IL FAUT ABATTRE
LA STATUE DE SULLY…
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Alain Chouet (*)
Ancien responsable à la DGSE
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Certains ont réclamé la destruction de la statue de Colbert, qui orne le flanc droit de l’entrée monumentale de l’Assemblée Nationale à Paris.
Qualifié pour la circonstance de l’élégante épithète de « fils de pute » pour avoir promulgué au XVIIe siècle le « Code Noir » qui réglementait la propriété et l’utilisation des esclaves dans les Antilles, cet odieux ministre de Louis XIV devrait être rayé de notre mémoire collective et sa statue vouée au concassage d’une disparition bien méritée.
Mais il ne faut pas s’arrêter là ! Car trône en face de lui, en une parfaite symétrie, la statue de Maximilien de Béthune, duc de Sully, ministre de Henri IV, dont les petits écoliers de France psalmodient depuis plus d’un siècle la fameuse mais insupportable sentence économique : « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France ». Sachant que les vaches n’ont qu’une mamelle à quatre pis, les brebis une mamelle à deux pis et que les truies ont huit mamelles, la phrase de Sully renvoie évidemment à l’image de la femme ainsi réduite à son rôle genré et domestique de femelle allaitante soumise à la domination patriarcale.
Donc, à la casse la statue de Sully, dont le nom devra être définitivement rayé des livres d’histoire ! Pour Victor Schoelcher, c’est déjà fait. Des justiciers lucides ont abattu trois ou quatre de ses statues. Ce pusillanime ministre de la deuxième république a rédigé, signé et promulgué le décret d’abolition de l’esclavage en France en 1848. Mais, sans doute inexcusablement distrait ou peu convaincu de la pertinence de son initiative, il a oublié d’y inclure les excuses et la repentance de sa République toute neuve. Idem ici et là pour des statues de Christophe Colomb, coupable par sa découverte de l’Amérique d’avoir ouvert la voie au génocide (bien réel il est vrai) des Amérindiens.
J’en passe tant il semble que l’arrachage, le déboulonnage et le concassage de statues est devenu un sport à la mode. J’attends d’ailleurs qu’on fasse subir le même sort aux statues de Platon, Cicéron et César, tous propriétaires sans le moindre remords d’une pléthore d’esclaves. Idem pour Pierre le Grand et Catherine de Russie, les Califes Fatimides, les Empereurs de Chine, les rois Ashantis et Yorubas, le Calife de Sokoto, les Sultans de Zanzibar. A la trappe ! A la trappe ! comme le préconisait le regretté roi Ubu.
Et pourquoi s’arrêter aux statues. Les livres sont bien plus pernicieux comme le notait Ray Bradbury dans « Farenheit 451 ». Déprogrammer les films comme « Autant en emporte le vent » est un subterfuge misérable. Il faut d’abord brûler le livre dont cet indigeste monument du cinéma est tiré. D’autant que le tout aussi indigeste bouquin de Margaret Mitchell n’est que roupie de sansonnet à côté de l’immonde « Case de l’Oncle Tom » de Harriet Beecher Stowe. Au feu, la Case l’oncle Tom ! Et que dire du « Robinson Crusoë » de Daniel De Foe qui, naufragé tout seul sur une île déserte, trouve le moyen de s’y faire un esclave en la personne de Vendredi ? Au feu Robinson ! De grands autodafés sont aujourd’hui indispensables pour imposer la vérité et effacer si c’est encore possible la culpabilité des fautes d’hier, comme l’avaient fort bien compris les sages ecclésiastiques de l’Inquisition dès le XIIIe siècle et les avisés chefs fascistes du XXe siècle.
La liste des livres à brûler n’est ni limitée ni exhaustive et il faudra dans tous les cas caviarder les portraits de Gustave Flaubert et jeter au feu son insupportable « Madame Bovary ». Il la décrit comme le modèle de la bourgeoise éthérée et alanguie, femme-objet un tantinet nymphomane, volontairement soumise au désir libidineux des mâles dominateurs et à leur violence. Les plus indulgents pourront manifester un peu de tolérance au « Moby Dick » de Hermann Melville, bien qu’il illustre les atteintes au bien-être animal et à la biodiversité. Mais après tout, le Capitaine Achab réserve sa hargne assassine à une baleine blanche. Il n’y a que demi-mal.
On peut tout de même se féliciter de toutes ces actions qui vont au-delà de l’esquisse symbolique. Enlever sa cigarette à Lucky Luke pour la remplacer par un brin de paille était plutôt minable. Confisquer sa pipe au Monsieur Hulot de Jacques Tati n’allait pas bien loin.
Des esprits forts ont même ricané de la manie de Staline de faire retoucher les photos de groupe des dirigeants du Parti communiste soviétique pour en éliminer peu à peu tous ceux qui ne lui plaisaient plus, jusqu’à se retrouver tout seul sur certaines photos « de groupe ». Nous ne pouvons pas nous contenter de ces pratiques qui relèvent d’une infantile pensée magique.
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(*) Alain Chouet
Ancien chef du Service de renseignement de sécurité de la DGSE, diplômé en droit, science politique et langues orientales, Alain Chouet a fait toute sa carrière de 1972 à 2007 dans les services de renseignement français, alternant affectations à l’étranger (Liban, Syrie, Maroc, Genève-ONU, Bruxelles) et postes de responsabilité à l’administration centrale. Spécialiste des problèmes de sécurité dans le monde arabe et islamique, il a été consultant du Centre d’Analyse et de Prévision du M.A.E. et est l’auteur de nombreux ouvrages et articles dans les revues spécialisées (Maghreb-Machrek, Questions internationales, Politique étrangère, Revue de défense nationale, La revue parlementaire, Marine et Océans, Présaje, Questions d’Europe, Cahiers de l’Orient, La Revue des Deux Mondes, Perspectives de l’UCLAT, etc.). Il a publié « Au cœur des services spéciaux : la menace islamiste, fausses pistes et vrais dangers », éditions La Découverte, 2013 (pour la seconde édition) et « La sagesse de l’espion », éditions Jean Claude Béhar, 2010. Il anime son propre site : http://alain.chouet.free.fr
Cet article a été aussi publié sur le site « Proche et Moyen Orient »
Le site « Proche et Moyen Orient » http://prochetmoyen-orient.ch/ est répertorié dans la rubrique Revues et Lettres de la “Communauté Géopolitique, Économie, Défense et Sécurité” d’ESPRITSURCOUF.
Bonne lecture et rendez-vous le 13 juillet 2020
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29 juin 2020 at 10 h 09 min
Un détail: le terme de génocide n’a pas à être utilisé pour les Amérindiens. https://notionsdhistoire.wordpress.com/2019/09/25/genocide-amerindien-la-triste-verite-3/