Sommet pour la démocratie:
Un pschitt !
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Vincent Gourvil (*)
Docteur en Sciences politiques
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Réunir un sommet pour la démocratie était une promesse de campagne du candidat Joe Biden. Élu président, il l’a organisé les 9 et 10 décembre derniers. Mais on n’a vu aucune photo rassemblant les 110 chefs d’État invités. Et pour cause, tout s’est déroulé en visio-conférence, Covid oblige. Mais que cela soit en virtuel ou en présentiel, cette « grand-messe » diplomatique ne trouve pas grâce auprès de l’auteur. Ses propos, bien évidemment, n’engagent que lui-même.
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Alors que leur aura ne cesse de faiblir dans le monde, les pays occidentaux possèdent un art consommé de s’enfermer dans des impasses. Tels les cabris immortalisés par le général de Gaulle, ils sautent sur leur chaise en disant, démocratie, état de droit, droits de l’homme. Généreuses pétitions de principe régulièrement mises à mal à l’épreuve des faits. Rien ne vaut un exemple, celui du sommet virtuel pour la démocratie (« The Summit for Democracy ») organisé par Joe Biden les 9 et 10 décembre 2021. À une participation problématique fondée sur des choix arbitraires s’ajoute un ordre du jour aléatoire ne débouchant sur rien de concret. Pouvait-il en être autrement en un temps où la démocratie américaine est en crise et où les fameuses « valeurs », dont se rengorgent les Occidentaux, sont si souvent mises à mal au contact du réel ?
Una participation problématique
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Comment définir objectivement une démocratie ? La tâche n’est pas aisée par les temps qui courent sauf à s’en tenir à une réponse conjoncturelle conforme au pragmatisme anglo-saxon. Ainsi dit, ainsi fait. Les Américains dressent arbitrairement la liste des 110 heureux États qui pourront participer à cette rencontre voulue par leur président. Et, le résultat ne manque pas de sel. Washington explique que la sélection des élus s’est faite au cas par cas selon des considérations géopolitiques et bilatérales. Parmi les invités, on trouve l’Angola, le Brésil, la République démocratique du Congo, l’Irak, la Pologne, les Philippines, la Serbie, la Turquie ou encore Taïwan …
La Hongrie est exclue au même titre que la Chine et la Russie. Pour l’administration démocrate de Joe Biden, il s’agit de prendre date, de se compter au-delà des conférences géographiques et contextes politiques variés. Rappelons que les Américains ne sont pas des parangons de vertu en matière de protection des droits de l’homme (Afghanistan, Irak, Guantanamo…). C’est souvent la parabole de l’hôpital qui se moque de la charité. Dans cet ordre d’idées, Joe Biden confesse que son pays devrait « combattre sans relâche pour être à la hauteur de ses idéaux démocratiques ». Ceci présente au moins le mérite de la clarté.
Un ordre du jour aléatoire
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Destiné à « renouveler la démocratie à l’intérieur et à se confronter aux régimes autocratiques à l’extérieur », cette rencontre diplomatique de haut niveau se concentre sur trois thématiques : défense contre l’autoritarisme, lutte contre la corruption et défense du respect des droits de l’homme. Tous objectifs aussi généraux que généreux ! Les sanctions, dans le cas de figure l’exclusion de la participation à une réunion internationale, ne résolvent aucun problème. Si elles permettent de donner bonne conscience à ceux qui les imposent, elles crispent ceux qui en sont les victimes, les rejettent hors du système au lieu de les en rapprocher.
Diaboliser, en particulier nos deux « rivaux systémiques » (Chine, Russie), est-il de nature à faire progresser la noble cause de la démocratie dans la bonne direction ? La réponse à cette question est pour le moins contrastée à la lumière de l’expérience passée. Sur le dossier ukrainien, le président américain et son secrétaire d’État sont toutefois contraints de traiter avec leurs homologues russes, ne pouvant faire autrement dans un contexte de crise aigüe, de bruits de bottes. On retrouve la vertu cardinale du dialogue et de la diplomatie dans les relations internationales, surtout lorsque la coercition prend le pas sur la coopération. Force est de constater que la question de la participation à ce sommet hypothèque gravement ses résultats.
Un maigre résultat
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Comme cela était amplement prévisible, les résultats de cette conférence internationale sont décevants en dehors de quelques bons mots, de quelques bons sentiments et d’une clause de revoyure en 2022. Washington effectue le service minimum : critique des mauvaises gouvernances, éloge du travail de la presse, lutte contre la corruption, appel au sursaut des démocraties … L’intérêt de cette réunion tient plus à son existence qu’à son contenu. Une question est posée. Ce sommet virtuel contribue-t-il à développer la confiance ou bien renforce-t-il la défiance entre les acteurs clés de ce début de XXIe siècle au moment où nombreux sont les États qui récusent les valeurs de la démocratie ? La réponse est dans la question.
La Chine se renforce sur tous les plans et sur tous les continents. La Russie joue de la diplomatie des marges, étend son influence en Afrique. Dans une rare tribune conjointe, les ambassadeurs chinois et russe à Washington fustigent l’exclusion de leur pays de ce sommet en des termes forts. En dernière analyse, Joe Biden, piètre stratège, jette Moscou dans les bras de Pékin, coalisant involontairement ses adversaires (Cf. sommet Xi-Poutine en marge des JO de Pékin).
Plus qu’inutile, ce sommet est contre-productif. Il affaiblit le multilatéralisme Onusien que prétend défendre la nouvelle administration américaine qui pratique un multilatéralisme à la carte. Ce faisant, elle enfonce un clou supplémentaire dans son cercueil tout en prétendant le sauver. Après le fiasco afghan, cette manière d’agir signe vraisemblablement la fin de l’hyperpuissance américaine sur le temps long.
« La démocratie, c’est aussi le droit institutionnel de dires des bêtises » (François Mitterrand). Dans le cas de figure, nous pourrions ajouter de faire des bêtises. Exercice diplomatique dans lequel les États-Unis excellent. L’Amérique s’arroge le droit de définir qui représente le Bien ou le Mal, qui est une démocratie et qui ne l’est pas alors, voire va jusqu’à tenter d’imposer la démocratie dans le monde à travers des interventions militaires comme en Irak. Et cela alors qu’elle traverse une sérieuse crise de la démocratie sur le plan intérieur.
Dévoyer le concept de démocratie à des fins peu avouables contribuera vraisemblablement à renforcer la polycrise que connaît le monde du XXIe siècle. Quatre-vingts ans après Pearl Harbor, trente ans après la fin de la Guerre froide, et alors que 2022 marque l’année du doute et du recul de l’influence de l’Occident, une chose est certaine : ce sommet virtuel pour la démocratie a fait un authentique pschitt.
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(*) Vincent Gourvil est le pseudonyme d’un haut fonctionnaire, par ailleurs docteur en sciences politiques. |
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