LES CRIMES DE DAECH

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Eléonore Le Bars
Etudiante en Master
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Tirant profit des crises majeures secouant l’Irak depuis 2003 et la Syrie depuis 2011, le groupe Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL) fait une apparition radicale sur la scène internationale le 29 juin 2014, en annonçant l’établissement de son califat. A la tête de ce nouveau régime islamique, le Calife Abou Bakr al-Baghdadi a pour objectif de développer le califat par la conquête de territoires allant du Maghreb au Khorassan, de l’Europe à l’Abyssinie. Pour affirmer sa suprématie, Daech opère par la spoliation de territoires, par la destruction de monuments classés au patrimoine mondial, par la violence et la terreur imposées aux populations. EIIL, Etat Islamique, Daech sont les trois noms du même mouvement djihadiste reconnu comme organisation terroriste par les Nations Unies, l’Union Européenne, les Etats-Unis, la Ligue arabe et la plupart des Etats dans le monde.

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Depuis Janvier 2014, l’EIIL s’est octroyé le droit de prendre par la force divers territoires, syriens et irakiens, dans le but d’y instaurer sa domination. On peut citer les prises de Raqqa et Fallouja dès janvier 2014, Tikrit le 11 juin, Tall Afar le 23 juin. Ces places conquises serviront d’assise territoriale au futur califat, qui sera proclamé le 29 juin 2014. Ce jour-là, l’EIIL, devenu l’Etat Islamique, légitime la prise de ces places en invoquant la volonté de reconstruire un califat semblable à celui créé par le prophète Mahomet, en son temps.

Politique territoriale


Dans ce contexte, Daech continue la spoliation de provinces en Irak comme Dilaya, Salaheddine, et Al-Anbar. En Syrie, dès Juillet, de larges parts du Deir Ezzor sont prises à l’Est, et Alep au Nord. En août, le gouvernorat de Raqqa est entièrement saisi par l’Etat Islamique. Daech conquiert de vastes champs de pétrole comme celui d’Al-Mar le 3 juillet en Syrie. Ces champs de pétrole permettent à Daech d’accentuer largement ses ressources financières, le pétrole représentant entre un tiers et un quart de ses ressources financières globales en 2015.

Outre ces territoires, des sites archéologiques et historiques d’une valeur culturelle inestimable sont ravagés. Daech dispose d’une unité spéciale appelée la Kata’ib Taswiya, dont le but est d’anéantir le patrimoine culturel par explosifs, masses, ou bulldozers. A Mossoul, plus de 28 monuments historiques sont détruits entre juin 2014 et février 2015, comme le tombeau de Jonas. En mars 2015, les djihadistes se situent aux abords de Palmyre, en Syrie. Située à 240 kilomètres de Damas, cette ville antique abrite les vestiges de l’un des foyers culturels majeurs du monde antique, dont l’architecture est un mélange des traditions locales, de maîtrise artistique gréco-romaine, et d’influence perse. Le 21 mai, l’Etat Islamique contrôle la totalité de la cité antique de Palmyre. Le 18 août, Khaled al-Asaad, expert de renommée mondiale du monde antique est décapité. A l’époque de ces exactions, Irina Bokova, directrice générale de l’UNESCO évoque un « génocide culturel », et réclame la mobilisation de la communauté internationale pour préserver le patrimoine des territoires contrôlés par l’Etat islamique.

Flagellation publique. Photo DR

En Syrie et Irak, la religion est au cœur de la vie quotidienne des individus. Sous le califat, les populations doivent se soumettre très strictement à la Loi Islamique, et subissent de nombreuses brimades lorsqu’ils ne la respectent pas. De ce fait, les juges de l’Etat Islamique légitiment les actes les plus insignifiants du quotidien comme les massacres les plus terribles, en se référant toujours aux textes fondateurs de l’Islam, le Coran et la Sunna. Il ne se passe pas un jour sans punitions, crucifixions, amputations ou décapitations, servant d’exemples à ceux qui envisageraient de ne pas respecter la Charia. Par exemple, le 16 février 2016, Daech décapite un jeune homme de quinze ans, jugé coupable d’avoir écouté de la musique pop, près de Mossoul. Pareillement, le 19 février, deux jeunes hommes sont décapités, coupables d’avoir loupé la prière du vendredi. L’intransigeance de l’Etat Islamique semble en réalité bien éloignée de l’Islam.

En vérité, l’objectif d’Abou Bakr al-Baghdadi est de dominer par la brutalité et l’oppression, pour s’assurer que les populations civiles terrorisées soient incapables de se révolter. En janvier 2016, en Syrie, un djihadiste de vingt ans a exécuté sa mère sur ordre, car celle-ci craignait pour sa vie. Les crucifixions, justifiées par l’Islam dans la sourate 5, verset 33, font désormais partie du quotidien des populations, puisqu’elles sont administrées aux pillards, ou à ceux portant atteinte à la sécurité de l’Etat.

Depuis l’arrivée de Daech, l’homosexualité, déjà rejetée dans l’Islam car remettant en cause la virilité du sexe fort, devient un crime majeur. Le 9 décembre 2014, Daech publie des photos montrant des djihadistes poussant un homosexuel d’un toit. Cet homme sera ensuite lapidé. Le tribunal islamique de la région Al-Furat explique à cette occasion que la personne homosexuelle doit être jetée du point le plus haut de la ville, et ensuite lapidée à mort, pour laver ses péchés. En 2015 et 2016, de nombreux homosexuels sont exécutés par l’Etat Islamique. Le SNHR, ou réseau syrien des droits de l’homme, évoque l’arrestation injustifiée de plus de 8000 civils par Daech, depuis la mise en place du califat jusque mars 2018.

Crimes de masse

Exécutions sommaires. Photo DR

Une réelle administration de la sauvagerie se met en place contre les ennemis : soldats de coalitions, Chiites, Yézidis, Occidentaux, tous considérés comme des têtes à abattre. Le crime est alors pensé et répond à divers objectifs : certains crimes sont commis pour éliminer le plus grand nombre, d’autres le sont pour terrifier les populations autochtones et servir de propagande, d’autres encore sont commis sur des femmes ou de jeunes populations, enfin, certains crimes destinés à l’Occident.

Le 6 novembre 2018, l’ONU annonce la découverte de plus de 200 charniers en Irak. Ces découvertes sont les premières d’une longue série, selon le Rapport de la mission d’assistance en Irak et du Bureau des droits de l’Homme de l’ONU. En ce qui concerne l’Irak, de nombreuses zones géographiques sont à fouiller, Al-Anbar à l’Ouest du pays, Kirkouk, Salaheddine, et la province de Ninive qui, elle, contiendrait plus de la moitié des fosses. Dans cette province, plus de 7200 personnes sont toujours portées disparues, dont 3117 membres de la communauté yézidie. En cette fin d’année 2018, seules 28 fosses fouillées ont permis l’exhumation d’environ 1250 corps. Les habitants de Mossoul racontent que les djihadistes exécutaient chaque jour des dizaines d’Irakiens dans les fosses d’une cavité naturelle surnommée Khasfa, le gouffre en arabe, au sud de la ville.

Depuis la défaite de Daech en Syrie fin mars 2019, les découvertes de charniers sont fréquentes. Une dizaine de fosses communes ont été trouvées et plus de 5000 corps  exhumés. Cependant, certaines zones restent à ce jour minées, ou sous le contrôle de milices djihadistes clandestines, cela empêchant toute enquête sur le sol.

Crimes de propagande


Si les tueries de masse permettent d’éliminer le plus grand nombre, des crimes sont organisés pour servir de propagande et effrayer les populations. C’est ce qui se déroule aux dépens du pilote jordanien Maaz al-Kassasbeh, qui agissait aux cotés de la coalition arabo-occidentale, capturé par Daech après le crash de son avion de chasse. Le corps meurtri par les coups comme en témoigne son visage tuméfié, il sera présente le 3 janvier 2015 près de Raqqa, en Syrie, enfermé dans une cage d’acier noire, vêtu d’une combinaison orange imbibée d’essence, et brûlé vif. Si cet exemple est le plus connu, Daech a utilisé l’immolation à plusieurs reprises. Le 22 décembre 2016, une vidéo de 19 minutes intitulée « Le bouclier » montre l’immolation de deux soldats turcophones. Un an plus tard, le 29 novembre 2017, Daech publie une vidéo de 58 minutes, intitulée « Flammes de la guerre » illustrant la mort du major Azzam Eid, pilote syrien originaire de Salamyeh, capturé le 22 avril 2016 après que son avion se soit écrasé au sud-est de Damas.

Crucifixion à Raqqa. Photo DR

La place Al-Naïm à Raqqa, autrement surnommée « le rond-point de l’enfer » est le théâtre de nombreuses exécutions publiques. A cet endroit, de nombreuses décapitations se sont déroulées. Les condamnés, hommes ou femmes, sont toujours habillés de couleur orange, tandis que les bourreaux sont habillés en noir. Souvent, l’arme utilisée pour faire tomber la tête est une grande épée. Après l’exécution, les hommes de Daech doivent présenter en trophée la tête coupée, tenue par les cheveux. Les décapitations sont filmées, médiatisées. Le tournage peut durer cinq à six heures parfois, et est dirigé par un cheik de Daech. Autour, la population est obligée de regarder, et à la mort de la victime, doit crier son engouement. Enfin, de grands écrans sont installés, pour que la foule lointaine puisse voir l’exécution. Tout est planifié pour que ces exécutions servent à la propagande de Daech.

Nadia Murad, Prix Nobel de la Paix en 2018, raconte dans son live « Pour que je sois la dernière », le sort de la population yézidie (de confession chrétienne). Les hommes sont tués par balles, décapités, ou emmenés pour être tués dans les fosses. Les filles et jeunes femmes de l’âge de Nadia Murad sont emmenées pour être vendues. Destinées aux combattants, elles subissent les coups et le viol, parfois collectif. Les mères de famille peuvent se voir offertes aux combattants âgés de 13 ans pour être violées. Enfin, le viol peut concerner les jeunes enfants. Le cas d’une petite fille de 7 ans arrachée à sa mère, violée par cinq hommes, et rendue morte cinq jours plus tard, en est une preuve. Bien que l’utilisation de la drogue soit interdite par la loi islamique, nombreuses sont les victimes à être droguées avant d’être violées. L’objectif est de marquer la victime d’une empreinte indélébile, tout en la rendant docile, incapable de se débattre, sans blessures ni marques de défense. Le viol est ainsi rendu invisible, cela permettant de revendre la victime au meilleur prix. Dans ce processus inhumain, la façon de traiter ces jeunes femmes prouve que la vie d’une yézidie ne vaut rien.

Crimes messages


De ces terribles exactions perpétrées par Daech, il faut prendre conscience du message envoyé à l’Occident. Si l’invasion américaine en 2003 avait plusieurs objectifs clés, certains groupuscules sunnites ont ressenti la présence des Américains comme une humiliation. Et des courants islamistes se sont senti en capacité d’incarner une alternative face à la présence occidentale. De la sorte, l’idée de l’Etat Islamique est de rendre une violence égale à celle ressentie et infligée par les Occidentaux. En 2014, du fait des frappes aériennes menées par les Etats-Unis et par la coalition internationale, Daech prend la décision d’exécuter des otages. A cette occasion, Jihadi John décapite plusieurs otages, James Foley, David Haines, Alan Henning, Peter Kassig. De 2015 à 2020, la France par exemple, est victime d’attentats ayant causé la mort de plusieurs centaines de personnes (Charlie hebdo, Bataclan, entre autres). Preuve en est que le terrorisme se déplace, et que les terroristes sont capables de frapper l’Occident, sur les terres du Califat, mais également, en dehors de ses frontières.

Photo pleine page. Légende :

Témoignage de l’émotion populaire après un attentat. Photo DR

Cependant, si ces exemples de crimes ont été perpétrés au moment où l’EI exerçait sa suprématie sur les territoires conquis, la situation évolue. Le 9 décembre 2017, Haïdar al-Abadi, Premier ministre irakien, annonce la défaite de l’EI sur le territoire irakien. Le 23 mars 2019, les forces démocratiques syriennes (FDS) s’emparent des derniers réduits de Baghouz, marquant alors la victoire des forces militaires sur l’EI. Mais la fin du califat en Irak et en Syrie ne signifie pas la fin de l’influence du groupe terroriste au Moyen-Orient.

Le combat continue


Le combat contre l’EI prend alors un nouveau tournant, avec comme objectif premier d’éliminer les cellules dormantes toujours présentes, comme au sud de l’Euphrate. Dans cette zone inhabitée de plus d’un millier de kilomètres carrés, composée de grottes et de déserts, la voie est libre pour les djihadistes rescapés. Frédéric Encel, essayiste et géopolitologue français, explique que, vaincu sur un plan militaire et territorial, l’EI va se réinventer et opérer sous forme de guérilla, comme c’était le cas avant la proclamation du califat. Daech selon lui, va devoir frapper davantage sur le plan terroriste, pour prouver qu’il reste toujours actif, et ce malgré sa supposée défaite.

En effet, en Syrie, parallèlement aux actions menées pour éliminer Daech, plus de 200 attentats terroristes ont lieu sur des zones « pacifiées », ce qui témoigne du fort réseau de cellules dormantes encore présentes sur le territoire. En Irak, le combat est le même. Tous les jours depuis l’élimination de Daech, des actions se déroulent contre les cellules dormantes, affirmait le commandant des opérations dans la province septentrionale de Ninive, le général Najm al-Joubouri.

Les djihadistes ont mené 55 attaques à la bombe contre la police. Des chefs de village ont été abattus, une dizaine en l’espace de six mois.  Si la lutte contre Daech prend un nouveau tournant, il faut tout de même noter que l’activité meurtrière du groupe terroriste, plus clandestine, reste forte. Attaques à la bombe, meurtres, attentats et attentats-suicides, enlèvements, le crime reste au centre des méthodes d’action de Daech.

Vers de nouveaux territoires


En avril 2019, Abou Bakr al-Baghdadi fait référence à la défaite de l’EI en Irak et en Syrie, pour avertir que l’EI se vengera, et que la lutte contre l’Occident sera une longue bataille. Si le décès d’Abou Bakr-al-Baghdadi le 26 octobre 2019 en Syrie n’a pas impacté ses capacités ni sa cohésion, Daech doit tout de même se réorganiser afin de relancer son action. L’élimination du numéro 1 de l’EI pourrait donner l’envie à ses nouveaux dirigeants de proliférer sur d’autres territoires.

Des pistes évoquent la résurrection de Daech au Sahel. En effet, battu en Irak et Syrie, asphyxié en Libye, l’EI pourrait se replier en Afrique sahélienne, où il compte de nombreux soutiens. Le 1er novembre 2019, soit une semaine après le décès du calife, une attaque perpétrée par Daech via l’Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS) provoque le décès de quarante-neuf soldats maliens. Fin janvier 2020, Abou Ibrahim al-Hachemi al-Qourachi, porte-parole de Daech exprime vouloir lancer une nouvelle ère de son djihad, en ciblant Israël. L’idée est de faire la guerre aux Juifs pour récupérer la terre volée aux Musulmans. A travers ses déclarations, le porte-parole menace ses ennemis, en faisant allusion à une nouvelle attaque. Le 14 février 2020, le journal suisse Le Temps évoque « le pire attentat auquel la Suisse a échappé », une tentative avortée, montrant cependant la volonté de l’EI de porter atteinte aux intérêts suisses. Le 6 mars 2020, 29 personnes considérées comme apostats décèdent dans un attentat revendiqué par Daech, en Afghanistan.

Ces diverses tentatives laissent planer le doute sur les futures intentions du groupe Etat Islamique. Daech va-t-il se regénérer en Irak et Syrie ? Va-t-il vouloir occuper d’autres territoires, et ainsi, se réinventer après la défaite subie sur l’arc syro-irakien ? La seule chose certaine est que les Relations internationales resteront marquées par les crimes perpétrés par Daech.

Aujourd’hui, la question est de savoir comment les crimes perpétrés par Daech seront jugés. Après la victoire contre l’EI en Syrie, les Kurdes ont appelé à la création d’un tribunal international spécial. Or, cette hypothèse ne fait pas l’unanimité au sein de la communauté internationale, notamment en raison de la lenteur des anciens tribunaux pénaux internationaux, comme celui du Rwanda ou pour l’ex-Yougoslavie. Cependant, de nombreux Etats comme l’Afrique du Sud, les Etats-Unis ou la France, ont affirmé que justice doit être faite, et que les responsables doivent comparaître pour leurs actes. Or, en droit, le principe est que les prisonniers doivent être jugés par les autorités judiciaires de l’Etat où ils ont commis le crime. Il est donc nécessaire de donner une réponse judiciaire aux crimes commis, dans le respect de la souveraineté de l’Irak et de la Syrie.

Publiée le 20 avril 2020

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(*) Eléonore Le Bars, titulaire d’une Licence d’Histoire parcours Sciences Politiques, est actuellement en Master 1 Conflictualités et Médiation à l’Université d’Angers. Intéressée par les enjeux liés à la sécurité et au terrorisme au Moyen-Orient, elle rédige actuellement son mémoire sur la publicité des crimes de Daech, crimes médiatisés et ceux passés sous silence, de 2014 à 2016.


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