Criminalisation de la France :
Pourquoi en sommes-nous là ?

Xavier Raufer (*)
Criminologue

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L’auteur identifie plusieurs causes majeures quant à l’incapacité de l’Etat à apporter des solutions optimales à la criminalisation qui pèse sur nos territoires, et notamment dans les métropoles régionales.

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Le procureur de Grenoble a récemment fait des déclarations inquiétantes dénonçant un système mafieux installé sur la ville. Au-delà du trafic de drogue, des chantiers sont à l’arrêt, des entreprises de BTP rackettées… Grenoble est-elle la seule concernée en France ?

Mauvaise connaissance de la criminalité en haut lieu

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De temps à autres, un magistrat (dont la parole est moins contrainte que celle des autres agents du domaine régalien) se réveille comme d’un cauchemar – et le réel criminel lui saute aux yeux. Car à Grenoble comme ailleurs en France, il s’agit bien de crime organisé, non de mafias. Une fois encore, nous n’avons pas de mafias en France (l’Italie, l’Albanie, la Turquie, oui, pour rester dans des pays proches). Ni même en Corse, où le milieu criminel est certes actif, mais où des farfelus fantasment une mafia qui, dans cette île, n’a jamais existé.

Le choix des mots importe, car si le diagnostic est faux, le traitement échoue. Donc il s’agit, à Grenoble comme à Marseille, Toulouse, Nîmes et bien d’autres villes, de lutter contre une classique emprise criminelle.

Pourquoi échoue-t-on ? Parce que l’appareil régalien français ne sait plus rien, ou presque, du phénomène criminel. Aux écoles des commissaires de police et magistrats, les programmes sont ceux de futures assistantes sociales, au détriment des sciences criminelles. Toujours plus sur les minorités (sexuelles ou autres) bien peu sur les bandits. Moins encore de criminologie, si c’est possible, à l’ENA et écoles qui la remplacent. À la fin, sur le terrain, ça se paie.

Donc dans leur enseignement supérieur, les futurs commissaires et magistrats n’apprennent rien sur ce qu’ils affronteront vraiment sur le terrain – où d’ailleurs, ils vont toujours moins car accaparés de tâches bureaucratiques ou justificatives du respect de droits humains, eux-mêmes sans cesse plus pointilleux, diversifiés et complexes. Il faut bien dix ans à tous ces acteurs de la police et de la justice du quotidien pour réaliser le réel du terrain, dans la vraie vie. Là, ils montent dans la hiérarchie – et rebelote pour leur successeur.

Et les magistrats de terrain ? De 2014 à 2022, leur « Guide des infractions » a doublé de volume (infractions souvent redondantes… farfelues… politiquement correctes… on en passe).

Tout cela provoque une masse considérable de travail en plus, sans personnel, matériel ou assistance en supplément. En outre, les affaires de crime organisé sont complexes, l’intimidation et la corruption rendant les enquêtes plus ardues encore.

Pourquoi en est-on arrivé là ?

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Pour que l’appareil d’État avance, il doit se fixer des priorités. Or la criminalité en France n’est pas une priorité pour la présidence Macron. Ce que l’être humain n’évalue pas, il le dévalue. De fait, l’actuel président et ses gouvernements ne savent même plus parler de crime. Ils n’évoquent que la « délinquance », processus psychologique bien connu d’édulcoration : ce qu’ils n’osent affronter, ils répugnent à l’énoncer.

Du jour où le président tape sur la table, parle clairement de crime ; dès lors qu’il priorise réellement – et non fictivement, comme bavardage médiatique – la lutte contre le crime, la moitié du travail est déjà accompli. « Selon le proverbe, le commencement est la moitié de l’ouvrage ; tout le monde s’accorde à louer à un beau commencement. » (Platon, Les Lois).

Quelle étape a été manquée ? D’un point de vue policier ou pénal ? Ou sociétal (éducation, immigration…)

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Signe de la grande répugnance nos gouvernants à affronter le crime, en France, le ministère de l’Intérieur ne dispose d’aucun service de renseignement criminel. Renseignement, c’est-à-dire proactif. Différent du Sirasco, qui après coup, fait un travail documentaire sur le crime organisé – sans le publier d’ailleurs car sinon, on réaliserait que la plupart des criminels organisés actifs en France sont, soit des étrangers, soit issus de l’immigration – ce que précisément, nos gouvernants s’acharnent à cacher aux Français, de peur qu’ensuite, ils ne votent « mal. »

Donc première étape, pour redresser la barre, créer un vrai service de renseignement criminel, du type National Crime Agency britannique. Et publier ses travaux. Qui fait quoi ? Où ? Comment ? Que les Français y voient clair, au lieu d’être sans cesse bernés ou infantilisés.

Que faire pour stopper la dérive à Grenoble comme ailleurs ?
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C’est simple : pour réduire fortement la pression criminelle en France, il faut et il suffit d’appliquer le code pénal tel qu’il est aujourd’hui, et de rectifier dans cette voie les priorités du ministère de l’Intérieur. Avoir dans cette perspective des ministres régaliens sérieux, capables d’affronter le réel criminel et d’agir véridiquement au lieu de multiplier les mensonges, sur fond de tam-tam médiatique fictif et de communisation illusoire, ne ferait pas de mal.

Car comment les malfaiteurs peuvent-ils un seul instant prendre au sérieux – c’est à dire craindre – des ministres ou préfets envahissant les plateaux télévisés pour vanter l’excellence de leur travail, alors qu’à Marseille par exemple, sur 360 jours de l’an 2023, les homicides et tentatives (morts et blessés graves) ont explosé de + 60% sur 2022 ? Mieux que personne, ces bandits savent qu’explosion il y a bel et bien : c’est eux-mêmes qui tuent et qui meurent.

Leur mentir, mentir aux Français, c’est se déjuger ; c’est prendre le risque d’aggraver encore la crise criminelle.

 

(*) Xavier Raufer, criminologue, est directeur d’études au pôle sécurité-défense du Conservatoire National des Arts et Métiers. Il est Professeur associé à l’institut de recherche sur le terrorisme de l’université Fu Dan à Shanghaï, en Chine, et au centre de lutte contre le terrorisme, la criminalité transnationale et la corruption de l’Université Georges Mason (Washington DC). Directeur de collection au CNRS-Editions, il est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à la criminalité et au terrorisme, répertoriés dans la rubrique LIVREd’ESPRITSURCOUF.

Il a écrit  “A qui profite le djihad ?”  publié en mars 2021 aux Éditions Cerf, et présenté dans la rubrique LIVRES dans le numéro 164.

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