MULTI ou BILATÉRALISME
par Guillaume Berlat
Chroniqueur de Géopolitique mondiale
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Nous terminons le tour du monde de la situation géostratégique en 2018/2019 parue dans les numéros : 89 « L’HUMEUR : Le grand chambardement » et 90 « FOCUS : La fracturation permanente du monde ».
Les années se suivent et se ressemblent dans un monde sans règles et sans gouvernance. L’ancien monde s’efface. Le nouveau monde peine à voir le jour. Dans ce clair-obscur, la communauté des nations peine à définir une nouvelle gouvernance des relations internationales. Elle est écartelée entre l’épuisement du multilatéralisme qu’elle ne peut empêcher et la quête d’un bilatéralisme et de coalitions ad hoc qu’elle ne parvient pas à définir.
ÉPUISEMENT DU MULTILATÉRALISME UNIVERSEL : UN ORDRE INTERNATIONAL FRACTURE
LA LOURDE RESPONSABILITÉ AMÉRICAINE.
Ne nous leurrons pas ! Les coups de boutoir des États-Unis au multilatéralisme ne sont pas du seul fait du 45ème président des États-Unis. Ils ont débuté bien avant. Les administrations démocrates ont, en son temps, pris leur part de responsabilité en la matière. L’explication la plus pertinente du désintérêt américain pour le multilatéralisme vient d’Outre-Atlantique. « Le président des États-Unis rejette toute sorte de multilatéralisme. Il préfère conclure des accords unilatéraux, pays par pays, et n’a en effet que peu de considération pour l’Union européenne, les Nations unies et même l’OTAN… »44. Mais l’affaire est plus ancienne. À la lecture de l’ouvrage de l’ancien proche conseiller de Barack Obama, Ben Rhodes45, nous lisons que « l’unilatéralisme de Donald Trump n’est pas arrivé comme un coup de tonnerre dans un ciel bleu : il était annoncé par la lassitude de l’opinion publique face aux charges de la superpuissance américaine »46. Le seul document que Donald Trump respecte est la Constitution américaine, texte intouchable. Les traités internationaux sont pour lui des chiffons de papier, à peine dignes de désigner une tendance. Le multilatéralisme est malmené par ceux qui l’avaient porté sur les fonts baptismaux en 194547. Rejet des institutions internationales politiques (ONU), économiques (OCDE qui a succédé en 1961 à l’OECE chargé de mettre en place le plan Marshall), commerciales (OMC48), culturelles (UNESCO), judiciaires (CPI) et des accords signés (climat, nucléaire iranien, traité transpacifique, traité sur les forces nucléaires intermédiaires ou FNI49), extraterritorialité de la loi américaine… Washington se retire du conseil des droits de l’homme de l’ONU, du traité ciel ouvert, critique ouvertement « l’OMC qui a très mal traitée les États-Unis », cesse de financer l’UNRWA. Cet exceptionnalisme américain met en danger tout l’équilibre de la structure imaginé en 1945. Prenons garde, le trumpisme continuera après Trump50. Surtout après le discours de Mike Pompeo devant le German Marshal Fund à Bruxelles le 6 décembre 2018 au cours duquel il s’est livré à une violente charge contre le multilatéralisme : Union européenne, ONU, FMI, OMC, Banque mondiale, CPI. Seule l’OTAN a encore les faveurs de l’administration américaine. Seules les États nations peuvent garantir les libertés démocratiques51.
LA RESPONSABILITÉ ANNEXE DE LA FRANCE.
Rien ne sert de vanter urbi et orbi les immenses mérites du multilatéralisme dans des discours lyriques pour piétiner le principe exposé dans les faits. Tel est l’exploit auquel parvient le président de la République, Emmanuel Macron avec sa diplomatie du « en même temps ».
- Il organise des réunions à Paris sur la Lybie qui sont la négation du multilatéralisme universel qui se déroule au sein de l’ONU.
- Il organise des réunions à Paris sur le financement du terrorisme qui sont également la négation du multilatéralisme universel qui a pour centre l’Organisation des Nations unies.
- Il organise un Forum pour la paix en marge des cérémonies du centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale consacrée au renforcement de la sécurité qui ne regroupe que 70 États.
Comment être sérieux en parlant de multilatéralisme et en pratiquant la diplomatie de l’exclusion (Bertrand Badie) ? Et, l’on pourrait multiplier à l’envi les exemples de cette contradiction ontologique qui décrédibilise la diplomatie multilatérale d’Emmanuel Macron. Il devrait se souvenir que l’action diplomatique est rarement cohérente. Mais la cohérence est souvent gage de son succès. Rien n’est pire que la diplomatie gesticulatoire. Car, la diplomatie s’inscrit dans l’art du possible, du réaliste, et non du fantasmatique et de l’outrance.
LA RESPONSABILITÉ INDÉNIABLE DE L’ALLEMAGNE.
Si l’on ne peut reprocher aux Allemands leur discrétion, on ne peut en dire autant de leur opportunisme. Confrontés à un problème international, ils privilégient le plus souvent la voie unilatérale (accueil de migrants sans la moindre concertation avec ses partenaires européens) ou bilatérale (question des taxations américaines des automobiles allemandes ou de diverses problématiques l’opposant à la Chine). Le cadre régional ou universel est délibérément négligé, profitant de la mise en exergue des turpitudes américaines. Toutes choses qui affaiblissent un multilatéralisme moribond qui n’en avait pas besoin.
Dans ces conditions que faire dans l’attente d’une relance de la gouvernance mise en place en 1945 ? Imaginer des solutions transitoires permettant de créer un minimum de confiance nécessaire à un minimum de prévisibilité et de stabilité dans les relations internationales.
LA QUÊTE D’UN BILATÉRALISME EFFICACE ET DE COALITIONS AD HOC : UNE DIPLOMATIE DE LA GODILLE
Les formats envisageables.
Alors que la grammaire actuelle des relations internationale se décline en trois dimensions : défiance, division, démagogie, n’est-il pas indispensable d’explorer quelques voies prometteuses permettant de prévenir le chaos et l’anarchie ? Relisons ce que déclare le président de la République, Emmanuel Macron à l’occasion de son intervention devant la 73ème session de l’Assemblée générale de l’ONU (New York, 25 septembre 2018) : « Le nouvel équilibre que nous devons créer doit reposer sur de nouvelles formes de coopérations régionales et internationales et se structurera selon moi autour de trois principes : le premier, c’est le respect des souverainetés au fondement même de notre charte ; le second, c’est le renforcement de nos coopérations régionales ; et le troisième, c’est l’apport de garanties internationales plus robustes »52. Encore, faut-il que les peuples s’y retrouvent. À l’origine de la crise des « gilets jaunes », il y a le passage d’un monde à un autre. Une transformation du capitalisme qui angoisse la classe moyenne et les défavorisés et les poussent à se révolter.
La vitalité du bilatéralisme.
À prendre connaissance du calendrier du président de la République, on constate la vigueur du bilatéralisme français, démontrant ainsi que la nature a horreur du vide. Il ne se passe pas une journée sans que nous ne découvrions qu’Emmanuel Macron ne reçoive l’un de ses homologues étrangers ou sillonne le monde pour se faire l’ambassadeur du « made in France ».
Nos partenaires allemands en font autant, oubliant comme nous qu’il existe à Bruxelles une ministre européen des Affaires étrangères, Federica Mogherini chargé par les textes de porter une politique étrangère européenne commune.
Si nous comprenons bien, nous vantons à longueur de temps les vertus du multilatéralisme universel et européen tout en nous vautrant dans les vices du bilatéralisme désuet.
Ce défaut criant d’articulation, de cohérence entre les divers niveaux de la diplomatie contribue au chaos ambiant, au déficit de grammaire lisible des relations internationales.
Extrait de http://prochetmoyen-orient.ch/
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