Diplomatie française :
Le bateau ivre

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Vincent Gourvil (*)
Pseudonyme d’un haut fonctionnaire
Docteur en sciences politiques

Dans ce nouveau billet d’humeur, Vincent Gourvil dresse un constat critique de la diplomatie française sous l’ère d’Emmanuel Macron, résultat d’une confusion entre politique étrangère et diplomatie, ainsi que d’une imprécision entre le vouloir et le pouvoir de la part du président français.

Source : MEAE : Entretien de Catherine Colonna avec LIU Jianchao, Ministre du departement international du comité central du PCC.
Date : 11/10/2023 – Crédits : Judith Litvine

« La diplomatie française en état de mort cérébrale ». Si ce jugement de Nicolas Baverez dans la tribune d’un quotidien paraît sévère, il correspond à une réalité objective. En dépit de l’activisme débridé d’Emmanuel Macron, son action extérieure semble inaudible, et peu crédible. Dans un ordre international imprévisible, la voix de la France n’est plus attendue dans le monde comme elle le fut dans le passé. Elle est même parfois raillée à l’occasion des difficultés intérieures que traverse notre pays. Qu’en est-il au juste ? Cette situation relève-t-elle du pur hasard, ou bien est-elle la conséquence d’une accumulation de causes conjoncturelles et structurelles ? Comme toujours dans la pratique diplomatique, il importe de poser le bon diagnostic avant d’en analyser l’étiologie, les causes pour tenter de les traiter de manière adéquate !

Une double défaite : de l’action extérieure…

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Le deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron est marqué par une accumulation de revers diplomatiques. Rares sont les succès que l’on peut mettre au crédit du chef de l’État. Une rapide rétrospective permet de dresser un bilan mitigé de sa diplomatie du « en même temps ». La relation franco-allemande s’étiole tant les sujets de dissensus s’accumulent : char, défense, nucléaire, espace, électricité, Gaza …  La perte d’influence française au sein de l’Union européenne relève de l’évidence. À la suite de plusieurs coups d’État, nous sommes évincés du Sahel : Burkina Faso, Mali, Niger dans des conditions peu flatteuses. La France est persona non grata au Maghreb dont les États délaissent l’usage de notre langue. Au Proche et au Moyen-Orient, la diplomatie française prêche dans le désert comme en témoignent les maigres résultats de la visite d’Emmanuel Macron après les attentats du 7 octobre 2023. Il essuie rebuffade après rebuffade. En dépit de la multiplication de ses déplacements à l’étranger, de ses initiatives brouillonnes, la voix de la France semble démonétisée faute d’un socle conceptuel clair.

… comme de la pensée « complexe »

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Malgré une inflation de prises de paroles, l’on peine à cerner les principaux ressorts de notre action extérieure. Ce ne sont pas les « instructions » données aux ambassadeurs (conférence annuelle, 28 août 2023) qui nous éclairent. Emmanuel Macron pose trois axes pour la diplomatie française (respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de chaque État, parler à tout le monde et bâtir des partenariats équilibrés d’égaux à égaux) et lui assigne trois objectifs (défendre la force, l’influence et l’indépendance de la France, agir pour la paix et la stabilité, bâtir un multilatéralisme efficace). Ces généralités n’ont rien d’une feuille de route opérationnelle. Elles relèvent du registre de l’incantation, de la communication. Elles ne constituent pas une stratégie pérenne de long terme. Imaginer un énième gadget pour répondre à chaque nouvelle crise n’a jamais été efficace. Où se situe la réflexion globale spatio-temporelle sur le monde actuel ?  Où se situe la prospective ? C’est le fiasco du « en même temps » diplomatique. Emmanuel Macron accumule les claques et les bourdes. La France, moquée, humiliée, recule partout.

Qu’en est-il des causes de cette situation de la diplomatie française, des racines du mal !

Une double confusion : entre politique étrangère et diplomatie…

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Le président de la République ignore la différence essentielle entre deux concepts fondamentaux dans la conduite de la politique extérieure d’un État. La politique étrangère, d’abord. Il s’agit du cap qui doit être fixé par le président. En un mot, la stratégie d’un État sur le long terme reposant sur des moyens humains et financiers et sur une volonté de tenir sa place dans le concert des nations. La diplomatie, ensuite. Il s’agit de la route choisie par le capitaine du navire, le ministre des Affaires étrangères pour tenir compte des obstacles rencontrés (crises, changements d’alliances …) tout en ne perdant pas de vue le cap qui lui a été fixé. Rien de tel avec Emmanuel Macron qui pratique les deux exercices « en même temps » dans la plus grande confusion. Il estime que la diplomatie relève de son domaine réservé et de lui seul. Il s’est toujours méfié du Quai d’Orsay et des diplomates. Et il n’a pas de relation privilégiée avec Catherine Colonna. Ainsi, la diplomatie française est confrontée aux limites du jeu d’équilibriste du président. Sans parler de sa pratique de la diplomatie sans diplomates.

… et confusion entre vouloir et pouvoir

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Le chef de l’État estime que chacune de ses propositions sera ipso facto entérinée par ses partenaires et ses opposants, y compris celles sur lesquelles il ne les a pas informées. Il arrive qu’il ne consulte même pas ses conseillers avant de lancer une nouvelle initiative. Il ne parvient pas à comprendre que la phase de consultation en amont est essentielle pour le succès ultérieur de ses idées. Ses propositions étonnent par leur légèreté (Bertrand Badie). Impuissant face à la crise entre Israël et la Palestine, il pratique le grand écart diplomatique. Il passe de l’idée d’une coalition anti-Hamas à « une initiative pour la paix et la sécurité » dont l’accueil est mitigé pour aboutir à la réunion d’une conférence humanitaire à Paris avec un très court préavis. Il confond les paroles et les actes, le vouloir et le pouvoir sur la scène internationale. Emmanuel Macron inaugure à Villers-Cotterêts une cité de la francophonie tournée vers l’international mais s’exprime en anglais lors de ses visites à l’étranger. La contradiction permanente constitue une marque de fabrique de Jupiter.

« Qui trop embrasse, mal étreint ». Ainsi pourrait-on résumer six années d’action extérieure du plus jeune président de la Ve République qui se comparait, en Ouzbékistan, au général de Gaulle ! L’on peine à compter ses succès tant il oublie que gouverner, c’est prévoir, que c’est en anticipant les risques que l’on réussit. Surtout dans un monde où le futur n’a jamais été aussi incertain. La diplomatie, c’est l’art de ne pas être seul, de créer des alliances pour palier ses propres faiblesses. La diplomatie, c’est aussi le grand écart entre le pragmatisme et la vertu. La diplomatie consiste également à s’entourer des avis des experts que sont les diplomates. Or, nous en sommes loin avec l’action extérieure d’Emmanuel Macron. Aujourd’hui, la diplomatie française évolue tel un bateau ivre sur une mer démontée.

 

(*) Vincent Gourvil est le pseudonyme d’un haut fonctionnaire, par ailleurs Docteur en sciences politiques.

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