AFGHANISTAN :
LE MENSONGE DE BIDEN
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Renaud Girard (*)
Journaliste
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e président des Etats-Unis a, le 9 juillet 2021, répété son intention de voir s’achever à la fin du mois d’août l’engagement militaire américain en Afghanistan, commencé il y a vingt ans, en octobre 2001. Pour justifier un tel retrait, qui risque fort d’ouvrir prochainement aux talibans les portes de Kaboul, Joe Biden a dit : «We did not go to Afghanistan to nation build » (Nous ne sommes pas allés en Afghanistan pour reconstruire un pays). C’est un mensonge historique.
Joe Biden le sait très bien car, en 2001, il n’était pas un citoyen lambda mal informé. Il était président de la Commission des affaires étrangères du Sénat. En janvier 2002, il est le premier élu américain à se rendre en Afghanistan après les attentats du 11 septembre 2001 et la chute du pouvoir taliban à Kaboul (13 novembre 2001), au profit de l’Alliance du Nord, coalition financée par la CIA, dont la progression avait été aidée par les bombardements de l’US Air Force.
La réalité est que les Américains ont initié et dirigé une conférence internationale sur l’Afghanistan, dès le 5 décembre 2001, qui s’est tenue à Bonn. Là, ils ont fait adouber par leurs alliés l’homme qu’ils avaient choisi pour diriger le pays : Hamid Karzaï. Et ils se sont engagés publiquement à « reconstruire, démocratiser et développer » l’Afghanistan. Pour ce faire, ils ont emmené l’Otan sur place. Ils ont implanté un peu partout des PRT (Provincial Reconstruction Teams). Ils ont investi des centaines de milliards de dollars en dépenses civiles et militaires. Ils ont organisé des élections générales démocratiques.
Comment expliquer un tel effort ? Après avoir réussi brillamment, du moins en apparence, à provoquer une déroute très rapide des talibans en novembre 2001, les Etats-Unis, alors dominés par la pensée néoconservatrice, ont été saisis, à ce moment précis, par une forme d’hubris néocoloniale.
En 2009 à Kaboul, le bien-nommé ambassadeur russe en Afghanistan Zamir Kaboulov, avait confié à l’ambassadeur de France : « Si nous, les Russes, nous avons échoué, ce n’est pas que nous étions mauvais. Nous étions très bons. Mais la tâche était tout bonnement impossible ; les Américains échoueront comme nous ! ». J’avais rapporté ces propos au général Stanley McChrystal, qui commandait alors aux forces occidentales stationnées en Afghanistan. Il avait rejeté la prophétie, pensant sincèrement que l’Amérique – puissance forcément plus intelligente que l’Union soviétique des années 80 – allait réussir à stabiliser le pays. Un an plus tard, le président Obama ordonnait l’accroissement du contingent américain en Afghanistan. Si Joe Biden, vice-président à l’époque, n’était pas d’accord, pourquoi n’a-t-il pas mis sa démission dans la balance ?
Ce qui est sûr, c’est que le sénateur Biden, dans ses votes, s’est montré totalement aligné sur la folie des grandeurs néoconservatrice du début des années 2000. Il a pleinement approuvé les ambitieuses expéditions néocoloniales américaines, sur l’Hindu Kush d’abord, en Mésopotamie ensuite.
Sur l’Afghanistan, Biden s’est montré plus trumpiste que Trump. Alors que partout dans le pays les talibans se mettaient, au mépris de leurs engagements, à conquérir de nouveaux districts, était-il nécessaire que les Américains quittent la grande base aérienne de Bagram, au demeurant facile à sécuriser ? Etait-il si difficile pour Biden de comprendre que retirer les derniers soldats américains d’Afghanistan allait provoquer, au sein des forces de sécurité afghanes, un profond effet démoralisateur ? Le leader du parti démocrate n’a-t-il pas ressenti une petite honte à jeter les minorités ethniques et les femmes afghanes à la merci de barbus obscurantistes ?
On me rétorquera que les Républicains américains ont bien abandonné aux envahisseurs communistes le Sud-Vietnam en 1975. C’est vrai, mais la Maison Blanche de l’époque avait au moins l’excuse que ce fut le Congrès qui coupa les vivres à l’armée sud-vietnamienne. Biden n’a aucune excuse pour cet abandon précipité : le Congrès actuel ne le réclame pas.
Après s’être débarrassée, à la fin de l’année 2001, des combattants arabes internationalistes installés en Afghanistan, l’Amérique aurait très bien pu décider de ne pas s’installer dans le pays. Elle aurait pu se contenter, via la CIA, de continuer à financer les groupes combattants amis et exiger du Pakistan qu’il ne donne pas refuge aux talibans.
Elle a fait, librement, un choix différent : celui d’une « mission civilisatrice » à la Jules Ferry. On ne sort pas de ce genre d’entreprise quand on veut. L’exemple de Mossoul a montré qu’un départ précipité pouvait se transformer en catastrophe. L’honneur, mais aussi l’intérêt à long terme de l’Amérique dans la lutte contre le djihadisme, voudraient qu’elle ne redonne pas aux talibans le pays qu’elle leur a, par la guerre, soustrait voici vingt ans.
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(*) Renaud GIRARD, diplômé de l’Ecole Normale Supérieure et de l’ENA, est journaliste et a couvert la quasi-totalité des conflits de la planète depuis 1984. Il est éditorialiste de politique étrangère au Figaro depuis 2013. Auteur de sept livres consacrés aux affaires internationales, il a reçu de nombreuses distinctions, dont le prestigieux prix Bayeux des correspondants de guerre pour son reportage « l’OTAN dans le piège afghan à Kandahar ». Il est également professeur de stratégie internationale à Sciences-Po. |
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