O.N.G. :
INDISPENSABLES ET DYSFONCTIONNELLES

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Marc LE BRIZE (*)
Expert en sécurité
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1ère partie.
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LA FACE CACHEE

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En s’appuyant sur une longue expérience de terrain, principalement en Afrique, Marc Le Brize brosse un tableau sans complaisance des Organisations Non Gouvernementales, où il a œuvré à maintes reprises. C’est donc une analyse de première main. Nous vous la présentons  en deux parties, sachant que la seconde, qui paraitra dans le prochain numéro de notre publication, mettra en avant les solutions que l’auteur préconise pour atténuer défauts et dysfonctionnements des ONG.
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Jusqu’au XIXème les «Charités» ou «Fraternités» laïques ou religieuses secouraient les déshérités. En 1866 Henri Dunant a créé la Croix Rouge, 1ère organisation internationale neutre, la 1ère ONG.

Les années 1970 virent la création d’un nouveau concept : le «sans-frontiérisme», créé par des Médecins retour du Biafra en 1969/70, dénonciateurs des non-interventions de la Croix Rouge qui, respectant les accords gouvernementaux au nom de son «principe de neutralité», limitait ses actions vers les populations en danger. Médecins-Sans-Frontières naquit en 1971 puis Médecins du Monde, Action Contre la Faim, Handicap International, Pharmaciens Sans Frontière. L’ex-Yougoslavie en fit naître un bon nombre, subventionnées par ECHO (l’Office Humanitaire de l’Union Européenne 1992)… Minuscules au début et composées de bénévoles, leur excellent rapport qualité/ coûts et leur rapidité de déploiement intéressèrent très vite les bailleurs nationaux et internationaux d’aide et de coopération

Distribution d’eau dans un camp de réfugiés. C’est une ONG qui fournit le camion- citerne. Photo MSF

Le monde des ONG


Leur développement fut exponentiel, les ONG, sauvant des millions de vulnérables, en vinrent à gérer des milliards d’Euro, des dizaines de milliers de volontaires, expatriés et employés locaux, des centaines de permanents salariés.

Le mode opératoire est simple, chaque ONG fait, après évaluations sur le terrain, des propositions de programmes ciblés. Dans tel pays en crise, devant telle population affectée, avec tels besoins (médicaments, nourritures, abris, camp…), il faut tant de mois, tant de ressources humaines, expatriées et locales, tant de moyens techniques (communication, véhicules, maisons, bureaux…), tant de budget.

Les opérations sont d’urgence (Haïti, Syrie…), de reconstruction, de développement. Les financements viennent directement ou indirectement des impôts : subventions de bailleurs institutionnels (Coopération, UE, ONU…), de dons individuels privés (les «fonds propres») déductibles des impôts, collectés par des grandes campagnes organisées par des agences média spécialisées. Du fait de la permanence des crises, les financements sont renouvelables ad libitum.

Le recrutement s’opère pour le terrain (les «expatriés» et «locaux») et pour le siège («permanents»). Les missions sont dirigées par des cadres Européens (volontaires au début puis promus salariés), expatriés pour 1 à 3 périodes de quelques mois. Ils supervisent des directeurs, cadres et employés locaux, tous salariés, recrutés en CDD pour la durée du programme.

Au siège en France il y a : des directeurs, anciens volontaires de terrain, souvent des fondateurs ; des comptables ;  des cadres et employés – anciens volontaires terrains passés permanents siège après quelques missions. L’organisation s’appuie sur les services  : les bureaux (ou desk ou Cellule) en charge des missions par régions du monde (5 à 8 pays) – les services techniques : urgence, logistique, Médicale, pharmacie, informatique – les supports administratifs : compta, RH, administrations, gestions voyages – les relations bailleurs de fonds institutionnels et donateurs/campagnes de levés de fonds – les formations – la communication interne – les relations publiques et le lobbying – la Direction et le Conseil d’Administration.

Haïti, un hôpital détruit par le séisme réinvesti par Médecins Sans Frontières.
Photo MSF

Les ONG: Organisations des universitaires


Dès l’origine le système est en place : une agrégation de Diplômés qui décident d’agir dans l’urgence des crises. Au début peu nombreux, tous médicaux bénévoles et téméraires (Afghanistan années 80), les ONG ont grandi, se sont diversifiées et structurées avec des permanents et des directeurs, des techniciens et des administrateurs. La poignée de médecins enthousiastes et bénévoles a créé un hôpital immense !

Issues du système Université/Grandes Écoles, proche des cercles de pouvoir et des média parisiens, les ONG ont le soutien de Politiques qui ont participé à leur création et qui se font un devoir/plaisir de siéger au Conseil d’Administration (eux ou leur conjoint), c’est médiatiquement valorisant.

Un agrandissement totalement en interne, mais toujours avec les mêmes gens et la même philosophie qu’au départ : recrutement universitaire à tous les niveaux de responsabilités terrain ou siège – très peu de recrutement de cadres et managers professionnels extérieurs – formations initiales aux responsabilités ultra-courtes – aucune doctrine ni philosophie d’organisation ni de hiérarchie – beaucoup de surtravail des volontaires – des permanents/fondateurs qui deviennent dirigeants (d’autres entrent dans le système politico-médiatique) – des Politiques entrant à des postes dirigeants ou représentatifs – turn-over important des volontaires dont quelques-uns restent et deviennent cadres permanents, promotion par défaut.

Les ONG sont passées, sans modification de l’équipage, de la catégorie « petit pécheur côtier » à celle de « porte-avions ».

Des financements permanents sans feed-back négatifs


Une entreprise fonctionne bien tant qu’elle vend. Elle dépend donc de son chiffre d’affaire et de la qualité de ses marges. Désorganisée, elle perd de la rentabilité, ce qui peut l’amener à la faillite. Pour les ONG, la permanence des crises mondiales et la permanence de leur financement sont une rente permanente sans contrepartie. Aussi mal organisée soient elles, les ONG continueront à fonctionner car elles sont nécessaires.

Elles relèvent le plus souvent de structures hiérarchiques mono-classe, associatives et élitistes. Comme si l’Armée recrutait ses Officiers directement à la sortie de l’université et les envoyait commander des troupes coloniales après 15 jours de formations, et ensuite promouvait en interne les mêmes qui se satisferaient de stages théoriques de 2 semaines pour devenir Général. Les ONG sont un exemple d’une structure mono-classe/mono-âge dans son encadrement. Quand Armée, Entreprises ou Sapeur-Pompiers emploient des gens de tous niveaux sociaux et forment longuement leurs cadres aux responsabilités, l’ONG est un système Universitaire dans ses fonctions techniques de support : recrutant un Master Relations Internationales comme chef log et une jeune infirmière comme DRH dans un pays ou Directrice d’Hôpital.

En ONG, la superstructure de hiérarchie, de doctrine et de responsabilités est totalement dépendante d’une mentalité associative et élitiste qui fait que chacun se croit le droit de dire et de décider collectivement, et qu’il n’y a pas de chef. C’est fort démocratique ! Mais il faudrait faire la part entre associatif/volontariat et responsabilités professionnelles. Le contre-exemple le plus évident est celui des Sapeurs-Pompiers : il y a 200 000 volontaires formés, encadrés et promus par les Professionnels (20 000) et des Militaires (3 000). Ils acceptent une hiérarchie, des grades et passent des formations pour accéder aux grades et responsabilités supérieurs.

3 phrases clés de la philosophie ONG : «puisque nous sommes tous diplômés de l’enseignement supérieur, nous n’avons pas besoin de chef» – «je suis expatriée donc je suis cadre» – «ces gens-là (les militaires) ne sont pas de notre monde».

Toute entreprise, en matière de ressources humaines,  a 3 impératifs de qualité : recrutement – formation – encadrement. Dans les ONG seuls les médicaux sont recrutés sur titres et expériences. Pour la gestion et le support, on engage des volontaires diplômés d’Universités/Grandes-Ecoles sans expérience professionnelle ou managériale, qui se retrouvent immédiatement avec d’énormes responsabilités dans un intense turn-over. Tout le système, du haut en bas, est rempli de gens recrutés au même endroit par les mêmes, formés et encadrés par leurs identiques, promus sans formation aux responsabilités.

Des soignants de Médecins Sans Frontières pendant l’épidémie d’Ebola au Congo. Les « médicaux » sont recrutés avec une expérience professionnelle.
Photo MSF

Les volontaires de base ne coûtent pas cher (400 EUR/mois), ils sont enthousiastes et compensent leur manque de professionnalisme par un surtravail allant jusqu’au burnout. Le turn-over important allié à un défaut d’archivage induit la perte d’expériences et de la mémoire des opérations.

Qu’attendre de jeunes diplômé/es ayant passé 2-3 ans sur le terrain avec d’autres jeunes diplômé/es, sinon de recruter les mêmes. D’où des recrutements et des promotions endogènes. Sur le terrain, certaines ONG donnent l’impression d’une réunion festive post-bac. Un cadre blanchi sous le harnois ou un ex-militaire d’OPEX auront du mal à entrer dans le sanctuaire : «ils ne sont pas de notre monde » comme m’a dit en 1996 le Chef de Cabinet de Xavier Emmanuelli, Secrétaire d’État à l’Action Humanitaire. La déformation managériale devient pérenne car le volontaire terrain qui a fonctionné plusieurs années dans un système défaillant ne peut rien apporter d’autres que ces défaillances dans sa carrière de responsable siège.

(à suivre)

Publiée le 20 avril 2020

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(*) Marc Le Brize, fils de militaire, a été cadre en entreprise pendant 15 ans, puis directeur opération/sécurité (terrain et siège) pour plusieurs ONG.  Il a exercé cette fonction pendant 22 ans, dans une dizaine de pays africains. Il a assuré des formations techniques de management de leadership d’équipe. Il fut expert en collaboration Civilo-Militaire (CIMIC). Il enseigne dans un cycle de Masters 2 comme formateur en « management terrain Ops/Sécu ».


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