FRANCE :
OUT OF AFRICA ?

Vincent Gourvil (*)
Docteur en Sciences Politiques

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Dans notre précédente publication, Xavier Raufer, considérant les relations franco-africaines, nous livrait la chronique d’une débâcle amorcée (ESPRITSURCOUF n° 177).
Vincent Gourvil, ici, nous en remet une couche. Bien évidemment, ces propos n’engagent que leur auteur.
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Afrique ! Le quinquennat du Président de la République a-t-il été à la hauteur des ambitions du candidat Macron ? À l’heure d’un premier bilan de sa politique étrangère, la question mérite réflexion, non par esprit de critique systématique, mais par souci de recherche d’objectivité. Pour faire court, les espoirs suscités par son discours de Ouagadougou (2017) n’ont-ils pas été rattrapés par les désillusions du réel (2021) ? Un bref retour en arrière s’impose pour mesurer le chemin, parcouru ou pas, en quatre ans.

2017 : l’Afrique avec la France

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Emmanuel Macron mérite son étiquette de président disruptif. Dès le début de son mandat, il entend marquer de son empreinte la politique étrangère. Il choisit de la dépoussiérer, de poser le diagnostic du monde du XXIe siècle. Ne dit-on pas que l’administration du remède idoine à un mal passe nécessairement par la pose du diagnostic pertinent !

Emmanuel Macron multiplie les discours réformateurs sur les questions diplomatiques d’importance, qu’il s’agisse de la réforme du multilatéralisme (discours à l’ONU du 20 septembre 2017), de la construction européenne (discours de la Sorbonne du 26 septembre 2017), de la santé de l’OTAN (entretien à The Economist du 7 novembre 2019), de l’avenir de la relation entre l’Afrique et la France (discours à l’université de Ouagadougou, 28 novembre 2017, à l’occasion duquel il déclare : « Il n’y a plus de politique africaine de la France »).

Depuis cette dernière déclaration, le chef de l’État multiplie les initiatives en faveur d’une refonte de la relation touchant à divers domaines : militaire (aménagement de la force « Barkhane », appui à la force G5 Sahel, à la MINUSMA…) ; lutte contre le terrorisme, l’obscurantisme et l’extrémisme religieux ; réflexions sur les « routes de la nécessité », sur les défis démographiques, le changement climatique ; aide à la résolution des « conflits politiques » ; à la scolarisation obligatoire des jeunes filles ; à l’accès à la santé ; recherche de réponses aux défis de la mobilité, de l’accueil des étudiants africains en France, de l’innovation et de l’entreprenariat à travers la diplomatie économique ; adaptation de l’aide publique au développement (APD) à travers une réforme de l’Agence française de développement (AFD).

 

Emmanuel Macron, à Ouagadougou, face à 800 étudiants africains. Photo Présidence BF

Pour remplir ces multiples objectifs et relever ces innombrables défis, Emmanuel Macron explore longuement les trois pistes suivantes : la culture, le sport et la langue française à travers le développement de la francophonie. Or, il y a loin de la coupe aux lèvres, de la vérité apprise à la vérité vécue. Ce qui vaut pour le monde en général, vaut pour l’Afrique en particulier.

2021 : l’Afrique sans la France

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Le bilan est aujourd’hui plus que nuancé, tant les déconvenues ont été nombreuses au cours des quatre années écoulées. Nombreux sont les acteurs qui entrent désormais en concurrence, voire remplacent notre pays sur le continent africain : Chinois, Russes, Turcs, pays du Golfe, pour ne citer que les principaux.

La lutte contre le terrorisme marque le pas. Nous avons perdu 53 militaires alors que le fléau islamiste s’étend de l’Afrique l’Ouest à l’Afrique de l’Est en s’attaquant à l’Afrique australe (Mozambique). Moscou pousse ses pions sur l’échiquier africain, déployant en RCA, en Libye, au Mali les mercenaires de sa société militaire privé Wagner au nez et à la barbe des Occidentaux. À titre d’illustration, la base militaire de Djibouti n’est plus chasse gardée de Paris. Américains, Chinois, Japonais sans parler des Allemands, Espagnols et Italiens sont durablement installés dans ce point stratégique.

Les positions économiques et commerciales de notre pays se sont passablement effritées. Dans le cadre de sa « diplomatie d’influence » (Cf. le récent rapport de l’IRSEM), Pékin déploie inexorablement ses « nouvelles routes de la soie ». Fait inquiétant et significatif à la fois, le groupe Bolloré serait disposé à vendre ses activités logistiques en Afrique, l’un de ses métiers historiques.

Nos relations avec l’Algérie sont au plus mal en raison des louvoiements de l’Élysée avec un partenaire difficile, qui ne comprend que le langage clair et constant. La Libye ne parvient toujours pas à se remettre de notre intervention de 2011, contribuant à déstabiliser le Sahel.

Le port commercial de Djibouti. Outre la base militaire française, ce petit pays accueille aussi une base chinoise et une base américaine, le camp Lemonier, seule base militaire américaine en Afrique, où sont déployées 4 000 personnes. Photo DR.

Cerise sur le gâteau, Emmanuel Macron tient, les 8 et 9 octobre 2021 à Montpellier, un « sommet Afrique-France » d’un nouveau genre. Plutôt que de réunir autour de lui ses homologues du continent, le chef de l’État français choisit de débattre publiquement, durant trois heures (« brutalement »), avec les acteurs de la société civile africaine, les diasporas. Que peut-il sortir d’un tel « happening » relevant de  la pure com’ ? La réponse est dans la question.

Le discours sans la méthode

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« Le réel, c’est quand on se cogne » avait coutume de dire le psychanalyste  Jacques Lacan. Grandes ambitions, petits effets. Ainsi pourrait-on résumer les heurts et malheurs de la politique africaine du président de la République. Trompé par son aveuglement sur la réalité des problèmes le conduisant à des volte-face, déçu de voir se dresser des obstacles imprévus face à sa volonté de tourner la page de la Françafrique, égaré par les conseils d’une cellule diplomatique omniprésente et omnisciente ayant pris le dessus sur un Quai d’Orsay inexistant, Emmanuel Macron doit se rendre à l’évidence. Son bilan signe les limites, pour ne pas dire l’échec de la diplomatie française en Afrique. Pire encore, ne sommes-nous pas les témoins d’une lente mais sûre éviction de notre pays sur le continent, dont une partie fut longtemps son pré carré ? Hier en position de monopole, aujourd’hui en position de concurrence. Hier actrice, aujourd’hui spectatrice. Le constat est sévère, France : out of Africa !

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(*) Vincent Gourvil  est le  pseudonyme d’un haut fonctionnaire, par ailleurs Docteur en Sciences Politiques

  Bonne lecture et rendez-vous le 13 décembre 2021
avec le n°179
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