AFRIQUE :
ON RECRUTE CONTRE LE BRACONNAGE

Eléonore Le Bars (*)
Étudiante en sciences politiques
.

Touchée par un braconnage de grande ampleur, l’Afrique peine à préserver sa faune. De nombreux acteurs s’impliquent aujourd’hui pour lutter contre les trafics, gardes forestiers, vigiles en lutte contre les trafiquants, sociétés de contractors…. Mais la pandémie, là aussi, provoque des effets désastreux.

Le braconnage n’est pas un fait nouveau en Afrique. Dans les années 1980, des braconniers, munis de vieilles carabines, ratissaient les campagnes africaines à la recherche de ressources rares. Aujourd’hui, la demande de produits issus du braconnage explose. Des écailles de pangolin aux défenses en ivoire, le marché asiatique est l’un des principaux clients. Pour alimenter ce commerce illégal, les trafiquants disposent dorénavant d’armes et de matériel de qualité, de mitrailleuses, d’hélicoptères, de lunettes de vision nocturne. Ne reculant devant aucune menace, les braconniers sont souvent des professionnels redoutables, entraînés à la survie en milieu naturel et au maniement d’armes lourdes.

Les profits du braconnage


La plupart des grands mammifères sont touchés par ces pratiques meurtrières. Les éléphants sont chassés pour leur ivoire, les rhinocéros pour leurs cornes. Les félins comme les lions, léopards ou guépards, sont abattus pour leurs peaux. Quant aux grands singes, gorilles, bonobos, chimpanzés, ils  sont tués pour leur viande, ou capturés pour devenir des animaux de compagnie. Les revenus issus du braconnage sont  pharamineux. Au marché noir, la corne de rhinocéros peut être revendue de 55 000 à 75 000 dollars le kilo. Globalement, le trafic d’espèces sauvages atteint 20 milliards de dollars chaque année selon Interpol.

Ces profits placent le braconnage au quatrième rang des activités les plus fructueuses, après les trafics de drogues, de contrefaçons, et d’êtres humains. Les gains engrangés renforcent la violence des trafiquants, toujours prêts à s’enrichir davantage. Puisque la biodiversité est menacée, et que les espèces se raréfient, leur valeur augmente à chaque prise. D’ici quelques années, le braconnage pourrait causer la disparition de nombreuses espèces sauvages, comme les rhinocéros ou les éléphants.

Ce trafic profite également aux groupes terroristes. C’est le cas de l’Armée de résistance du Seigneur, de Joseph Kony en Afrique centrale, connue pour ses activités illégales. Les Shebab en Somalie exercent également des activités braconnières; l’ivoire serait même appelé « l’or blanc du Djihad ».

Sur le cadavre du Rhinocéros, la trace sanglante de l’amputation de sa corne
Photo DR

Les gouvernements africains réfléchissent à des solutions pour lutter contre ce fléau. Les gardes forestiers, généralement chargés de surveiller les zones naturelles et les forêts, reçoivent une formation militaire.  Munis de lunettes infrarouges, de matériel médical et d’une arme, les gardes forestiers de la réserve de Lewa Downs, au Kenya, ressemblent désormais à une unité d’élite de l’armée.

Au Botswana, 40 gardes forestiers, issus de diverses réserves, ont bénéficié en 2017 d’un entraînement spécialisé à Kasane et à Maun grâce à l’ARINSA, réseau rassemblant les autorités d’Afrique Centrale. Cette formation visait à leur apprendre à rechercher des informations sur les transactions financières, sur les profits engrangés par le crime, et ensuite, d’en présenter les preuves au tribunal. En Afrique du Sud, en 2017, 502 braconniers et 16 trafiquants ont été arrêtés et jugés. Des campagnes de sensibilisation servent également à montrer l’importance des espèces sauvages aux populations locales.

Milices privées et mercenaires


L’action de la population locale et des gardes ne suffit pas à préserver la biodiversité. Céline Sissler-Bienvenu, directrice pour l’Afrique francophone du Fonds international pour la protection des animaux, explique qu’en Afrique, la situation peut s’apparenter à un contexte de guerre. De la sorte, d’anciens militaires sont appelés pour défendre la faune d’une part; mais également former des écogardes à faire la guerre.

Œuvrant aux côtés des sociétés tribales, Max Jenes, gérant du programme « Ruvuma Elephant Project » est à l’initiative du recrutement de jeunes gardes forestiers pour perfectionner les capacités des gardes locaux. Damien Mander, vétéran australien, a créé en 2009 la Fondation internationale contre le braconnage. A l’instar d’autres soldats, Damien formait des paramilitaires en Irak avant de s’engager. Lynn Westover, ancien tireur d’élite en Afghanistan, travaille désormais pour l’ONG VETPAW, « Veterans empowered to protect african Wildlife ». Il recrute d’anciens militaires américains pour éradiquer le braconnage. Les membres de l’association travaillent également aux côtés des locaux pour favoriser la coopération.

Milices privées et mercenaires


L’action de la population locale et des gardes ne suffit pas à préserver la biodiversité. Céline Sissler-Bienvenu, directrice pour l’Afrique francophone du Fonds international pour la protection des animaux, explique qu’en Afrique, la situation peut s’apparenter à un contexte de guerre. De la sorte, d’anciens militaires sont appelés pour défendre la faune d’une part; mais également former des écogardes à faire la guerre.

Œuvrant aux côtés des sociétés tribales, Max Jenes, gérant du programme « Ruvuma Elephant Project » est à l’initiative du recrutement de jeunes gardes forestiers pour perfectionner les capacités des gardes locaux. Damien Mander, vétéran australien, a créé en 2009 la Fondation internationale contre le braconnage. A l’instar d’autres soldats, Damien formait des paramilitaires en Irak avant de s’engager. Lynn Westover, ancien tireur d’élite en Afghanistan, travaille désormais pour l’ONG VETPAW, « Veterans empowered to protect african Wildlife ». Il recrute d’anciens militaires américains pour éradiquer le braconnage. Les membres de l’association travaillent également aux côtés des locaux pour favoriser la coopération.

Un garde forestier en surveillance, au Congo. Photo ONU – Rangers’Association of Africa.

Le métier de protection de la faune est cependant à haut risque. Du côté des rangers, comme de celui des braconniers, les décès se comptent tous les ans par dizaines. Damien Mander estime que la militarisation n’est pas une solution durable, mais pourtant la seule aujourd’hui permettant de limiter le braconnage. La dangerosité des trafiquants a encouragé la création d’une Quick Reaction Force au Kivu. Cette unité paramilitaire est composée de 270 gardes d’élite, qui deviennent, malgré eux, cibles d’attaques. Depuis 2017, 28 accrochages majeurs ont été répertoriés mettant aux prises les gardes de la Quick Reaction Force avec des trafiquants et miliciens. Agissant contre les braconniers, ils sont également parfois en conflit avec les populations locales, concernant les territoires qu’ils contrôlent.

Récemment, le 24 avril 2020, au Parc national de Virunga à Rumangabo, des gardes de la QRF revenant de mission et des civils ont été victimes d’individus lourdement armés. 17 individus sont décédés, dont 13 gardes âgés de 23 à 30 ans, tandis que des employés du parc ont également été blessés. D’après l’enquête, les responsables sont les hutu rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda, qui n’auraient visé que des civils, les gardes du parc n’étant que des victimes collatérales. Mais cette embuscade porte un coup important à la communauté des gardes du parc.

Des efforts qui portent leurs fruits


Plus récemment, en Afrique du Sud, les entreprises Dimension Data et Cisco ont mis en place des procédés high-tech dans le but de lutter contre le braconnage des éléphants et rhinocéros. Nommé « Connected Conservation », le programme utilise les données numériques, les appareils connectés, le nuage hybride, ainsi que la technologie dite de cybersécurité pour vaincre les trafiquants. Des caméras thermiques fixées sur des pylônes radio forment un barrage virtuel autour du parc. Les images issues des caméras permettent de repérer les déplacements des braconniers qui essaieraient de franchir la ligne. Les gardiens peuvent ainsi communiquer entre eux, et arrêter les trafiquants avant qu’ils ne soient entrés dans le parc.

Ce système a été Initié dans une réserve proche du Parc national Kruger. En 2017, aucun rhinocéros n’aurait été victime de braconnage dans la réserve. Ces bons résultats ont également été observés au début de l’année 2018. Le contrôle du parc aurait permis une baisse des incidents de braconnage de 96%. La Zambie, le Mozambique et le Kenya ont décidé de s’en inspirer.

Meerkat est un autre procédé, permettant de différencier les bruits humains des mouvements des animaux. Lorsque des bruits humains sont détectés, les rangers savent où se trouvent les braconniers et agissent directement.

Le projet Wisdom favorise la protection des éléphants et des rhinocéros en traquant les réseaux de trafiquants. Jusqu’aujourd’hui, les opérations menées ont permis l’arrestation de 1100 braconniers. Le pourcentage de condamnation de ces individus est supérieur à 80%. Des tonnes d’ivoire brut ont été saisies, tandis que 50 000 objets en ivoire sculpté ont été interceptés.

L’opération Thunderstorm, mise en œuvre en 2018 favorise la coopération entre les douanes, les polices, les services de contrôles aux frontières, les gardes forestiers, les services chargés de la protection des espèces de 93 pays. Suite à cela, 1400 braconniers ont été arrêtés, dans le monde entier.

Finalement, de nombreux facteurs opèrent dans la lutte contre le braconnage. Parfois, des capteurs sont placés sur les animaux pour suivre leurs déplacements;  et les surveiller de façon plus importante. Les efforts effectués ont permis à l’Afrique du Sud de réduire de 23% le nombre des rhinocéros tués en 2019. 594 éléphants ont été tués par les braconniers en 2019, contre 796 en 2018. Barbara Creecy, ministre de l’Environnement en Afrique du Sud explique « La baisse du braconnage ces cinq dernières années consécutives est le reflet du travail assidu des hommes et femmes qui mettent leur vie en jeu quotidiennement pour lutter contre le braconnage des rhinocéros, souvent en contact avec des braconniers impitoyables ».

Malgré les efforts déployés, le coronavirus n’arrange pas la situation. En général, les recettes liées aux activités touristiques permettent de financer les mesures anti-braconnage dans les parcs nationaux comme dans les réserves privées. Mais le tourisme est au point mort. Les trafiquants en profitent alors pour se rendre dans des zones habitées par les espèces sauvages, habituellement très fréquentées. Au Botswana, depuis le début du confinement, 6 rhinocéros ont été retrouvés morts. En Tanzanie, environ un tiers des agents anti-braconnage ont annoncé la fin de leur activité, par manque de budget. Au Kenya, le coronavirus et l’arrêt des safaris photos ont limité de moitié le budget consacré à la conservation de la biodiversité. Cette phase favorise évidemment le retour de braconniers, et donc menace la vie des 1000 rhinocéros et 34 000 éléphants du pays.  En Afrique du Sud, 9 rhinocéros ont été tués depuis le début du confinement. L’organisation Rhino 911, en Afrique du Sud, répertorie près d’un accident par jour lié au braconnage de rhinocéros.

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(*) Titulaire d’une Licence d’Histoire parcours Sciences Politiques, Eléonore Le Bars est actuellement en Master 1 Conflictualités et Médiation à l’Université d’Angers. Intéressée par les enjeux liés à la sécurité et au terrorisme au Moyen-Orient, elle rédige actuellement son mémoire sur la publicité des crimes de Daech, crimes médiatisés et ceux passés sous silence, de 2014 à 2016.

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