LA LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE 

LE REMÈDE AU DÉSENCHANTEMENT DES TROUPES ? 

Patrick Toussaint

 

La loi de programmation est intelligente, elle répond à beaucoup d’attentes du monde militaire mais elle n’est en rien suffisante.

Si de nombreux problème, constatés depuis plusieurs dizaines d’années, voient enfin leur prise en compte, elle traite les problèmes sur le long terme, elle ne provoque pas le choc psychologique propre à inverser le « blues » des personnels.

Le problème numéro 1 des armées actuellement est le désenchantement des personnels de leur condition au quotidien.

Actuellement, 60 à 62 % des effectifs ne renouvellent pas leur engagement à la fin de celui-ci et cela quelle que soit l’armée : la terre (65 %), air (58 %), la mer (50 % dans certains postes clés).

Les armées doivent donc à chaque échéance recommencer les actions de formation alors que par ailleurs elles doivent susciter les vocations.

En effet, les armées deviennent de plus en plus techniciennes, les opérations auxquelles les armées participent sont de plus en plus exigeantes – le phénomène du caporal stratégique, le guidage de l’appui de l’aviation au sol, le maintien de la liberté de circulation maritime ou le dépistage d’explosifs- ce qui implique que le personnel participant aux OPEX et aux OPINT soient parfaitement formés ce qui induit un temps de formation long.

Les contrats proposés sont consacrés pour une bonne partie à la formation ce qui réduit le nombre des personnels projetables et nuit à la formation et à la sélection des cadres, leur progression et donc à l’encadrement à tous les échelons – sous-officiers, officiers sous contrat, officiers d’armes ….

Ce phénomène touche toutes armées, toutes les fonctions :

  • C’est la formation des mécaniciens dont la formation complète concerne toujours les mêmes et qui donc s’auto-relèvent en OPEX ; ce sont les marins qu’on ne peut former car il n’y a pas assez de bateaux disponibles pour toutes les spécialités – problème de SNA modernes – ; ce sont les personnels de l’armée de terre qui sont confrontés à des pertes par le fait de matériels obsolètes qui ne les protègent pas mais qui imposent des entretiens longs sur des matériels périmés aux dépens du repos.
  • Ce sont ces matériels vétustes qui découragent les personnels quand ils sont confrontés aux autres armées étrangères.

Cette loi promet beaucoup de choses, et peut-être même sera-t-elle respectée ce qui sera un événement important car aucune loi de programmation n’a vraiment été jusqu’ici respectée, elle répond à beaucoup d’attentes mais le problème est combien de temps faut-il pour que cette modernisation se fasse sentir au niveau de l’opérationnel, au niveau du quotidien ?

On a assez bien identifié ce que demandent les hommes et femmes de nos armées.

C’est tout d’abord l’éternel problème de la solde pour l’armée de terre et l’armée de l’air.

L’ancien Ministre de la Défense, Monsieur Le Drian a fait le maximum pour régler ce problème qui est dans toutes les têtes en opérations mais n’a pas réussi à le régler tant celui-ci est complexe.

Sait-on que l’entreprise qui s’est plantée – terme informatique usuel – dans la conception, dans la mise au point et la mise en œuvre du fameux logiciel Louvois la première fois est celle qui a été retenue une deuxième fois pour apporter la solution ?

Cela est une véritable obsession des militaires en OPEX mais c’est aussi le stress des familles restées dans les garnisons.

La solution apportée sera ressentie comme une véritable modernisation et un immense soulagement.

C’est ensuite l’environnement, c’est d’abord leur cadre de vie quand ils reviennent d’opérations comme dans les opérations intérieures et extérieures.

Cela fait des années que les chefs d’état-major dénoncent des conditions de vie qu’ils qualifient eux-mêmes d’indignes lors des OPINT.

Les remontées d’informations sur le logement en OPINT sont horrifiantes même si des progrès ont été faits mais ce n’est toujours pas suffisant.

Cela concerne aussi l’immobilier des garnisons et les logements civils fournis aux familles de militaires.

Avant de partir pour l’Opération Serval au début 2013, un succès, le général Barrera explique que parmi ses premières tâches avant de partir, il lui a fallu régler ce type de problèmes dans ses garnisons.

Ce problème, bien sûr, est encore plus criant pour les conjoints et enfants qui restent en ville de garnison.

Ecoutons le CEMAT, le général BOSSER devant la commission de la défense du Parlement en fin 2016 lorsqu‘il dit : il me faut 6 euros au m2 pour entretenir, entretenir seulement, l’immobilier alors que je ne dispose que 2 euros et cela reste toujours vrai.

Cela concerne aussi l’environnement en OPEX pour leur logement mis aussi leur équipement personnel : les soldats doivent prélever sur leurs revenus personnels pour s’en procurer faute de matériels existant ou performant.

Cela est dénoncé par les épouses qui donnent des montants parfois très élevés (de l’ordre de 200 euros par mois).

Quoiqu’il en soit, il est inadmissible que les personnels soient obligés de s’équiper à leur frais pour des matériels de base (comme le sac de couchage qui n’a jamais été un « must » du commissariat) mais comprend aussi les treillis, les sacs à dos pour les courtes missions….

Le deuxième point concerne les moyens d’entrainement.

Les personnels voient très bien la nécessité de l’entrainement, qui est un gage de survie mais dont les moyens ne sont pas au niveau : pas assez et pas suffisamment modernes.

Ils sont confrontés à la dégradation des infrastructures, à l’insuffisance et à l’obsolescence des matériels utilisés à cette fin.

Le dernier point est de faire entrer dans les esprits que cette fois, cela y est, les efforts de modernisation sont tangibles, les conditions de vie s’améliorent, les nouveaux matériels arrivent déjà.

On est totalement au niveau du symbole mais cela est important car il faut créer le sentiment que les choses bougent déjà.

Que faut-il faire alors ?

Cela passe par un coup de rein budgétaire bien sûr mais aussi à une mobilisation des crédits envisagés sans différemment de ce qui est envisagé.

Avant toute autre chose, venir à bout du problème des soldes : ce sera un soulagement immédiat pour tout le monde, les crédits doivent être prioritaires et si l’on garde le même prestataire, le soumettre à une forte pression (si ce n’est déjà faite le soumettre à des obligations de résulta cadencées, pénalités à la clé – ce qui n’est pas toujours le cas des contrats militaires mais qui est courant dans n’importe quel contrat civil pour ce type d’affaires).

C’est donc un problème ultra prioritaire pour lequel tous les crédits nécessaires doivent être dégagés et une surveillance féroce doit être assurée.

Ensuite, prévoir immédiatement un programme d’urgence, au besoin hors programmation, global de réhabilitation, de mise aux normes, de construction s’il le faut, de l’immobilier.

Moderniser, dans le même temps, dans les mêmes conditions, les moyens d’entrainement réclamé par tous car c’est une condition de survie.

La loi de programmation prévoit de sur la période 2019 à 2021 des crédits de l’ordre de 1 milliards d’euros pour le seul immobilier. Cela semble insuffisant.

D’autres chiffres sont avancés, de l’ordre de 3 milliards d’euros comprenant l’immobilier militaire et civil utilisé par les armées ainsi que les sites d’entrainements avec terrains, simulateurs, tout ce qui est nécessaire.

Ensuite, un budget a été prévu pour toute une série de matériels que l’on ne traite souvent qu’en queue de programme ou en urgence opérationnelle : nouveaux treillis, nouveaux gilets pare éclats, etc… On appelle cela les petits équipements. C’est intelligent et nécessaire. Il est programmé 300 millions d’euros mais leur mobilisation n’est pas encore complètement définie.

Elle doit être immédiate et nécessaire pour concevoir fabriquer et distribuer des matériels réellement efficaces et adaptés afin que les personnels n’aient pas, sauf choix personnel, à acheter des équipements performanst et adaptés sur fonds personnels.

Il faut donner aux personnels le sentiment que les choses avancent : accélérer la mise à disposition de tous les nouveaux matériels possibles.

Cela a été fait avec les nouveaux véhicules type Masstech T4 (VLTP, Véhicule Léger Tactique Polyvalent) et véhicules légers non protégés, cela doit être fait pour tout type de matériels qui sont déjà choisis mais dont la fourniture aux armées est cadencée sur plusieurs années.

Donc l’urgence est d’appliquer tout programme dans ce qui peut être fait rapidement.

En fait, tous les moyens sont bons, il s’agit de créer une dynamique psychologique : enfin cela bouge dans le bon sens.

Il ne faut pas penser que ce ne sont que des rêves creux : l’argent est là mais peut- être pas aussi important que nécessaire alors qu’il va être utilisé à d’autres fins.

Ne parle-t-on pas de 3 à 4 milliards d’euros pour le SNU – Service National « Utile » ou Universel – pour lequel il faudra dégager, en plus, au minimum 5.000 cadres des armées pour encadrer on ne sait combien de participants qui n’ajouteront rien à la défense.

Puisque l’on peut dégager des milliards pour ce programme, trouver le financement pour accélérer les points criants de tous les jours qui minent les personnels semble être plutôt sensé.

En tout cas, à ce moment, la seule chose certaine, quoique l’on en dise, est que les milliards qui vont servir pour le SNU n’iront pas à la défense pour laquelle ces sommes sont indispensables.

N’oublions surtout pas que les personnels regardent ce qui se passe dans le monde civil et que la bonne formation que l’on donne dans les armées est un gage de rentabilité dans le monde civil.

Nous avons une armée d’une excellence reconnue partout dans le monde, des soldats motivés, efficaces que toutes armées étrangères saluent : ne les décevons pas car nous avons besoins d’eux pour faire face aux menaces qui nous guettent.

 


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