrutin électoral.

Aussi les Républicains s’attendaient-ils non seulement à contrôler les deux chambres du Congrès,  mais ils espéraient également emporter une majorité des postes de gouverneurs en lice, et surtout voir de nouvelles personnalités de leur parti mettre le pied à l’étrier. Force est de constater que le résultat est en dents de scies, que l’Amérique est plus divisée que jamais, et que l’élection de 2024 s’annonce très ouverte.

Un résultat électoral en dents de scies
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Le moins que l’on puisse dire est que ce scrutin donne un verdict ambigu. Tout d’abord parce qu’il n’y a pas eu la vague républicaine attendue. Ensuite, certains lieutenants de Donald Trump, dans des Etats clés pour la prochaine élection présidentielle, ont été battus, tandis que plusieurs Républicains qui avaient pris leurs distances avec l’ancien président, présentés comme des tièdes, voire des traitres, ont été élus. En d’autres termes, si Donald Trump a galvanisé ses troupes et su mobiliser sa base électorale, il n’a pas pour autant provoqué de dynamique générale en faveur de son parti. 

Dans la configuration précédente, la Chambre des Représentants était contrôlée par une majorité de Démocrates et présidée depuis 2019 par Nancy Pelosi, la speaker. Désormais les Républicains ayant obtenu les 218 sièges nécessaires pour être majoritaires contrôleront la Chambre des Représentants, avec comme très probable speaker le californien Kevin McCarthy. Ce dernier est opposé à l’Obama care, a combattu le plan de Joe Biden « Build Back Better » et il est en outre un climato sceptique assumé. Toutefois la majorité républicaine reste courte en nombre de sièges, avec un niveau de vote populaire au plan national d’environ 4 millions de voix.

En ce qui concerne le Sénat, les Démocrates ont gagné 51 sièges et contrôleront cette chambre. Un siège restait en suspens, du fait d’un second tour (run-off) en Géorgie le 6 décembre. A cette occasion le sortant Démocrate Raphael Warnock, ancien pasteur, l’a emporté contre l’ancien sportif Herschel Walker, soutenu par Donald Trump. Même si Warnock avait été battu, la voix de la vice-présidente démocrate Kamala Harris aurait fait la différence, comme c’est le cas depuis 2 ans.

Au-delà des résultats globaux, il convient de se pencher sur quelques résultats. Ainsi, dans l’Ohio, le sénateur sortant démocrate Tim Ryan est battu par le trumpiste républicain J.D. Vance, alors qu’en Pennsylvanie, le démocrate John Fetterman récupère le siège occupé par un républicain, Mehmet Oz , soutenu très activement par Donald Trump. De même dans le Nevada, la sénatrice démocrate sortante Catherine Cortez Masto parvient à conserver son siège face à l’ancien procureur Adam Laxalt. Ce dernier, très proche de Donald Trump, a un positionnement politique marqué par son opposition à l’avortement, sans compter qu’il est climato sceptique et au nombre de ceux qui ont soutenu l’existence d’une fraude massive dans son Etat.  Enfin dans le New Hampshire la sénatrice Maggie Hassan a battu le Général républicain Don Bolduc, qui a pourtant été soutenu par Donald Trump.

S’agissant des élections des gouverneurs, parmi les Etats les plus surveillés en raison de leur poids politique lors de l’élection présidentielle, les résultats sont plutôt stables. C’est ainsi qu’en Arizona le duel qui opposait la trumpiste républicaine Kari Lake à la démocrate Katie Hobbs a tourné en faveur de cette dernière. En Géorgie, autre Etat clé pour la présidentielle, le gouverneur républicain Brian Kemp a été réélu face à la démocrate Stacey Abrams.

Une Amérique divisée
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La salle du congrès, à Washington, attend ses nouveaux représentants et sénateurs, qui s’affronteront en deux blocs  de même force ? Photo US congresscomoffice

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Le résultat du scrutin du 8 novembre 2022 est à l’image d’une Amérique aussi divisée politiquement qu’elle l’était au soir du scrutin du 3 novembre 2020. Chaque camp se considérant comme le défenseur d’une Amérique dont il se fait une idée précise et dont il pense surtout qu’elle est fortement en danger de mort.

D’un côté la droite républicaine se retrouvant dans le slogan MAGA (Make America Great Again) est en majorité plutôt rurale et dans le sud du pays. Elle reste viscéralement attachée au droit de posséder des armes et refuse toute forme de limitation de leur possession. Elle est également contre certaines formes de solidarité, qu’elle considère s’apparenter à du socialisme, et redoute les influences néfastes de l’étranger. Pour la droite républicaine, l’Amérique du bon vieux temps court à sa perte et il faut la défendre à tous prix. Un certain nombre de candidats républicains n’avaient d’ailleurs pas hésité à se mettre en scène, revolver en mains et face à des camions d’assaut, pour montrer ce qu’il arriverait s’ils venaient à être menacés.

D’un autre côté, se retrouve une population attachée au droit à l’avortement, et révulsée par le revirement jurisprudentiel de Roe v. Wade, opéré par la Cour suprême (le Roe versus Wade est un arrêt de la Cour Suprême de 1973, qui a pour effet principal la protection du droit des femmes à avorter). Dans un arrêt Dobbs v. Jackson du 24 juin 2022, la Cour Suprême, désormais conservatrice, considérant que la démocratie américaine était en danger, a contré le Roe v Wade.

Ces deux Amériques semblent irréconciliables, en dépit du geste du Président Biden,  qui s’est dit prêt à travailler avec les deux camps. Ce clivage trouve son illustration jusqu’à la Cour suprême qui, au fil du temps, s’est politisée à outrance. Lors de la désignation des membres de la Cour, on semble désormais plus attaché aux idées du candidat qu’à sa capacité à rendre des jugements et à avoir une analyse conforme aux principes fondateurs de la Constitution américaine. Cette difficile réconciliation se traduit également par la prépondérance des croyances diverses et variées au détriment des faits eux-mêmes.    

Un scrutin présidentiel désormais très ouvert

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Mais ce résultat ne doit pas faire oublier que les électeurs ont aussi voté en raison de leurs préoccupations concrètes, au-delà des arrière-pensées politiques. La grande majorité des Américains ont des préoccupations vitales, à savoir l’inflation, l’emploi, le logement ou encore le droit à l’avortement, rendu donc plus difficile, ce qui pénalisera inéluctablement les femmes les plus fragiles.

 

Il n’y a pas eu de ferveur au profit de Donald Trump, dont la propre fille Ivanka a indiqué vouloir se tenir à l’écart de sa possible future campagne. L’ancien Président devra également affronter les nombreuses procédures judiciaires en cours, qui à défaut de l’empêcher, pourraient le freiner dans sa campagne des futures primaires. Enfin, il devra tenir compte de l’appétit d’autres possibles candidats plus jeunes et plus rassurants pour l’électorat républicain. Le gouverneur de Floride Ron De Santis pourrait donc faire l’affaire, mais également l’ancien vice-président Mike Pence qui pourrait être candidat, ou encore le californien Mike Pompeo, ancien Secrétaire d’Etat de Donald Trump.  

Dans le camp d’en face nombreux sont les électeurs démocrates qui appellent à un changement de génération. Joe Biden, qui vient d’avoir 80 ans, sera le président le plus âgé candidat à sa propre succession. Mais son âge n’est pas son seul handicap, il devra présenter un programme qui mobilise la gauche des Démocrates sans pour autant effrayer les indépendants. La vice-présidente Kamala Harris, qui n’a pas la complicité que Biden pouvait entretenir avec Obama, a suscité beaucoup d’espoirs qui ne se sont pas encore traduits dans les urnes ou dans sa cote de popularité ; Sans oublier le secrétaire aux transports Pete Buttigieg, ou encore Elisabeth Warren pour ne citer que ceux-là qui restent en éveil.

On le voit bien, le scrutin présidentiel de 2024 est loin d’être joué.

(*) Jean-Claude Beaujour, Docteur en droit, diplômé de Harvard, est avocat au barreau de Paris, associé au cabinet SMITH d’ORIA.  A ce titre, il a une pratique essentiellement orientée vers le règlement des litiges (contentieux transnational et médiation) ainsi que vers le secteur de l’aviation. Médiateur du CEDR (Center for Effective  Dispute  Resolution  de Londres) et responsable de la commission médiation de l’ICC, il a coprésidé en 2019 le groupe de travail sur la médiation internationale du ministère français des affaires étrangères. Depuis 2018 Jean-Claude Beaujour est vice-chairman de la commission aviation Law de l’IPBA , dont le siège est à Singapour, et par ailleurs membre du comité stratégique d’ARTEMIS Group. Il est aussi président du forum transatlantique. Il a publié Et si la France gagnait la bataille de la mondialisation, aux éditions  Descartes en 2013  

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