1905 : La séparation de l’Eglise et de l’Etat
(1 ère partie)
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Pascal Le Pautremat (*)
Maître de conférences
Rédacteur en chef d’Espritsurcouf
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Puisque l’actualité politique semble inciter certains courants à ressusciter un vif antagonisme entre Ecole publique et Ecole privée, nous vous proposons un article de dimension historique qui, en deux parties, revient sur sur les circonstances et conséquences de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, votée il y a 119 ans.
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Au début du XXème siècle, les relations historiquement entretenues entre les Eglises et l’Etat français changent. En 1905, dans un climat d’instabilité gouvernementale, la séparation entre pouvoir régalien et théologie est légiférée. Mais elle déclenche une période de crispations dogmatiques, de laïcité politisée et d’affrontements tragiques.
L’Eglise catholique, en dehors des phases de tensions avec les protestants et des guerres de religion successives (1562-1598), s’est faite alliée du pouvoir royal selon le principe héréditaire des rois très chrétiens . La France devient la « Fille aînée de l’Eglise », selon l’expression du Dominicain le Père Henri-Dominique Lacordaire (1802-1861), en février 1841, prononcée en la Cathédrale de Notre Dame de Paris en février 1841.
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Le jeu d’influence d’une IIIème République instable
Avec le XIXème siècle, s’affirme le scientisme, la remise en question des dogmes religieux. En France, on observe la tumultueuse montée en puissance d’un multipartisme éclaté, entre monarchistes, bonapartistes et partis républicains, sur fond de revendications plurielles et antagonistes de la Révolution française. L’Etat démocratique, sous la IIIème République, hormis les difficultés qui furent les siennes pour se constituer et s’inscrire dans la durée, finit par être notifié dans la Constitution, en vertu de l’amendement d’Henri Wallon (1812-1904),( Historien et député du centre gauche, fervent catholique. Henri Wallon parvient à faire adopter le 30 janvier 1875 à une voix près (353 voix pour, 352 contre) l’amendement suivant : « Le président de la République est élu à la majorité des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il est rééligible »).
À partir de 1877, la IIIème République se caractérise par une majorité parlementaire de partis dits républicains (Gauche républicaine et Union républicaine) où le socialisme économique et politique sont mis en avant. Elle favorise l’instruction publique et instaure les libertés d’opinion et d’expression, sur fond de suffrage universel. Elle s’applique aussi à rompre les liens établis entre l’Etat et l’Eglise catholique.
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Les questions religieuses : un domaine sensible
Dans sa gestion délicate de la question des libertés religieuses, la IIIème République, dans les années 1900, déclenche affrontements et tensions qui demeurent, encore aujourd’hui, une cicatrice sensible dans la mémoire d’une nation.
Car, en marge de véritables crises politiques et sociales de l’Affaire du général Georges Boulanger (1837-1891) durant les années 1887-1889, au scandale Panama – avec la liquidation judiciaire, le 4 février 1889, de la Compagnie du canal de Panama qui entraîne la ruine près de 85 000 souscripteurs, à cause d’un jeu de corruption impliquant hommes d’affaires, journalistes et hommes politiques – qui fragilisent la crédibilité de la IIIème République, empreinte d’une macrocéphalie jacobine, deux approches de la vie politique se dessinent, depuis Paris. Celle, d’une part, qui tient à préserver l’organisation socio-religieuse pluriséculaire et celle, d’autre part, portée par les partisans d’un anticléricalisme jusqu’auboutiste. De plus en plus virulents, ceux-ci relèvent, assez souvent, de la franc-maçonnerie alors convaincue d’être la plus à même de composer une société apaisée, loin des turpitudes des dogmes religieux, et notamment du catholicisme, au regard de l’histoire des siècles passées. Sauf, que la doctrine franc-maçonne n’est pas bien comprise dans un pays de passionarias disparates où la religion fait partie intégrante du terreau populaire…
Aux francs-maçons s’ajoutent les partisans de la stricte politique jacobine, de la gauche radicale, dont l’hostilité à l’égard du catholicisme est très vive, voire quasi obsessionnelle. Ceux-ci estiment même que la doctrine et le dogme chrétiens relèvent d’une forme d’obscurantisme figeant le peuple dans un fanatisme religieux sclérosant, notamment en Bretagne.
Pour d’autres, la laïcité doit devenir une réalité propice à une neutralité de l’Etat, en faisant valoir la stricte égalité des Hommes et Citoyens. Telles sont ainsi les positions tenues par le socialiste Jean Jaurès (1859-1914), qui se dit athée, et, surtout, Aristide Briand qui porte le projet de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat.
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Sous la présidence d’Emile Loubet, les prémices de la crise politico-religieuse de 1905
Emile Loubet (1838-1929) est, dans cette conjoncture, élu président de la République en 1899, à l’âge de 71 ans, et le reste jusqu’en 1906.
À l’Assemblée nationale comme dans les gouvernements successifs, antagonismes et dissensions sont vifs, mettant face à face fervents pratiquants et anticléricaux, En cette période, la IIIème République, profondément secouée par l’onde de choc causée par l’Affaire Dreyfus, l’antisémitisme est largement répandu dans les milieux conservateurs et catholiques.
Les anticléricaux prennent l’avantage sous l’impulsion d’Emile Combes (1835-1921). Président du Conseil, entre juin 1902 et janvier 1905, Emile Combes adresse une circulaire aux préfets, datée du 20 juin 1902 dans laquelle il montre combien il s’agit de privilégier, dès lors, les républicains les plus sûrs.
Emile Combes, de surcroît, joue la carte d’un anticléricalisme sans concession. Etrange positionnement d’un homme sans doute lié à son propre parcours de vie puisqu’il suit toute sa scolarité en tant que séminariste, d’abord à Castres puis à Albi. Il est sur le point d’être ordonné prêtre avant de devoir renoncer à ce sacerdoce. Docteur ès Lettres – sa thèse portait sur Saint Thomas d’Aquin – Emile Combes remplit les fonctions de professeur de rhétorique à l’institution diocésaine de Pons, en Charente-Maritime. Sa foi fut jugée insuffisante pour être ordonné prêtre. Amer ou mû par un esprit de vengeance, Combes considère dès lors que « L’anticléricalisme est l’œuvre la plus considérable et la plus importante pour l’émancipation de l’esprit humain ». Il semble alors se lancer dans une véritable guerre ouverte contre l’Eglise catholique.
À partir de 1902, il fait appliquer durement la loi de 1901 sur les associations – votée sous le gouvernement de Pierre Waldeck-Rousseau (1846-1904), qui oblige alors les congrégations religieuses à se déclarer pour obtenir une autorisation d’activité et d’enseignement. Il ordonne la dissolution de près de 3 000 congrégations jugées non conformes. La situation entraîne de vives protestations de plusieurs dizaines d’évêques. Désireux conjointement de faire reculer la langue bretonne et d’indisposer le clergé régional, Combes impose même aux prêtres comme aux congrégations religieuses, par la circulaire du 29 septembre 1902, l’usage du français notamment pour les cours de catéchisme. À défaut de quoi, les congrégations sont interdites de prodiguer leurs enseignements. Cela engendre un vif mécontentement en Bretagne. À Saint-Méen-le-Grand (Ile-et-Vilaine), plusieurs centaines de personnes font le blocus entre le 21 juillet et le 18 août 1902, afin d’empêcher l’expulsion de la communauté de religieuses dont l’Ecole est dès lors menacée. L’affaire s’achève avec l’intervention du sous-préfet Verne, accompagné d’une cinquantaine de gendarmes et de 400 soldats de l’infanterie de marine. Les barricades sont prises d’assaut et une bagarre générale éclate sans qu’un seul coup de feu ne soit pour autant tiré. Les portes de l’Ecole des religieuses sont finalement ouvertes mais les fonctionnaires sont aspergés de purin.
Moins de deux ans plus tard, en dépit des vives critiques qu’il essuie, Emile Combes, ordonne, le 7 juillet 1904, la fermeture des écoles religieuses et interdit toute fonction d’enseignement aux membres des congrégations. La situation préoccupe alors le républicain modéré et Breton, Waldeck-Rousseau, à quelques semaines de sa mort : « Ce qui se passe en Bretagne m’inquiète beaucoup. Mes compatriotes se montrent rarement, mais quand ils sortent de leur calme, ils sont capables d’aller jusqu’au bout ». Waldeck-Rousseau est emporté quelques semaines plus tard, le 10 août 1904, par un cancer du pancréas.
La fin d’année 1904 et le début de l’année suivante s’écoulent dans une ambiance délétère où le scandale des « Fiches » (voir encadré) vient étayer la thèse d’une politique viscéralement anticatholique. Le gouvernement Combes finit par tomber, le 18 janvier 1905.
L’affaire des Fiches (1900-1904) Emile Combes témoigne d’une pugnacité partisane, au gré des années qu’il assure en tant que Président du Conseil. Il finit par être éclaboussé, en octobre 1904, par un verticale scandale dont l’origine remonte à 1900. Ministre de la Guerre de mai 1900 à novembre 1904, le général Louis André (1838-1913), fervent dreyfusard, fit établir, des années durant, en collaboration étroite avec le Grand Orient de France, un système de fichage de tous les officiers français. Assimilé à une véritable chasse aux sorcières, ce fichage permet de consigner les orientations politiques desdits officiers et d’identifier parmi eux les catholiques pratiquants. Les 20 000 fiches ainsi établies permettent, en conséquence, de promouvoir les officiers jugés foncièrement laïcs et républicains convaincus. Cette affaire provoque un véritable tollé dans le monde politique. Le 4 novembre, le député nationaliste Gabriel Syveton (1864-1904), gifle même Louis André en pleine séance de l’Assemblée nationale. André finit par démissionner le 15 novembre 1904 et le gouvernement Combes est dissous peu après, en janvier 1905.
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Le 24 janvier 1905, c’est à Maurice Rouvier (1842-1911), ancien président de l’Union des gauches, alors âgé de 63 ans, que revient la responsabilité de conduire la politique gouvernementale. Politiquement, la situation est particulièrement tendue entre les partis de droite catholique et nationale, et les partis de gauche républicaine. Le processus de Séparation des Eglises et de l’Etat, alors en gestation tout au long de l’année 1905, déchaîne les passions.
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A suivre, dans le numéro 231 d’ESPRITSURCOUF: « Réactions et conséquence à la loi de 1905 »
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(*) Pascal Le Pautremat est Docteur en Histoire Contemporaine, diplômé en Défense et Relations internationales. Il est maître de conférences à l’UCO et rattaché à la filière Science Politique. Il a enseigné à l’Ecole Spéciale militaire de Saint-Cyr et au collège interarmées de Défense. Auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Études de Défense nationale), ancien membre du comité de rédaction de la revue Défense, il est le rédacteur en chef d’ESPRITSURCOUF. Son dernier ouvrage « Géopolitique de l’eau : L’or Bleu » est présenté dans le numéro 152 d’ESPRITSURCOUF. |
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