ESPIONNAGE RUSSE
EN EXPANSION
.Sergueï Jirnov (*)
Consultant en relations internationales
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L’arrestation en France d’un lieutenant-colonel de l’armée française en poste à l’OTAN a fait les choux gras des médias le dimanche 30 août. La ministre des armées Florence Parly a eu la désagréable obligation de donner quelques explications à la radio et à la télé (Europe-1 et LCI). L’occasion pour l’auteur, ancien officier supérieur du KGB, de brosser à grands traits un tableau de l’activité des services de renseignements russes en France. Les chiffres qu’il donne relève de sa seule responsabilité, car ils sont évidemment invérifiables.
La ministre des Armées a indiqué avoir saisi la justice (dans le cadre de l’article n° 40 du Code de la procédure pénale) à l’encontre d’un officier supérieur soupçonné de trahison pour « atteinte à la sécurité ».
Ensuite, des sources judiciaires anonymes ont indiqué aux médias qu’une enquête préliminaire avait été diligentée par le parquet de Paris bien avant que cette histoire ne sorte au grand jour. Une information judiciaire avait été ouverte déjà le 29 juillet 2020 et le suspect avait été mis en examen le 21 août des chefs d’accusation « de livraison d’informations à une puissance étrangère, collecte d’informations portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation en vue de les livrer à une puissance étrangère, intelligence avec une puissance étrangère portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation et compromission du secret de la défense nationale par une personne dépositaire de ce secret ».
Ce que l’on sait
Selon les fuites sur l’enquête, plus ou moins organisées par des sources policières et judiciaires, cet officier aurait été arrêté par la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) alors qu’il s’apprêtait à repartir en Italie à la fin de ses vacances en France, et placé en détention provisoire à la prison de la Santé à Paris. Le lieutenant-colonel serait en poste sur la base de l’OTAN du Commandement des forces alliées (NATO Allied Joint Force Command Naples – JFC Naples) à Lago Patria dans la métropole de Naples. Agé d’une cinquantaine d’année et père de cinq enfants, il parlerait russe et aurait été vu en Italie en compagnie d’un homme identifié comme un agent opérationnel et recruteur du GRU.
Le ministère des Armées a indiqué aux médias avoir déjà pris les mesures de sauvegarde nécessaires, et faire confiance à la justice pour enquêter convenablement sur ces agissements malveillants de la Russie. Il « lui apportera toute sa coopération, dans le respect du secret de l’instruction en cours », a indiqué le ministère dans un communiqué. Ce qui est assez ironique à la lumière des nombreuses fuites dans les médias, qui ont paru surpris par ces révélations. Pourtant, cette affaire n’aurait pas dû surprendre. Ce qui est étonnant c’est qu’il n’y ait pas eu beaucoup plus d’affaires similaires en France, vu l’ampleur des activités d’espionnage russe.
La menace russe énorme dans le monde.
Les services russes d’espionnage – le SVR et le GRU – sont très actifs. Les nombreuses affaires des 20 dernières années en témoignent : l’expulsion des 10 clandestins russes des USA en 2010, l’affaire Skripal en 2018, la mise en évidence d’une base arrière du GRU en Haute Savoie et en Suisse en 2019, pour ne nommer que celles-ci. Rien qu’en cours de l’été 2020 les espions russes ont été pris en faute et expulsés du Norvège, des Etats-Unis, de l’Autriche et de Hollande. Encore ne s’agit-il là que d’affaires rendues publiques. Souvent les règlements de comptes et les expulsions se passent en catimini et sans scandales médiatiques, entre « gentlemen » de l’intelligence.
Vu les agrandissements spectaculaires des sites des deux services russes d’espionnage qui ne peuvent pas être cachés de l’observation aérospatiale, leurs effectifs et moyens en chiffres absolus, toujours tenus secrets par la Russie, ont doublé en volume depuis la dislocation de l’URSS et l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, ancien agent du KGB (Komitet Gossoudarstvennoï Bezopasnosti ou Comité pour la Sécurité de l’État). Les effectifs actuels du GRU (Glavnoye Razvedyvatel’noye Upravleniye ou Direction générale des renseignements) sont estimés à 25 mille officiers de carrière et ceux du Service des renseignements extérieurs (SVR) ( à 15 ou 20 mille.
Cette armée de 40 à 45 mille espions russes professionnels (OT : officiers traitants) contrôle, dirige et manipule dans le monde des centaines de milliers de « sources » étrangères (les traîtres intentionnels ou les imbéciles qui divulguent des secrets sans le savoir) et jusqu’à 500 mille indics dans la diaspora russe à l’étranger que l’on appelle dans ce métier les « honorables correspondants » (quand bien même il n’est rien de vraiment honorable à trahir son pays ou à servir les services d’espionnage dans leurs activités ouvertement criminelles).
La faible réponse à la menace russe.
Face à cette menace d’espionnage russe, l’Occident comme l’Orient n’ont pas grand- chose à répondre, tant sur le plan étique, juridique et judiciaire que sur le plan opérationnel.
D’abord, parce que tous les grands pays, spécifiquement tous les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, font exactement la même chose ; Ils possèdent eux aussi leurs agences d’espionnage et leurs espions professionnels rattachés à la Direction générale de la Sécurité extérieure DGSE) et à la Direction du renseignement militaire (DRM) en France) qui violent en permanence, à l’instar de la Russie, toutes sortes de conventions internationales sur les relations diplomatiques, consulaires et commerciales, sur le secret des communications et de la vie privée, sur le respect de la propriété intellectuelle, etc.
Deuxièmement, parce que les services secrets occidentaux, plus particulièrement les services de contre-espionnage et d’antiterrorisme, sont débordés par d’autres menaces et manquent constamment des moyens. En France, depuis Sarkozy qui avait cassé la Direction de la surveillance du territoire (DST) et les Renseignements généraux (RG) en les réunissant au sein de la Direction centrale du Renseignement intérieur (DCRI) avec coupures de budgets et d’effectifs, le service de sécurité, de contre-espionnage et d’antiterrorisme n’arrive toujours pas à retrouver le bon équilibre.
Pour faire face aux menaces accrues avec ses moyens réduits, la DGSI est obligée de choisir ses priorités qui sont clairement la sécurité intérieure du territoire contre le terrorisme islamiste, international ou domestique. Du coup, les activités de contre-espionnage classique, notamment contre l’accroissement des services russes et chinois, en pâtissent. A un moment donné vers 2014, on estimait que le secteur russe (H4) au siège de la DGSI à Levallois-Perret n’était doté que d’une trentaine ou quarantaine d’OT.
Alors que…
Alors que les antennes françaises du SVR et GRU sous couverture diplomatique mobilisent au minimum un tiers des effectifs de l’Ambassade de Russie à Paris, des représentations russes auprès de l’UNESCO, d’Interpol et d’Europol, et des consulats russes en France. Alors que la totalité des diplomates russes (plusieurs centaines), des personnels en poste dans les représentations consulaires, commerciales, culturelles et journalistiques (plusieurs milliers), sont contrôlés en France par les antennes du FSB (ministère de sécurité russe, successeur du KGB) et obligés de collaborer en cachette avec les services russes, sinon l’état russe les rappelle immédiatement de France.
Alors que tous les médias russes en France (RT, Spoutnik, RIA Novosti, rédaction russe d’Euronews, etc.) sont les vecteurs évidents de la propagande russe extrêmement agressive et invasive. Alors que la majorité des dizaines de milliers de ressortissants russes vivant en France représentent un vivier énorme de recrutement d’indics et « d’honorables correspondants » pour les opérations de sape insidieuses contre leur pays d’accueil – la France.
Alors que tous les centres culturels et religieux, toutes les associations culturelles, linguistiques et sportives d’amitié avec la Russie, et toutes les églises sont le terrain de chasse privilégié d’espions russes pour recruter des « idiots utiles » parmi des français qui croient vivre dans le monde des bisounours et ne perçoivent absolument pas cette menace russe à sa juste valeur.
Nombreux sont les Français trop naïfs, y compris parmi les parlementaires et dans l’exécutif, dans les médias et les partis politiques, qui tombent volontiers dans le piège de la propagande poutiniste. Elle laisse croire, sous le rideau trompeur des prétendus sentiments antiaméricains ou des faux discours francophiles, que le régime de Poutine pourrait être un allié fidèle de la France. Selon les documents secrets russes, la France est en réalité toujours classée comme un ennemi et une cible pour les activités d’espionnage du Kremlin.
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(*) Sergueï Jirnov, ancien officier supérieur du KGB, s’est exilé définitivement en France en 2001 avec le statut de réfugié politique. Il est consultant en relations internationales et en géopolitique. Il est l’auteur du livre « Pourchassé par le KGB : la naissance d’un espion », paru aux éditions Corpus Délicti en 2019 et présenté dans la rubrique LIVRES du n°145 D’ESPRITSURCOUF
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Bonne lecture et rendez-vous le 05 octobre 2020
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