La justice en temps de guerre

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Christian Fremaux (*)
Avocat honoraire
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Les Ukrainiens dénoncent avec horreur les crimes de guerre qu’auraient commis l’armée russe, et crient leur indignation en constatant que la justice internationale ne bouge pas. Ce qui réveille les humeurs de l’auteur, qui saute sur son porte-plume dès qu’il entend qu’on interpelle la justice.

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La justice est traditionnellement représentée avec un bandeau sur les yeux. Serait-elle aussi sourde ? L’agressé voudrait que l’on déclenche immédiatement des poursuites pénales contre l’agresseur et ses complices, qu’on les embastille, et que la justice soit plus forte que le tir des armes. Ce serait simple et expéditif mais  ne supprimerait pas les antagonismes profonds. L’heure de la justice n’est pas encore venue.

Comment organiser un procès équitable aux normes juridiques universelles alors que, sous menace nucléaire, pleuvent quotidiennement les obus et les drones kamikazes, que les soldats meurent et que les victimes directes ou collatérales sont innombrables.

Les opinions publiques ont choisi leurs camps.  La communauté internationale a montré ses limites. Les grands principes des droits de l’homme ne sont plus acceptés sans réserve. Et les espoirs d’un « plus jamais cela » ont été déçus.

Sauf à souhaiter que la guerre s’éternise jusqu’à une capitulation totale ou partielle de l’Ukraine, ou à une défaite actée de la Russie qui bouleverserait l’ordre du monde, il va bien falloir que la diplomatie s’en mêle. Ou qu’une médiation avec des personnalités neutres et insoupçonnables soit mise sur pied. Les professionnels savent concilier les contraires et trouver des solutions pratiques, parfois inédites ou que l’on croyait impossibles.  Il faut leur faire confiance.

Chacun a de prétendues bonnes justifications. Mais la Russie ne peut poser des conditions préalables comme la conservation de tous les territoires annexés par les armes. L’Ukraine ne doit pas exiger avant de discuter le retour d’un seul coup à la situation d’avant. Dans ces circonstances, quel rôle peut jouer la justice internationale et de quelles juridictions parle-t- on au vu des expériences passées ?

La justice internationale ne pose aucune condition préalable. Quand elle est régulièrement saisie, elle répond en droit aux questions qui lui sont posées : quels sont les crimes ? Qui a fait quoi ? Qui est responsable ? Elle ne fait pas de politique ou de morale. La justice internationale condamne les coupables avérés, après enquête, débats contradictoires et plaidoiries. Chaque accusé peut se défendre. On se rappelle le procès de Nuremberg en 1945-46 et la condamnation (à mort) de dignitaires nazis. Mais les hostilités étaient terminées.

Cérémonie d’ouverture de l’année judiciaire, le 18 janvier 2018, tenue par la Cour Pénale Internationale en son siège de La Haye. Photo CIP

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La Cour Internationale de Justice [CIJ], basée à La Haye, est l’organe judiciaire de l’ONU, où la Russie dispose au conseil de sécurité d’un droit de veto. Il faut donc passer par l’assemblée générale, où des pays peuvent être réticents et s’abstenir. La CIJ juge les Etats. Son contentieux le plus ordinaire porte sur les conflits frontaliers. 

La Cour Pénale Internationale [CPI]  a été créée en 1998 par le traité de Rome. Elle aussi a son siège à la Haye, avec un centre de détention.  Elle est saisie par un Etat signataire du texte fondateur, par son procureur, ou exceptionnellement par l’Onu dans le cadre du chapitre VII du traité.  Sont dans son viseur les individus, chefs d’Etat ou de guerre, soldats de métier, mercenaires, civils… enfin tous ceux qui ont une responsabilité dans les atrocités. Sa compétence est limitée aux crimes de guerre et d’agressions, aux génocides, aux crimes contre l’humanité. Elle se substitue à la justice nationale si celle-ci est défaillante. Elle peut incarcérer. 

Des tribunaux pénaux internationaux dédiés à des conflits déterminés ont été créés. Ainsi pour le Rwanda avec le génocide des Tutsis, ou pour le Cambodge avec les khmers rouges. Pour l’ex-Yougoslavie l’ancien président Milosevic a été condamné. Il est mort en prison. 

Mais la justice internationale n’a pas le pouvoir d’arrêter un affrontement violent. Dès le début de la guerre contre l’Ukraine, la CPI a ouvert une enquête et a pris une ordonnance (un jugement) pour enjoindre à la Russie de cesser toutes opérations militaires. On a vu le résultat. Ces  juridictions ne disposent d’aucune force coercitive. Il n’y a pas de magistrats casques bleus. Le glaive de la justice est le droit international public, les traités internationaux, le droit de la guerre et les droits de l’homme. C’est un moyen pacifique. Et symbolique.

Le principe de conviction n’exclut pas celui de réalité. Les victimes  ont un droit inaliénable et non négociable à la vérité et à la réparation, malgré les raisons d’Etat. C’est souvent long mais on y arrive. Personne ne peut bénéficier d’une immunité. On a besoin de croire en la justice et en des exemples pour l’humanité.

(*) Christian Fremaux, avocat honoraire du barreau de Paris, est diplômé de CEDS (centre d’études diplomatiques et stratégiques), auditeur de l’IHEDN, et président d’honneur de l’association des auditeurs de l’INHESJ (Institut National des Hautes Etudes de Sécurité et de Justice). Il a enseigné jusqu’en 2005 à HEC et dans plusieurs universités parisiennes. Il a été élu à l’Académie des Sciences d’Outre-mer et est actuellement président de séance auprès du Conseil des Prudhommes de Paris. Il a publié de nombreux articles dans la presse régionale, nationale ou spécialisée. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont « les Français victimes de leur administration » aux éditions Michel Lafon.

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