LA FRANCE
A-T-ELLE BESOIN D’ÊTRE
DÉFENDUE ?

du général Henri Bentégeat (*)
Ancien Chef d’état-major des armées

L’Europe connait aujourd’hui la plus longue période de paix de son histoire tumultueuse : 73 ans sans affrontements armés sur son territoire, du jamais vu !

Bien sûr, nos soldats ne sont pas restés l’arme au pied depuis 1945. Les conflits qui ont accompagné et suivi la décolonisation dans l’ombre de la « guerre froide », les convulsions d’un monde libéré de la tutelle des deux Superpuissances puis l’extension du radicalisme islamiste les ont mobilisés tour à tour, sans relâche depuis la chute du Mur de Berlin.

Il n’empêche. Après la guerre d’Algérie, ces campagnes lointaines aux enjeux incertains, peu meurtrières en regard des hécatombes du passé, n’ont pas marqué nos compatriotes.

Dans l’univers intello-médiatique du Tout-Paris où se donne le ton, la guerre est un sujet d’Histoire ou de roman, une curiosité exotique nauséabonde, en aucun cas un avenir possible en France ou en Europe.

Les principaux leaders d’opinion, à peine ébranlés par les attentats terroristes, anesthésient l’opinion publique. Consciemment ou non, nous n’y croyons plus vraiment. Qui pourrait nous menacer alors que nos ennemis héréditaires sont devenus nos plus proches partenaires ?

En 1990, un professeur américain, John Mueller, avait déjà théorisé la fin des guerres majeures : trop coûteuses pour les bénéfices qu’on pourrait en tirer, inutiles quand la domination économique suffit, anachroniques quand les valeurs guerrières sont rejetées par les sociétés évoluées. Ces arguments ne peuvent être balayés d’un revers de main, tant il est vrai que le nombre de conflits a diminué sensiblement depuis 20 ans. On peut craindre pourtant que cette théorie ne connaisse le même sort que celle des trois âges de l’humanité en vogue au début du siècle dernier : le christianisme aurait mis fin au cycle perpétuel  de la vengeance en interdisant la pratique du « Vae Victis » (malheur aux vaincus) ; le développement du commerce international aurait transformé les guerriers en négociants ou aurait substitué aux guerriers toute une armée de commerçants, de financiers, sans foi ni loi, si ce n’est celle du profit à court terme  (Non. Je ne fais que décrire cette théorie); la démocratie, enfin, garantirait la paix perpétuelle en liant les mains des dirigeants belliqueux. Les deux guerres mondiales, comme on le sait, n’ont pas validé cette analyse.

A défaut de prédire un avenir radieux, pari toujours risqué, certains experts de géostratégie pourraient, de leur côté, nous convaincre que la guerre future, en ce qui concerne nos sociétés numériquement développées, se limitera au cyber espace. Toute autre forme de défense serait donc anachronique et « dépassée ». Cette analyse rejoint la remarque que me fit un jour un jeune et brillant journaliste : « les guerres ne sont plus que des événements mineurs dans la trame de l’Histoire. Ce qui compte aujourd’hui, c’est la révolution numérique, l’intelligence artificielle, l’homme augmenté ». Comment ne pas lui répondre que les 150.000 morts de Syrie et les vacillements du Moyen-Orient donnent encore à la guerre de redoutables lettres de créance. Le cyberespace étend le domaine de la guerre sans se substituer à la force armée.

Il faut donc encore et toujours jouer les rabat-joie et revêtir l’habit de Cassandre. Non, la guerre n’est pas un spectre du passé. Elle reviendra nous hanter un jour si nous ne prenons pas les dispositions nécessaires pour la prévenir, l’empêcher.

L’état du monde inquiète les géo politiciens. La gouvernance mondiale est en panne et le multilatéralisme recule. Les nationalismes renaissent, des Etats-Unis à la Chine, de la Russie au Royaume-Uni. Le radicalisme islamiste continue de progresser en dépit de l’échec de Daesh en Syrie et en Irak. Les déséquilibres démographiques en Afrique sont porteurs de conflits. Le dérèglement climatique ne peut qu’aggraver les tensions en pénalisant les pays les plus pauvres. La remise en question de la dissuasion nucléaire, facteur essentiel de paix depuis 1945, accroit l’incertitude;

Les ressorts de la guerre, tels que les décrivait Thucydide, demeurent : « La peur, l’intérêt et l’honneur ».

Car l’Homme est inchangé. En dépit de millénaires de civilisation, malgré les progrès sociaux et juridiques qui l’encadrent aujourd’hui, son agressivité et sa violence sont intactes. Son ADN, si proche de celui de ses ancêtres préhistoriques, et son cerveau reptilien le dressent encore contre « l’Autre », celui qui est différent, celui qui n’est pas de la tribu, du groupe. Les réseaux sociaux sur Internet charrient quotidiennement des flots de haine.

En France, les attentats terroristes ont suscité, depuis 2015, un regain de patriotisme, mais les « intellectuels patentés », comme les appelle Hubert Védrine, l’assimilent volontiers à de la xénophobie. Le patriotisme n’est pourtant rien d’autre que la reconnaissance d’un bien commun hérité et à transmettre. Notre vieux pays, déchiré par des passions tristes, peine à se retrouver. L’erreur de certains apôtres de la souveraineté européenne est donc de vouloir ringardiser le sentiment national, car c’est dans la communauté charnelle chantée par Péguy et défendue par Jaurès que se forge l’esprit de défense. La nation demeure le cadre humain et juridique incontournable de l’exercice de la démocratie et de la légitime défense.  

Dans cette période de bouleversements techniques rapides qui fragilisent le tissu social, « il faut parler aux hommes », comme disait Saint-Exupéry, leur apprendre à nouveau à aimer leur pays. C’est un point de départ nécessaire pour construire un avenir pacifique avec nos voisins, amis et alliés européens.


(*) Henri Bentégeat

Général d’armée. Adjoint du chef de l’état-major particulier de François Mitterrand, puis de Jacques Chirac (1993-1996), il est nommé en 1999 chef de l’état-major particulier du Président Chirac.  Il devient chef d’état-major des armées (CEMA) de 2002 à 2006,Il a ainsi piloté l’armée durant les événements de Côte d’Ivoire. Du 6 novembre 2006 au 6 novembre 2009, il dirige le comité militaire de l’Union européenne (UE) à la place du général italien Rolando Mosca Moschini (it).

Auparavant, parmi ses nombreuses affectations (22 déménagements !), Il sert comme chef de peloton au 43e R.B.I.Ma (Régiment Blindé d’Infanterie de Marine). Il commande le 3eme escadron du Régiment de Marche du Tchad. Il est le chef de corps du RICM de 1988 à 1990.Il sera ensuite Attaché de défense adjoint à Washington et Comsup aux Antilles.

Saint-Cyrien de la promotion 1965-1967 « Lieutenant-colonel Driant », et École de guerre, Henri Bentégeat est aussi diplômé de Sciences Po Paris.

Le général Bentégeat vient de publier :

 Le pouvoir face à la guerre. La métamorphose suprême, de chef d’Etat en chef des armées

En ce temps de trouble et d’incertitude, alors que l’illusion d’une paix universelle et définitive s’efface devant la persistance des fanatismes et des violences qui nourrissent d’interminables conflits, le rôle et la responsabilité des chefs d’État confrontés à la guerre méritent une attention nouvelle. Comment, au cours de l’histoire, ont-ils affronté ce fléau tragique pour le contenir ou l’encourager, pour protéger leurs peuples et promouvoir leurs desseins ou pour assouvir leurs rêves de grandeur ?
De 1850 à nos jours, dix parmi les plus célèbres ‒ dont quatre français ‒ ont été choisis pour illustrer les ressorts de la volonté politique dans ce domaine essentiel et paroxystique de leur charge. De façon inédite, cet ouvrage expose les décisions que sont appelés à prendre les responsables politiques – et qui conduisent parfois au sacrifice suprême – mais aussi la complexité de leurs relations avec les chefs militaires tenus de les mettre en œuvre. Le regard porté sur ces événements est celui d’un officier supérieur qui fut associé pendant près de dix ans aux décisions prises au plus haut niveau pour l’engagement de nos armées dans des missions de guerre.

Le général (2s) Henri Bentégeat, ancien chef d’Etat-major des Armées, est auditeur de la 45ème session nationale de l’IHEDN.

PUBLIÉ PAR LES ÉDITIONS PERRIN 

EN VENTE AU PRIX DE 25€ LE LIVRE BROCHÉ  ET 17,99€ POUR LE FORMAT KINDLE SUR LE SITE DE L’AMAZON.FR

 

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