Rapport Duclert :
Les dés étaient pipés

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Général (2S) Michel Fruchard (*)
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Le rapport présenté par le professeur Duclert, sur les évènements du Rwanda au début des années 90, n’est pas passé inaperçu. Les réactions se sont répandues immédiatement dans les médias et les réseaux sociaux. Ce qui en ressort fait fulminer notre auteur, qui a vécu cette affaire au plus près, au sein du gouvernement.

 

A vrai dire, peu de gens ont eu le temps de lire intégralement ce rapport (il pèse plus de 1200 pages). Ce qui n’a pas empêché de le commenter abondamment à partir des conclusions. Si pratiquement tout le monde reconnaît son intérêt dans la découverte de détails ignorés, beaucoup constatent qu’il n’apporte rien de bien nouveau quant aux grandes lignes du dossier rwandais

En fait, ce qui alimente essentiellement les commentaires, ce sont les jugements portés par le professeur Duclert, même s’il dit que tel n’était pas son rôle. Pour lui, la France n’a pas été complice du génocide, mais, par son aveuglement, elle en porte une lourde responsabilité… Il vient même d’ajouter qu’elle devrait présenter des excuses.

Il est vrai que le mandat de la commission Duclert, tel que le définissait la lettre de mission émanant du président de la République, lui demandait un rapport sur le « génocide des Tutsi ». Les termes ont été pris au pied de la lettre par le professeur Duclert et son équipe, pour qui les seuls massacres de masse entre 1990 et 1994 n’ont concerné que les Tutsi. Du coup un voile pudique a été jeté sur les crimes incontestables du FPR avant, pendant et surtout après le génocide, crimes qui se poursuivent encore, qu’a dénoncés le rapport Mapping et que continue de dénoncer au péril de sa vie le Dr Mukwege, prix Nobel de la paix.

De même, la commission Duclert n’a pris en compte ni l’histoire de cette région des Grands Lacs, ni l’environnement international (on ne peut pas dire que la Belgique, les États-Unis, Israël, l’ONU ont été absents de la crise), ni la suite du drame et son prolongement en République démocratique du Congo.

Donc, le professeur Duclert, comme un lecteur qui connaîtrait la fin du roman, a cherché dans les archives qui lui ont été confiées, et a trouvé évidemment, les traces de ce fameux aveuglement de la France qui va sinon provoquer, mais du moins permettre le génocide.

Alors, faisons un peu de politique-fiction uchronique. Nous sommes le 1er octobre 1990, le FPR vient de franchir la frontière ougandaise et attaque en direction de Kigali. Le professeur Duclert est président de la République française. Que faire ?   Trois stratégies s’offrent à lui.

Ou bien la France évacue ses ressortissants et retire ses coopérants. Résultat prévisible : le FPR s’empare du pouvoir après avoir défait l’armée rwandaise et massacre un certain nombre d’Hutus. Un régime dictatorial s’installe à Kigali. La politique africaine de la France, qui vient de connaître une inflexion notable après le discours de La Baule, voit sa crédibilité largement entamée.

Ou bien la France s’engage militairement contre le FPR et détruit son bras armé, l’AFR, en échange de la démocratisation du régime Habyarimana. Résultat prévisible : pas de génocide, mais la France est accusée de néocolonialisme.

Ou bien la France essaie de concilier le pouvoir du président Habyarimana et le FPR. C’est la voie qui a été choisie par le président Mitterrand. Une pression constante a donc été exercée par la France pour faire évoluer le régime en place vers la démocratie dans la droite ligne du discours de La Baule. Cette stratégie a permis d’aboutir aux accords d’Arusha qui établissaient un véritable partage du pouvoir politique et militaire et le multipartisme.

Beaucoup y ont cru. Mais il est vrai que, entre le FPR qui voulait le pouvoir sans partage et les extrémistes hutu qui ne voulaient pas partager le pouvoir, la voie était étroite. L’attentat du 6 avril 1994 qui a provoqué la mort du président Habyarimana a eu raison du processus d’Arusha, avec les conséquences qu’on connaît aujourd’hui : le génocide et l’établissement à Kigali d’un régime tout aussi autoritaire et ethniciste que pouvait l’être celui d’Habyarimana. L’attentat a donc été déterminant : c’était l’avis de Carla Del Ponte (procureure du tribunal pénal international) et je m’étonne que le professeur Duclert ait pu dire que le génocide aurait eu lieu même sans lui.

J’abandonne la politique-fiction, dont on peut débattre bien sûr. Mais encore une fois, j’affirme que le professeur Duclert, peut-être parce que c’était son mandat, peut-être inconsciemment aveuglé à son tour par les grands cimetières sous la lune rwandaise, a eu une approche favorable au FPR, dont il ne remet pratiquement jamais en cause les déclarations alors que celles du régime Habyarimana sont considérées avec suspicion.

Le professeur Duclert ne me semble donc pas qualifié pour juger de la politique française du Rwanda.

Si, sur la foi du rapport, le président Macron présentait des excuses à l’occasion de son futur déplacement à Kigali, il se placerait en position de faiblesse et reproduirait ce qui fut reproché au pouvoir mitterrandien, c’est-à-dire une « compromission » avec un régime autoritaire et ethniciste…en attendant que dans dix, vingt ou trente ans, une nouvelle commission Duclert dénonce son aveuglement.

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(*) Michel Fruchard, saint-cyrien de la promotion Vercors (1960-1962),  a suivi une carrière classique d’officier des Troupes de Marine. Il a commandé notamment le 2° RPIMa de Pierrefonds (La Réunion) et les Forces armées en Guyane. Il a terminé en 2000 comme général de division,  inspecteur des Troupes de Marine, le dernier d’une longue tradition.
D’août 1990 à juillet 1993, il a été chargé du suivi des questions africaines et des DOM-TOM au cabinet militaire du ministre de la Défense Alain Richard. C’est à ce titre qu’il a eu à connaître de la crise rwandaise

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