2023
Symphonie d’un nouveau monde
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Vincent Gourvil (*)
Pseudonyme d’un haut fonctionnaire
Docteur en sciences politiques
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Cette fin 2023 est l’occasion, pour l’auteur, de dresser une rétrospective de l’année écoulée en matière de relations internationales et de conflictualité. Ce qui, conjointement, ouvre sur des perspectives et préoccupations majeures pour l’année à venir. Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur.
« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres » (Antonio Gramsci). Tel est le spectacle dont nous avons été les témoins au cours de 2023, année la plus chaude jamais observée, y compris sur le plan du climat géopolitique ! Une sorte de changement de paradigme des relations internationales dans le désespoir. Le monde est à un tournant. Tous les indicateurs sont à l’orange, voire au rouge. Nous vivons au rythme de l’insécurité internationale qui accompagne parfois l’insécurité intérieure. Le retour de la conflictualité est une évidence que l’on ne peut ignorer. Pas plus que la fin de la coexistence pacifique entre les nations.
LE RETOUR DE LA CONFLICTUALITÉ : GUERRE SANS PAIX
La banalisation de la guerre
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Pour le Chef d’état-major des armées, François Lecointre : « Avec naïveté, nos sociétés ont pensé que la guerre était archaïque ». Son enracinement constitue une donnée incontournable. La guerre fracture la planète entre un Occident sur le déclin et l’émergence d’un Sud Global. Les militaires tiennent le haut du pavé en Ukraine et à Gaza. L’Azerbaïdjan ne fait qu’une bouchée du Haut-Karabakh dans l’indifférence générale. Les théâtres de conflit externes ou internes, voire les zones de tension, ne manquent pas : Yémen, Érythrée, Soudan, Birmanie, Kosovo, Haïti, Indo-Pacifique, compétition sino-américaine économique et technologique … Nul n’entrevoit les moyens d’éteindre les incendies ou de prévenir ceux qui couvent à bas bruit. Fait inquiétant, le monde se réarme depuis le début de la guerre en Ukraine. La guerre constitue le nouveau moyen de règlement des différends entre États dans un temps de brutalisation des relations internationales. Le monde de l’incertitude ne se dirige-t-il pas vers une guerre plus large marquée par une éruption de convulsions ?
La multiplication des crises
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Les guerres engendrent diverses crises : alimentaire, humanitaire, migratoire, numérique, mondialisation, montée de la violence de nos sociétés (criminalité, cyberattaques, narcotrafics, mafias, communautarisme …). Le FMI s’inquiète d’une fragmentation de l’économie mondiale marquée par un ralentissement de la croissance mondiale plombée par l’inflation. Le commerce mondial traverse un trou d’air. Une crise inédite de la dette frappe les pays pauvres (Afrique). Ce constat signe l’échec du système financier international et, plus généralement, du système multilatéral. Les GAFAM évoluent dans un univers sans loi. La COP28 constate la multiplication des phénomènes climatiques paroxystiques et le non-respect par les États de leurs engagements souscrits à Paris en 2015 à la COP21. Elle se conclut sur un résultat mitigé marqué au sceau de l’ambiguïté constructive. Le sommet Biden-Xi de San Francisco dresse le constat des désaccords bilatéraux qu’il laisse aux diplomates le soin de réduire à défaut de les aplanir.
LA FIN DE LA COEXISTENCE : DIPLOMATIE SANS CONFIANCE
Le retour des égoïsmes nationaux
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Outre la multiplication des conflits classiques, nous assistons à l’activisme d’une internationale terroriste contre l’Occident avec le retour de la menace islamiste en Europe (assassinat d’un professeur à Arras, d’un adolescent à Crépol). La défiance remplace la confiance. La coercition l’emporte sur la coopération. La violence l’emporte sur la paix. L’exclusion l’emporte sur l’inclusion. La vérité alternative fait place à la vérité objective. La désinformation déstabilise les démocraties. Plus personne ne parle de médiation, de conciliation, d’arbitrage …pour apaiser les tensions croissantes dans le monde. La France fait le deuil de de son passé colonial avec ses anciennes colonies d’Afrique à la suite des coups d’état au Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger). L’Afrique n’est plus la chasse gardée de l’Europe. C’est au moment où la diplomatie serait la plus utile qu’elle s’efface chaque jour un peu plus (Cf. suppression du corps diplomatique en France). Le monde est malade de sa multipolarité. La cacophonie est permanente. Si tout le monde a droit à la parole, quelle parole peut encore faire droit ? De l’impuissance des mots pour régler les maux.
Le délitement du système multilatéral
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Aujourd’hui, la planète évolue dans un épais brouillard diplomatique. Les diplomates peinent à réduire les fractures d’un monde miné par le soupçon. C’est l’heure du grand retour des Etats dans la mondialisation, accompagné de l’obsolescence programmée du système multilatéral de régulation de l’ordre mondial. Le G7 s’inquiète des restrictions commerciales imposées par la Chine et la Russie. Le G20 constate la crise du multilatéralisme et l’échec de la gouvernance mondiale. L’élargissement de la participation aux BRICS correspond à une volonté du Sud de s’émanciper de la tutelle pesante de l’Occident. Pendant que l’Europe de la défense piétine, signe du déclin de l’empire européen, l’OTAN étend sa sphère d’influence (Finlande, Suède). L’Onu se contente de faire de la figuration, faute de consensus entre ses principaux États membres. Il en va de même pour les organisations régionales (OSCE, Conseil de l’Europe, Union africaine, CEDEAO, CELAC, Ligue arabe, l’OCS dont Iran devient membre …). Cette situation est d’autant plus préoccupante que le monde semble évoluer bord du gouffre.
L’insécurité internationale
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« L’avenir n’est jamais que du présent à mettre en ordre. Tu n’as pas à le prévoir, mais à le permettre » (Antoine de Saint-Exupéry). Quoi de plus à ajouter ! Le monde change radicalement en 2023. Nous assistons à sa transformation comparable à celle intervenue en 1945. C’est pourquoi, le système multilatéral mis en place après la Seconde Guerre mondiale doit rapidement être repensé pour être reconstruit afin de pouvoir jouer son rôle d’amortisseur des chocs des plaques tectoniques. On ne peut relever les défis d’un futur imprévisible avec les recettes d’un passé révolu. Il faudra bien que les dirigeants de la planète ouvrent grands leurs oreilles pour comprendre la signification des accents de cette symphonie d’un nouveau monde qui a marqué de son empreinte l’année 2023.
(*) Vincent Gourvil est le pseudonyme d’un haut fonctionnaire, par ailleurs Docteur en sciences politiques. |
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