LYBIE :
SORTIE DE CRISE ?

par Bernard Lugan
Historien-africaniste

Nous présentons ci-dessous un extrait d’une analyse complétée par les commentaires d’un lecteur d’ESPRITSURCOUF.fr qui a résidé plusieurs années en Lybie, avant l’intervention franco-anglaise.

Huit années après le début de la calamiteuse intervention française contre le colonel Kadhafi, nous assistons peut-être au début du règlement de la question libyenne. Mais à travers une solution militaire, le contraire donc de ces tentatives occidentales qui voulaient résoudre le conflit par des élections démocratiques.

Une telle politique n’a cependant été rendue possible que parce qu’en 2016, la Russie de Vladimir Poutine a redistribué les cartes politiques en forçant les Occidentaux à reconnaitre le général Haftar. Ainsi Moscou a décrédibilisé le plan européo-onusien qui passait par l’installation à Tripoli d’un pouvoir confié au président Fayez- el Sarraj.

Après avoir pris le contrôle de la Cyrénaïque, le général Haftar a conquis le Fezzan au terme d’une campagne de quelques semaines qui a débuté au début de l’année 2019. Cette offensive victorieuse a eu pour conséquence de purger la région des jihadistes d’al Quaïda et des groupes d’opposition, soutenus par le Qatar au président tchadien Idriss Déby Itno.

Signe qui ne trompe pas, l’homme fort de Misrata, Ahmed Miitig, a salué la campagne victorieuse que les forces du général Haftar viennent de mener. Or, Misrata était jusqu’à ces dernières semaines l’irréductible adversaire du général Haftar. Dans le jeu de pouvoir entre le président Fayez el-Sarraj et le général Haftar, la conquête du Fezzan donne un net avantage au second.

Cette offensive victorieuse fait du général Haftar l’homme fort de la Libye. Sauveur des populations du Fezzan et espoir de nombreux Libyens, il a l’appui des tribus et il contrôle tous les champs pétroliers et une grande partie des champs gaziers libyens. M. Fayez al-Sarraj, le président mis au pouvoir à Tripoli par les Occidentaux et qui est l’otage des milices, s’accroche donc à l’aspect civil du gouvernement libyen et insiste d’une manière désespérée pour que se tienne rapidement le « congrès national réunificateur ». Tous ses espoirs résident une fois de plus dans la communauté internationale.

Si la guerre de 2011 à déstructuré la Libye, l’accumulation des erreurs diplomatiques occidentales y a ensuite entretenu et amplifié le chaos. Prisonnière de son idéologie, la diplomatie internationale a en effet voulu reconstruire le pays à partir d’un préalable électoral incompatible avec le système tribal libyen qu’elle refusait de reconnaître. Après le conflit, de 2011 à 2016, la diplomatie internationale (ONU et UE) n’accepta de négocier qu’avec des responsables autoproclamés auxquels elle tenta de « vendre » sa solution électorale. L’échec de cette diplomatie a mené tout droit à l’impasse et au chaos.

Cependant, refusant toute remise en question de ses dogmes, la diplomatie internationale demeura accrochée à son préalable électoral en tentant de parvenir à un accord entre les factions libyennes à travers des élections. L’erreur était totale car les chefs de milices ou les politiciens revenus d’exil avec lesquels les Occidentaux discutaient n’étaient pas les représentants des vraies forces du pays.

L’ignorance des réalités libyennes fit que le postulat sur lequel était bâti le plan de reconstruction occidental, explosa sur l’évidence de l’inexistence de l’identité libyenne. La grande constante de ce pays est en effet la faiblesse du pouvoir par rapport aux tribus groupées en çoff (alliances ou confédérations), ayant leurs propres règles internes de fonctionnement.

Ignorant superbement le fait que le colonel Kadhafi avait fondé son pouvoir sur l’équilibre entre les trois grands çoff libyens, à savoir la confédération Sa’adi de Cyrénaïque, la confédération Saff al-Bahar du nord de la Tripolitaine et la confédération Awlad Sulayman de Tripolitaine orientale et du Fezzan à laquelle appartiennent les Kadhafda, sa tribu, la diplomatie internationale a obstinément refusé de laisser les tribus discuter entre elles afin de créer un nouveau pacte social.

Au lieu de cela, le processus de sortie du conflit fut fondé sur l’artifice électoral. Trois élections se tinrent alors qui, non seulement n’ont servi à rien puisqu’elles n’ont pas ramené la paix, mais qui, en plus, ont accentué encore davantage la division Cyrénaïque-Tripolitaine et provoqué un émiettement à l’intérieur de ces deux régions. Les élections de 2012 permit d’élire un Congrès général, celles de 2014 une Assemblée constituante et une Chambre des représentants. Elue en juin, dès le mois d’août, menacée par les milices, cette dernière s’est réfugiée à Tobrouk… sous protection égyptienne.

D’où l’impasse. Jusqu’au moment où, en 2016, Vladimir Poutine imposa un nouveau paradigme fondé sur le réel et sur le véritable rapport de forces, ouvrant de la sorte un nouveau paysage diplomatique.

La Russie est partie du réel fondé sur les véritables rapports de force militaires et tribaux, avec, en conclusion, le voyage que le général Haftar effectua à Moscou les 27 et 28 novembre 2016, et à l’occasion duquel le président Poutine lui accorda officiellement l’appui de la Russie. L’homme avec lequel la diplomatie de l’UE refusait de parler directement devint ainsi du jour au lendemain incontournable…

D’autant plus que, maître de la Cyrénaïque, le général disposait de la seule force militaire du pays, l’ANL (Armée Nationale Libyenne). Grâce à elle, à partir du printemps 2017 il prit peu à peu l’avantage dans la guerre civile qui était devenue une guerre de tous contre tous.

Dans un premier temps, au mois de mai 2017, la stratégie du général fut de couper Misrata et Tripoli des zones pétrolières et gazières du Fezzan. Bénéficiant de l’appui des Toubou et plus au nord, de celui des tribus de Zenten, de Bani Walid et de Waddan. Ses forces prirent la base de Brak, menaçant ainsi les gazoducs et des oléoducs du Fezzan.

En plus de cela, le général Haftar avait l’appui de la confédération tribale de Cyrénaïque et des tribus kadhafistes de Tripolitaine, dont les Kadafdha, les Magarha et les Warfalla.

 

Cette analyse est extraite d’un dossier complet paru dans AFRIQUE RÉELLE  n° 111 de mars 2019 : http://bernardlugan.blogspot.com/2019/03/lafrique-reelle-n111-mars-2019.html

 

Commentaire d’Alain RISS, ancien Directeur Général de TOTAL en Lybie :

L’Italie un acteur important par l’intermédiaire de l’ENI.

En effet, l’étude des zones d’influence de l’ANL et de Tripoli, Misrata montre:

– D’un point de vue strictement pétrole brut, il est clair que l’ANL contrôle tout, l’est et les grands champs historiques de Libye et le terminal de Ras Lanouf,  l’ouest avec la raffinerie de Zouara (à la frontière avec la Tunisie) et le terminal du grand champ de Murzuk opéré par Repsol (Espagne) avec la participation de Total et OMV (Autriche);

– En revanche, pour ce qui concerne le gaz, les ressources gazières ne sont pas contrôlées totalement par l’ANL; la ville de Zawiha contrôlée par Tripoli est, à côté du seul terminal gazier significatif libyen opéré par l’ENI qui exporte du gaz vers l’Italie par un pipe sous-marin, le gaz venant des champs gaziers opérés par l’ENI dans une zone près de la frontière avec l’Algérie non contrôlée par l’ANL. Donc cette seule ressource gazière serait aux mains de Tripoli; serait-ce une explication des relations particulières entretenues par l’Italie avec la Libye via Tripoli en particulier dans le dossier des migrants ( dont la route en provenance du Niger passe par Mourzouk, Tripoli et embarquement dans la région de Zawiha)?

Le rôle de l’Italie dont plus généralement les intérêts pétroliers dans le bassin méditerranéen (en particulier en Egypte) sont considérables ne doit pas être sous-estimé.

Par ailleurs, l’approvisionnement en eau de Tripoli et la région côtière à partir des infrastructures gigantesques construites par Khadafi (et Vinci) serait sous le contrôle de l’ANL.

Pour conclure, il faut comprendre qu’en Libye, c’est dans les détails que résident les problèmes et les solutions possibles ne peuvent qu’obéir aux règles locales et certainement pas aux modèles politiques occidentaux .

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