L’AFRIQUE CHANGE

du Club des Vingt*

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Naguère pauvre, comme déshéritée, à la marge sur les plans économiques et commerciaux, l’Afrique est devenue en une vingtaine d’années un continent dynamique et porteur d’avenir.

 

DE NOUVELLES DIMENSIONS

            Depuis 2000, le PIB africain a progressé jusqu’à celui de la France et il pourrait avoir rejoint avant 2050 celui de l’Union Européenne.

Dans le même temps, la population, passée à plus de deux milliards d’habitants aujourd’hui, se situerait à la fin du siècle entre 3,5 et 4,5 milliards de personnes. 70 % de la croissance démographique mondiale aura lieu en Afrique. Cette croissance est due pour une large part à l’augmentation de la longévité et à la diminution de la mortalité infantile.

          Cette Afrique sera de plus en plus urbanisée et des mégapoles seront créées. Bien que la population rurale sera alors plus importante qu’à présent, elle sera dépassée vers 2035 par la population urbaine. 40 % de la population fait aujourd’hui partie de cette dernière contre 70 % vers 2050. La classe moyenne aura fortement progressé dépassant six cent millions de personnes vers 2050. Mais le nombre d’habitants vivant au-dessous du seuil de pauvreté sera au moins aussi important qu’aujourd’hui.

La tendance générale ne devrait pas changer à l’horizon 2050. Les prévisions faites ci-dessus reposent sur des hypothèses effectivement moins favorables que celles enregistrées depuis le début du siècle. Malgré un déficit considérable de la balance commerciale et des paiements, les facteurs de croissance de l’économie africaine sont puissants. Ceci se fera au prix d’une pollution accrue.

 

L’AFRIQUE ET LES AFRICAINS

            L’Etat est l’interlocuteur structurel en général et le partenaire central en cas de rupture. Il est le dernier recours en matière de sécurité. Mais il est de plus en plus fragile et, sauf quelques pays comme le Ghana, peu démocratique. Son domaine tend à se réduire au profit du secteur privé. Il conserve toutefois la responsabilité première dans des secteurs tels les infrastructures et la formation dont l’amélioration continue conditionne la poursuite de la croissance. En revanche, le développement économique relève de plus en plus du secteur privé. Il est fait de sociétés civiles variées dans leur objet avec compétences régionales, nationales ou continentales. Ces sociétés peuvent parfois d’ailleurs être antiétatiques.

            Des pays seront plus importants que d’autres. Le Nigéria a déjà quatre cent millions d’habitants (il en aura huit cent millions à la fin du siècle), l’Ethiopie, la Tanzanie et le Kenya en ont déjà deux cent millions.

On constate d’autre part une différenciation entre des pays centrant leur croissance sur le marché intérieur tiré par la consommation privée, des pays pétroliers entièrement gouvernés par la logique de la rente carbone, et des pays qui tentent leur insertion dans les chaînes de valeurs mondiales via une internationalisation.

Certains pays sont en phase de transition démographique, d’autres sont en retard. Des pays enclavés, urbanisés, sont dans une évolution plus lente que les pays côtiers.

Toutes ces différences conduisent à un développement des migrations. On enregistre des mouvements migratoires depuis l’Afrique du Centre, sahélienne, vers les pays côtiers. Ces mouvements sont plus difficiles vers le Nord. L’ensemble a un pouvoir déstabilisateur. Une partie plus faible de l’émigration réussit à passer vers le Nord. Elle ne devrait augmenter que de 0,5 à 2,5 de la population européenne. Mais elle entraîne des mouvements financiers importants du fait des diasporas africaines.

            L’Afrique est très religieuse. L’Islam et l’Eglise catholique sont des facteurs de socialisation, avec construction de sociétés civiles puissantes. Il y a une descente de l’Islam vers le Sud, mais elle est due au flux migratoire de l’Afrique sahélienne vers l’Afrique côtière et non pas à une augmentation des conversions. La radicalisation religieuse est réelle partout. Le mouvement pentecôtiste progresse, le salafisme dans sa forme pacifique de la zone sahélienne rencontre la sympathie de groupes sociaux pour se constituer en confrérie fondée une aspiration spirituelle et des exigences morales. Les mouvements djihadistes profitent de la faiblesse étatique pour se livrer à divers trafics dans la région sahélienne.

            La transformation de l’Afrique ne peut pas se faire sans risquer un accroissement de la conflictualité. Les tensions sociales générées par la densification rurale et par l’urbanisation sont vives. Les migrations internes vont perturber bien des équilibres politiques locaux. La persistante de niveau de pauvreté important dans une tendance à l’élargissement des inégalités créera sans doute des revendications sociales élevées. Le changement climatique va accroître les possibilités de conflits.

 

L’AFRIQUE ET LE MONDE EXTÉRIEUR

            La balkanisation de l’Afrique l’empêche sans doute de jouer, à l’instar de pays continents comme les Etats-Unis, l’Inde et la Chine, le rôle mondial auquel elle pourrait prétendre de par l’importance de sa population et celle de son économie. Minée par ses contradictions, l’O.U.A. ne pourra servir une volonté africaine d’influence globale, contrariée d’autre part par l’ambition d’épanouissement national de certains jeunes Etats.

            Néanmoins, certains pays auront la capacité de jouer un rôle mondial autonome et d’entretenir des forces armées significatives. Ce sera le cas du Nigéria, mais aussi d’autres pays comme l’Ethiopie, le Kenya, la Tanzanie ou la République du Congo avec deux cent millions d’habitants. D’autre part, bien que puissances moins importantes, de nombreux Etats pourront avoir un rôle régional significatif ou se placer en position critique sur un ou plusieurs sujets sensibles à l’échelle mondiale ou européenne.

 

L’émergence dans le paysage mondial d’une masse économique comme celle de la Chine devrait avoir des répercussions positives à l’échelle de l’Europe et du monde. En effet, les importations africaines progressent en moyenne de 15 % par an. L’importation à la fois de biens de consommation et d’équipements, mais aussi de capitaux, peut être un facteur équilibrant à l’échelle macro-économique globale.

D’autre part, les perspectives économiques de l’Afrique, notamment de marché, sont considérables. Elles suscitent l’intérêt d’acteurs de plus en plus nombreux : l’Inde –qui a une présence traditionnelle en Afrique orientale-, la Chine –qui dispose en outre d’une base militaire à Djibouti-, mais aussi le Brésil, la Corée du Sud, les Philippines et la Turquie. La Grande Bretagne et surtout l’Allemagne sont particulièrement actives.

 

L’AFRIQUE ET LA FRANCE

Les Français se sont désintéressés de l’Afrique alors même qu’elle commençait à se transformer. Si nos exportations restent d’un niveau favorable et les implantations de nos services satisfaisantes, notre part de marché est passée en dix ans de 10 % à 5,5 %. Nous n’avons pas su nous adapter aux conditions nouvelles d’un marché en expansion. Il faut désormais agir non pas en solitaire, mais dans un cadre multilatéral.

En 2050, l’Afrique devrait comporter cinq cent millions de francophones dont dépendra largement l’avenir du français. Quand bien même le nombre ne serait pas effectivement atteint, la francophonie constitue un domaine essentiel pour l’ensemble de nos relations. Notre présence pourra être augmentée notamment en utilisant le développement rapide du numérique en Afrique.

Notre action en Afrique s’est trouvée focalisée ces dernières années sur le militaire. Sans remettre celui-ci en cause, nous devrons marquer une rupture par rapport aux décisions antérieures.

            L’Afrique doit être considérée dans la globalité des enjeux du continent. Il faut connecter notre pays avec la jeunesse et l’entreprenariat africain en orientant notre communication vers les acteurs économiques et culturels émergents et les sociétés civiles, et non plus à titre principal vers les Etats et leurs dirigeants. Si la place des pays francophones demeure pleinement reconnue et la francophonie elle-même vigoureusement défendue, le discours et la pratique doivent comporter une meilleure prise en compte de l’Afrique anglophone.

Au total, il a été décidé une remontée considérable de l’aide publique française au développement, en particulier par des dons dans la région sahélienne.

Mais est-ce suffisant ?

 


*Hervé de CHARETTE, Roland DUMAS (anciens ministres des Affaires Etrangères), Bertrand DUFOURCQ, Francis GUTMANN           -président du Club-, Gabriel ROBIN (Ambassadeurs de France), Général Henri BENTEGEAT, Bertrand BADIE (Professeur des Universités), Denis BAUCHARD, Claude BLANCHEMAISON, Hervé BOURGES, Rony BRAUMAN, Jean-François COLOSIMO,     Jean-Claude COUSSERAN, Dominique DAVID, Régis DEBRAY, Anne GAZEAU-SECRET, Jean-Louis GERGORIN, Renaud GIRARD, Bernard MIYET, François NICOULLAUD, Marc PERRIN de BRICHAMBAUT, Jean-Michel SEVERINO, Pierre-Jean VANDOORNE (secrétaire général).

Club des Vingt. Siège social : 38 rue Clef, 75005 Paris. Adresse e-mail : contact@leclubdes20.fr

Les reproductions et citations de la Lettre sont autorisées à condition d’en indiquer l’origine.

 

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