LA GRANDE GUERRE SE
TERMINE…DIFFICILEMENT
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Colonel André Dulou (*)
Écrivain-Historien
La guerre se termine, sur le sol français, le 11 novembre 1918, à 11 heures. Les combats ont-ils cessé pour autant ? Les soldats français désireux de rentrer chez eux ont-ils rapidement regagné leurs foyers. Non ! C’est même le contraire qui s’est passé ! Les statuts, la persistance de menaces armées, la pression sur l’ennemi, la difficile construction d’une armée d’armistice, et l’ambiance politique et sociologique de ces deux années d’après-guerre en sont la cause.
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La Première guerre mondiale a mobilisé trente-trois classes différentes de natifs territoriaux, 40 000 volontaires étrangers, 600 000 hommes en provenance de l’empire. Il faut y ajouter 150 000 indigènes africains, malgaches et indochinois, qui ont eu pour mission le maintien de l’ordre sur leurs territoires respectifs. Au total, la France aura reçu huit millions sept cent mille de ses enfants pour former la masse de ses armées.
Le service militaire
Le 7 août 1913, la Loi Barthou allonge la durée du service militaire à trois années entières. Le recensement doit se faire à l’âge de 19 ans, et l’appel sous les drapeaux a lieu à vingt ans, et non plus à vingt et un ans, ce qui fait que la classe 1914 est sous les drapeaux en 1913. Or, les différentes formes du service sous les armes sont très diverses. On compte déjà des « devancements », des « engagements pour la durée de la guerre », des dispositions plus ou moins civiles, et même des formes féminines de service, dans certains cadres très précis, notamment à l’arrière. On compte alors trois ans à partir de l’entrée au service.
Les soldats, et même certains cadres, estiment en revanche, au moment de l’armistice, « qu’ils ont fait leur devoir ». Les services du recrutement (« le recrutement brave le temps ») n’en démordent pas. Toutes les bonnes dispositions en faveur de la reconstruction à venir n’y feront rien. Les soldats incorporés en 1915 peuvent quitter le service en 1918, la plupart ne retourneront chez eux qu’à partir de janvier 1919, avec une difficulté supplémentaire à leurs yeux : celle de ne toucher qu’une solde réduite et un mince pécule au moment de rentrer à la maison. Il est également capital de gérer les 600 000 prisonniers français, que l’on doit réinsérer en France, après parfois quatre années de captivité.
Pour les autres, ceux de 1916, 1917 et 1918, des permissions seront consenties. Elles seront à l’initiative de chefs qui ne veulent surtout pas de mutineries, ou dont le taux d’attrition de leurs effectifs pourrait leur valoir de mauvaises appréciations. La Loi demande aux soldats devant retourner chez eux de rendre leurs effets, casques, brellages, pantalons, vestes, chemises et souliers. Les vols, notamment de souliers, de bottes, et de chemises se multiplient.
Il faut attendre 1923, et la Loi du 1er avril, pour que la durée du service soit réduite à dix-huit mois, avec des nouveautés, comme la reconnaissance de cadres issus du contingent. Pour les cadres, on note une disparité importante à la fin de la guerre. D’une part, un grand nombre de sous-officiers, promus officiers, ne veulent pas retourner dans le civil. D’autre part, le manque flagrant de sous-officiers « de carrière » se fait sentir, les hommes des classes moyennes aspirant à ne pas continuer sous l’uniforme. Les emplois d’officiers de la Grande guerre se montent à 195 000. 104 000 ont été promus sous-lieutenant au cours de la guerre.
Au haut commandement, on trouve à la fin de la guerre 502 officiers généraux de division, alors que 40 seulement occupent des fonctions d’état-major. La paix révèle une évolution considérable dans la conduite de la guerre, passée jusqu’alors inaperçue, celle de la négociation entre chefs alliés. Il aura fallu le 7 août 1918, pour que Foch, élevé à la dignité de Maréchal, puisse exercer les fonctions de général en chef des armées alliées. Ceci engage une forme de pérennité dans le statut des officiers français. Et perturbent du même coup un retour à la « normale » du budget des armées. Alors que jusqu’en 1912, les dépenses de l’Etat se montent à 5 milliards de francs (de l’époque), l’effort de guerre, dès 1914 et jusqu’en 1919 au moins, porte les dépenses à plus de 38 milliards.
Ce n’est pas le seul écueil dans le devenir des soldats. De nombreux rescapés veulent se grouper, une fois revenus dans le civil. Ils savent qu’en demeurant sous l’uniforme, ils ne pourront pas s’associer, sauf sous le mode mutualiste. Il faut attendre 1926 pour que soit créée l’union des anciens combattants. Cependant, les soldats ayant connu l’épreuve du feu se méfient, et se montrent très scrupuleux sur la délivrance du titre d’ancien combattant et de la carte du même nom.
LA PRESSION SUR L’ENNEMI
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La paix est fragile : ainsi en Allemagne, Philipp Scheidemann proclame la République le 9 novembre 1918, mais démissionne, pour ne pas avoir à signer la paix.
Au début du mois de décembre 1918, les troupes alliées franchissent l’ancienne frontière, à Mars-la-Tour pour occuper la Rhénanie. Il faut donc des troupes d’occupation. Cette occupation, commencée dès le 19 novembre par l’arrivée de Pétain à Metz, ne débute pas par des acclamations, les habitants résistent souvent à l’arrivée de soldats qu’elles ne reconnaissent pas comme vainqueurs.
L’armée d’armistice est nécessaire ; il lui faut gérer les prisonniers ennemis, les encadrer et les ramener en Allemagne. Elle est surtout indispensable dans la difficile négociation du traité de paix. L’ennemi ne doit pas pouvoir reconstituer une force capable de prendre une revanche souhaitée dès la fin des combats. La pression sur l’adversaire confirme alors l’adage qui veut qu’ « on ne peut négocier que lorsqu’on est en position de force ». Certes, les hommes n’apprécient pas, mais les conditions de la victoire ne seront consacrées qu’au prix de ces sacrifices. Les mutineries sont localement très modérées, et la répression ne sera pas aussi intense qu’on pourrait le supposer.
DES COMBATS QUI PERSISTENT
Par ailleurs, des soldats français sont en campagne à l’Est de l’Europe pour tendre un « cordon sanitaire » contre la propagation de la révolution bolchevique. Il faut défendre les intérêts français en Ukraine et en Russie. Trois divisions sont maintenues par le gouvernement français, une seule division stationne en Roumanie, sous les ordres du général Berthelot, puis du général Louis Franchet d’Espèrey. Notons qu’une escadre, celle de l’amiral Amet maintient la pression en mer, avec six cuirassés, trois croiseurs et une dizaine de torpilleurs et d’avisos.
Ces troupes se heurtent à des bandes et doivent combattre. Les bandes de Gregoriev sont les plus actives et les plus habiles. Les Français doivent évacuer Kherson Nicolaïev et Odessa, du 10 mars au 19 avril 1919. Il y a alors de graves remous dans les troupes engagées, et le rapatriement apaise momentanément les mutins. Jusqu’au 28 juin 1919, il faut compter quelques condamnations modérées pour une centaine d’individus, entre quelques mois et quinze années d’emprisonnement.
Le 28 juin 1919, le traité de Versailles est signé. Puis le 10 septembre 1919 et le 4 juin 1920 sont signés deux traités, qui consacrent la dislocation de l’Empire austro-hongrois, et la naissance de nouveaux États, comme la Pologne, la Tchécoslovaquie, la Yougoslavie. Le traité de Neuilly, du 27 novembre 1919, répartit une certaine concession territoriale de la Bulgarie à ses voisins. Il faut attendre le traité de Sèvres, du 11 août 1920, pour régler le sort de l’Empire ottoman. Les Français vont alors administrer ce qu’on appellera le Levant (la Syrie, le Liban, et une part de la Turquie) jusqu’en 1946.
Les armées françaises ont largement contribué, par leur présence aux portes des adversaires d’hier, à faire prendre les décisions qui régissent l’ordre mondial nouveau. Les soldats ont combattu jusqu’aux dates ultimes des arrangements diplomatiques. Il faut bien admettre que ce que l’on appelle la paix n’a pas été tout de suite synonyme de « non guerre ».
L’écueil administratif qu’il est utile d’évoquer ici résulte justement de ces escarmouches, au cours desquelles le nombre de soldats blessés et tués dépasse largement 4000. Alors que leurs camarades tombés au champ d’honneur avant le 11 novembre 1918 peuvent être déclarés « morts pour la France », recevoir à titre posthume la croix de guerre, la Médaille militaire, la Légion d’honneur, les soldats engagés après la date du cessez le feu se trouvent « en mission », ou « en service commandé ». Un premier règlement leur confère la possibilité de proroger le bénéfice des campagnes jusqu’à la signature de traités. Bientôt, il faut décider du statut des militaires qui stationnent sur la rive gauche du Rhin, ceux qui servent en Orient, et ne pas oublier ceux qui ont maintenu l’ordre en Afrique, au Moyen-Orient, et dans l’Indochine, le Cambodge et le Laos. Plusieurs décrets se superposent alors, et la gestion des hommes de l’armée de terre reste très difficile jusqu’en 1923.
LA GRIPPE ESPAGANOLE, LES GUEULES CASSES ET LES FOUS.
L’hiver 1918 – 1919 connut le virus H1N1 ; cette pandémie se répandit avec une virulence jamais constatée depuis l’épidémie de peste du XIVème siècle. Les armées françaises n’échappèrent pas à cette maladie spectaculaire par son ampleur et par la mortalité qui en résulta. Pour ceux qui en étaient atteints, le port du masque fut ordonné, mais sans résultats probants. En 2018, un article de l’AFP indique que « la grippe espagnole de 1918, fut une tueuse plus efficace que la Grande Guerre »
Cette affection grippale doit être décrite avec précision, car elle a provoqué dans le monde plus de 50 millions de morts, alors que ses origines ne sont pas clairement établies. Si elle a été caractérisée « espagnole », c’est tout simplement par souci de conserver aux armées une discrétion certaine, d’autres diront « un secret militaire ». On désigna alors l’Espagne comme pays de première apparition, en raison du nombre incroyablement élevé de victimes que l’affection y entraîna.
En mars 1918, on recense les premiers cas parmi les soldats américains du Kansas. Sans doute ramenée d’Europe dans quelques convois militaires au printemps de l’année 1918. Les deuxième et troisième vagues de la maladie vont être mortelles pour un grand nombre d’hommes atteints au sein de l’armée de terre française. On pense que le virus a muté, puis s’est répandu sans que l’on puisse trouver comment s’en protéger. Si aujourd’hui, l’origine aviaire d’autres virus est largement discutée, celui de 1918 est probablement d’origine animale. Cette grippe espagnole va frapper principalement les groupes de jeunes hommes, de 20 à 40 ans : le virus devient dangereux pour les poumons, dont les sécrétions engorgent les voies respiratoires, entraînant la mort par asphyxie.
Cette épidémie d’une gravité inédite s’explique par la concentration d’hommes, les mouvements de troupes, et l’abaissement des défenses immunitaires des soldats, du fait de la guerre. Par ailleurs, certains médecins confondent vite les effets du virus avec d’autres affections. Les déplacements vers l’arrière, ou vers des centres de soins diffusent la virulence de la maladie, avec une rapidité inaccoutumée. Il ne faut pas oublier que les taux d’attrition des unités militaires, par les mises en quarantaine de sections, de compagnies, puis d’unités plus nombreuses, a posé au commandement un défi d’une portée exceptionnelle. Comment en effet organiser les unités, mais aussi comment renvoyer dans leurs foyers, des soldats malades ? Le service de santé des armées va se structurer, sur le plan administratif, et de manière éclatante, en refusant de rendre à la vie civile (de « libérer ») des soldats qui ne seraient pas en état sanitaire de s’intégrer au sein de la population.
Les rapports officiels du début de l’année 1919, celui plus complet de décembre 1919, montrent combien le service de santé a été d’une parfaite éthique et d’un grand professionnalisme dans la recherche à la fois fondamentale et opérationnelle pour éradiquer la maladie. Le virus ne sera identifié qu’en 1934.
La Société des Nations met sur pied le comité de la santé et de l’organisation de l’hygiène, qui obéit à l’enjeu d’une meilleure prise en compte de ce genre de fléau. Parmi les victimes fameuses de la grippe espagnole : le peintre autrichien Egon Schiele mort le 31 octobre 1918, le poète français Guillaume Apollinaire (9 novembre 1918), son compatriote dramaturge Edmond Rostand (2 décembre 1918).
A cette affection singulière, il faut ajouter ce qui impacta largement le coût de la victoire pour la France et ses armées. Un million trois cent cinquante mille militaires, dont 36 000 en provenance d’Afrique du Nord, 35 000 soldats des colonies, sont morts au combat. 700 000 veuves et autant d’orphelins sont dénombrés dès 1920. Un million cent dix mille soldats sont reconnus comme invalides à divers degrés, dont 390 000 mutilés et 200 000 gazés. Les gueules cassées naissent de la volonté de l’union des 15 000 défigurés de la face.
Il y a également une catégorie oubliée : ceux qui, traumatisés à divers degrés, sont obligés d’être soignés dans des hôpitaux spécialisés : on les appelle « les fous ». Ils sont évacués vers le grand Sud-Ouest, en 1920, et un cimetière leur est dédié, près de l’édifice psychiatrique de Cadillac, non loin de Bordeaux : quelques 900 sépultures, marquées par une croix de fer, montrent le nombre de ces combattants « mutilés du cerveau », que nous ne devons pas oublier.
La France se relève, doucement
On pourrait relever mille anecdotes, et autant de tragédies personnelles, militaires, civiles, autour de ces familles détruites, de ces femmes obligées d’accomplir ce que leurs hommes n’avaient pas pu faire, pendant qu’ils luttaient. La France se relève doucement. Le retour des hommes aux champs, aux usines, aux commerces est long, et le temps passe, passe, alors que les maisons doivent être reconstruites, que les hectares rendus inutilisables doivent être nettoyés des obus non explosés, et que les usines doivent se reconvertir, alors qu’elles fabriquent encore des munitions, des canons, des avions, dont la France a encore besoin, pour exister.
Dans ces conditions, les déserteurs ont été rares, alors que les autorités ont concédé des permissions en nombre, au cours du printemps et de l’été 1919, puis au cours de la fin de l’hiver 1920. Il y a eu un certain nombre de « retards », constatés au retour des permissionnaires. Lorsqu’ils étaient parisiens, la police ne tenait que peu compte de ces difficultés, et remettait les individus recherchés dans le train, sans autre forme de procès. Parmi les absents irréguliers, il y eut peu de condamnations, et peu de punitions. A peine quelques dizaines entre décembre 1918 et juillet 1919, et encore moins à l’automne 1919. En revanche, au cours de l’été 1920, dès le mois de juin, une montée du nombre de retards de permission alerta le commandement qui prit, notamment envers les troupes stationnées le long du Rhin, quelques mesures pour l’exemplarité.
Les « libérations anticipées pour bonne conduite » firent l’objet de peu de demandes, notamment de la part des hommes dont la profession civile était dans l’agriculture ou l’industrie. Les auteurs sont partagés sur ce point, car le travail des femmes lors de l’absence des hommes a largement persisté dans ces deux années d’après-guerre. L’installation psychologique des hommes dans une forme de laisser-aller après la tension de la guerre y est peut-être pour quelque chose. Le peu de refus d’obéissance relevés pendant la période 1918 – 1921 est significative.
Les élections du 14 novembre 1919 désignent une colossale majorité qui donnara une couleur à la chambre des députés, la « chambre bleu horizon ». Il s’agit d’une coalition de centre-droit dont les députés ont pour la plupart porté l’uniforme au cours de la Grande Guerre, principalement dans l’armée de terre. On y distingue déjà deux tendances d’importance. D’une part, l’intérêt porté aux combattants, aux poilus, est une priorité liée à la reconstruction nationale. D’autre part, le devoir de mémoire vient conforter la véritable urgence d’une fraternité que la solidarité va agrémenter d’une grande force d’âme.
En guise de conclusion, permettez-moi un souvenir personnel. Lorsque j’étais jeune lieutenant, à 28 ans, ma garnison était Verdun. J’y ai tenu les fonctions de chancelier de la 15ème brigade mécanisée, et il n’a pas été rare qu’un poilu vienne me trouver, parce que, dans un groupe d’anciens en pèlerinage, il se sentait désemparé et voulait renouer avec l’armée. Je fus invité un jour par une de ces associations, une amicale d’un régiment qui « avait fait Verdun ». Le restaurateur, croyant bien faire, avait placé un petit écriteau de bienvenue « aux anciens combattants ». Lorsque nous entrâmes, ils furent au moins trois à sortir un stylo, et à rayer le mot « anciens ».
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(*) Colonel (cr) André Dulou
André Dulou est né le 26 janvier 1947 à Sainte-Savine, dans la banlieue de Troyes, dans l’Aube.
Président de la Gironde de la société des membres de la Légion d’honneur, président d’Aquitaine des membres de la Légion d’honneur décorés au péril de leur vie.
Il a travaillé dans une grande entreprise de construction navale, puis Ancien élève de l’école militaire d’administration, il devient Chancelier, chef de cabinet, spécialiste des questions d’événements graves, il quitte le service actif avec le grade de colonel.
Diplômé technique, breveté, il est auditeur du CFRH et de l’IHEDN.
Écrivain, historien, rédacteur en chef de la revue Floréal an X, auditeur de l’IHEDN
Il est directeur des relations médias d’ESPRITSURCOUF.
André Dulou est l’auteur de nombreux romans….plusieurs ont été présentés dans la rubrique LIVRES d’ESPRITSURCOUF dans les numéros 116 du 15 juillet 2019 « Campagne interdite », 133 du 09 mars 2020 « Amère Discipline » et 149 du 19 octobre 2020 son dernier ouvrage « Cyber-Caprices »
Bonne lecture et rendez-vous le 30 novembre 2020
avec le n°152
D’ici là, pour une bonne santé, prenez soin de vous.
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