LE GRAND CHAMBARDEMENT

 de Guillaume Berlat,
Chroniqueur de Géopolitique mondiale

 

« L’égoïsme régit le monde » nous rappelle Arthur Schopenhauer. Or, l’égoïsme des nations peut conduire à la catastrophe, au chaos. « Les mécaniques du chaos ». Tel était le titre que nous avions donné au bilan de l’année 2017 sur le plan international ! En 2018, les sujets de satisfaction sont rares sur la scène internationale : critique de la mondialisation, retour du protectionnisme1 ; montée en puissance ses GAFAM ; nouvelle guerre froide entre Moscou et Washington ; guerre commerciale entre Pékin et Washington ; poursuite de la course aux armements ; prolongation du conflit syrien en dépit de la défaite de l’EIIL ; prégnance du problème kurde ; enlisement saoudien au Yémen ; instabilité chronique en Afghanistan ; pagaille sans fin en Libye ; persistance du terrorisme islamique en Europe ; insécurité croissante dans le Sahel en dépit des illusions du G5 Sahel ; incapacité de l’Union européenne – divisée entre le nord et le sud et mobilisée par la négociation du « brexit » – à répondre aux défis du XXIe siècle ; inefficacité de l’OTAN à être une structure coopérative ; paralysie de l’ONU, difficulté à relever, lors de la COP24, le défi écologique en dépit du succès de la COP21, reconduite de Vladimir Poutine et Xi Jinping à la tête de la Russie et de la Chine, les nouvelles tensions entre Trump et Kim Jong-un … Seuls points positifs, l’embellie inattendue sur la péninsule coréenne après les rencontres entre les dirigeants des 2 Corées et la réconciliation entre les frères ennemis éthiopiens et érythréens. Et espoir d’un répit au Yémen dans les derniers jours de 2018.

Si l’on prend un minimum de recul, que nous révèle cette « annus horribilis » ? Comment la décrire à gros traits ? Par deux caractéristiques principales, que nous présenterons dans nos deux prochains numéros ::

  • la fracturation permanente corollaire d’un monde sans maître et sans cap,
  • une facture douloureuse, conséquence d’un monde sans règles et sans gouvernance.

Un monde en recomposition. 

Les Blocs du XXe siècle sont défunts. Le monde nouveau s’organise sous d’autres formes, composé de nouveaux « assemblages » : ASEAN, BRICS, OCS, OTAN, APEC…53. Mais, nous ne semblons pas avoir la moindre idée de la manière dont nous voulons organiser le monde du XXIe siècle. Là est le problème tant le temps médiatique l’emporte sur le temps historique, tant la tactique l’emporte sur la stratégie. Nous en payons les conséquences en termes de stabilité et de prévisibilité des relations internationales. Et cela parce que nous sommes plus spectateurs qu’acteurs, plus démolisseurs qu’architectes, plus pyromanes que pompiers, plus aveugles que clairvoyants. En effet, la prévision a pour horizon le seul buzz médiatique et non la construction d’un avenir à partir du pensable et de l’impensable.

Force est de constater la cécité des élites face à des évolutions inquiétantes, à l’accumulation des signaux alarmants, à la montée des radicalités…54. Leur réponse relève le plus souvent du somnambulisme politique, économique, diplomatique. Il y a bien longtemps que gouverner, ce n’est plus prévoir, ce serait plutôt temporiser. Au diable, la stratégie, la réflexion sur le temps long.

Entre défiance et confiance ?

Le travail de l’historien, de l’expert des relations internationales consiste à chercher à comprendre et à rendre lisible le présent au regard du passé, voire d’anticiper l’avenir. Le parallèle n’est jamais une évidence. Le temps de l’affrontement est une réalité, sorte de retour vers un passé que l’on croyait révolu. Tout donne à penser qu’on assiste à une nouvelle guerre froide, en particulier sur le plan commercial, situation qui redessine aujourd’hui les enjeux globaux. Ce n’est plus le temps de la mondialisation heureuse mais celui de la « balkanisation furieuse » (Régis Debray). Ce n’est plus le temps du multilatéralisme mais celui de l’unilatéralisme. Ce n’est plus le temps du village planétaire mais du repli national. Ce n’est plus le temps des espions mais celui des hackers qui font et défont l’ordre mondial55. Aujourd’hui, ne sommes-nous pas confrontés au paradoxe d’une diplomatie folle qui crée de l’insécurité ?56

Nous assistons à une remise en cause drastique du multilatéralisme par les Américains (retrait de l’accord sur le climat suivi du retrait de l’accord sur le nucléaire iranien) qui en avaient été les initiateurs à la fin de la Seconde Guerre mondiale. N’est-ce pas le signe d’un repli américain mais aussi de désoccidentalisation du monde ? Il ne restera pas sans suite et risque de faire tache d’huile, le mauvais exemple étant suivi par d’autres et ce sera le désordre. Autrement dit, c’est un nouveau monde qu’il reste à construire avant de penser à le réoccidentaliser57. D’ici là, comme le chantait si bien Guy Béart : « La terre perd la boule et fait sauter ses foules, voici finalement, le grand le grand, voici finalement le grand chambardement ».

Extrait de http://prochetmoyen-orient.ch/


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