Guyane,
La lutte contre
l’orpaillage clandestin

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Kilian Guyon (*)
Etudiant en Sciences Politiques
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En mars 2022, la gendarmerie nationale en Guyane a fait la découverte macabre de cinq corps ensevelis dans une région forestière isolée. L’enquête a établi qu’il s’agissait des corps de trafiquants d’or, des « garimperos », tués par armes à feu dans un règlement de comptes. L’orpaillage illégal est un fléau en Guyane, engendrant une insécurité croissante pour les populations locales et un risque majeur pour l’environnement.

L’orpaillage illégal désigne une activité aurifère qui s’exerce sans autorisation. Il s’agit d’une criminalité aux conséquences catastrophiques. Selon l’observatoire de l’activité minière de Guyane, on estime à 280 le nombre de sites illégaux recensés sur ce territoire, le plus grand département français. C’est une activité extrêmement lucrative. Selon la fédération des opérateurs miniers, la production clandestine, estimée entre 10 et 15 tonnes d’or par an pour un chiffre d’affaires de 600 millions d’euros, représente 90 % de la production d’or de Guyane.

C’est le fait d’individus, appelé garimpeiros, originaires des régions voisines du Brésil ou du Suriname, au taux de pauvreté extrêmement élevé. La perspective d’un « job » à haute rémunération incite ces malheureux, favorisés par la porosité des frontières et protégés par la densité de la forêt, à se ruer vers l’or. Ce banditisme est soutenu par des réseaux logistiques qui fournissent aux sites d’exploitation vivres, eau et matériels spécifiques, comme des pompes ou du mercure. 

L’orpaillage illégal est un fléau pour la région. Comme toute formes de criminalité, il impacte diverses facettes de la société guyanaise, engendrant des conséquences désastreuses au niveau économique, sécuritaire, social et environnemental.

La zone verte, en bas de la carte, est le tracé du parc naturel amazonien de Guyane, seule région  à peu près épargnée par les chercheurs d’or clandestins, non pas par respect de l’environnement, mais à cause d’une forêt impénétrable. Carte OFB (office français de la biodiversité)

Un désastre pour la région

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Selon un rapport parlementaire daté de 2021, cette activité illégale détourne de l’économie légale de la Guyane 750 millions d’euros chaque année. Et elle apporte son lot d’insécurité. Les garimpeiros sont armés afin de défendre leurs sites et leur précieux minerai. Ils opèrent en vrais réseaux criminels, ne craignant pas d’ouvrir le feu sur les forces de l’ordre. Il y a quelques jours, le 25 mars, lors d’une opération menée par les forces armées de Guyane et la gendarmerie, le maréchal des logis Arnaud Blanc, opérateur du GIGN, a été touché mortellement au cours d’un échange de tirs. En vingt ans, une dizaine de militaires sont morts dans leur lutte contre l’orpaillage illégal.

Et l’on constate ces dernières années l’augmentation de règlements de compte. Ce trafic lucratif engendre également d’autre forme de criminalité, comme le, trafic de drogue, la prostitution ou le trafic de migrants.

L’orpaillage illégal représente aussi un risque majeur pour l’environnement, venant menacer l’écosystème guyanais. La forêt guyanaise est l’une des régions les plus riches en matière de biodiversité. Or l’exploitation de mines d’or, dans un premier temps, oblige à une déforestation importante de la zone. Dans un second temps, les mineurs utilisent en très grande quantité du mercure, afin de séparer les autres minerais de l’or. Ainsi, pour extraire un kilo d’or, il faut utiliser un kilo de mercure, qui sera ensuite déversé dans la nature, polluant très largement les sols, empoisonnant les nappes phréatiques et se répandant dans les rivières où il contamine la faune et la flore.

C’est ainsi qu’on retrouve des concentrations de mercure particulièrement importantes parmi les poissons qui, par la suite, contaminent les populations locales qui s’en nourrissent principalement. Une étude de 2013  a mis en évidence dans la population autochtone un taux de mercure anormalement élevé, quatre fois supérieur au taux de mercure des populations vivant sur le littoral.

Appel à l’armée

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En 2008 est mis en place l’opération Harpie. Cette dernière, ordonnée par le Président de la République, Nicolas Sarkozy, vise à harceler les orpailleurs pour tenter de diminuer la rentabilité de leur activité et, à terme, de les en dissuader. Elle a pour objectifs de détruire les sites d’orpaillages et leurs réseaux logistiques. Elle fait suite à l’opération Anaconda, lancée en 2002, qui était menée par des unités de la Gendarmerie nationale. Harpie ajoute aux gendarmes les Forces armées de Guyane, c’est-à-dire un régiment de la Légion Etrangère et un régiment d’infanterie de marine.

Ces opérations répressives sont extrêmement difficiles du fait de la topographie de la région, les sites illégaux d’orpaillages sont essentiellement présents dans des zones recouvertes d’environ 95% de forêt dense et tropicale. De plus, la résilience des garimpeiros est impressionnante : un même site peut être détruit plusieurs fois par an,  les criminels s’adaptent en permanence et le matériel détruit est rapidement réparé ou remplacé. Face à l’intensification de la répression, les garimpeiros ont cessé d’exploiter des grands filons plus facilement repérables par des moyens de reconnaissance aérienne. Ils privilégient désormais de petits sites, plus facilement dissimulés sous la canopée. Les réseaux logistiques ont cessé d’emprunter les réseaux fluviaux constamment contrôlés par des barrages de police.

Malgré tout, la présence en permanence de plus de 350 militaires et gendarmes (pour couvrir une superficie de plus de 80 000 km²) est « un succès qui endigue la croissance de l’orpaillage illégal » affirme la commission d’enquête de l’Assemblée nationale dans un rapport daté de 2021. En 2020, près de 3 000 patrouilles ont été menées, permettant la saisie de 4,9 kilos d’or, 196 kilos de mercure, 280 000 litres de carburant ainsi qu’une grande quantité de vivres et de matériels. Ces saisies d’un montant estimé à 23,7 millions d’euros ont réellement permis de freiner le trafic. La preuve : le 10 février dernier, la préfecture de Guyane a annoncé une baisse en un an de 30% du nombre de sites clandestins. Une diminution constatée depuis trois ans, car on dénombrait 500 sites illégaux en 2020, ils sont désormais estimés à 280.

Saisie avant destruction d’une pompe sur un site clandestin abandonné par les garimperos, qui ont fui devant les « marsouins » du 9eme Régiment d’Infanterie de Marine. Photo MinArm.

Évolution juridique
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Afin de lutter contre le trafic d’or, une loi de 2011, appelée « loi de la Garantie », oblige les exploitant d’or de Guyane à fournir un registre de traçabilité de l’or. L’intérêt est de savoir où les acheteurs d’or se fournissent, pour éviter la vente d’or extrait illégalement dans le circuit légal. Il sera plus difficile pour un orpailleur illégal de vendre son or en Guyane. Mais cette mesure présente ses limites, car il est toujours possible de vendre le précieux minerai ailleurs. On estime que 95% de l’or du commerce mondial est intraçable.

En 2021, la loi climat et résilience est venu consolider la lutte contre l’orpaillage illégal en jouant sur l’aggravation des peines. Dorénavant, un individu pourra être condamné à cinq ans de prison et cent mille euros d’amende pour cause d’orpaillage illégal. Si on constate une dégradation de l’environnement, l’amende sera élevée à trois cent-cinquante mille euros. De plus, si l’orpaillage a lieu dans une zone naturelle protégée, alors la condamnation sera de sept ans d’emprisonnement et d’un million d’euros d’amende. Enfin, la loi institue un nouveau délit : « l’écocide », défini dans le code de l’environnement et assortie d »une peine, si l’infraction est constatée, de 10 ans d’incarcération et à 4,5 millions d’euros d’amende.

Le rapport parlementaire de 2021 a soumis à l’Assemblée nationale 44 propositions. Il est notamment suggéré de donner un rôle d’informateur aux chefs coutumiers des tribus amérindiennes qui sont en première ligne. Il est également proposé d’affecter les produits de saisie aux communautés impactés par l’orpaillage illégale en compensation, de créer un centre de recherche spécialisé sur les intoxications au mercure, de développer des patrouilles communes avec le Suriname voisin, ainsi qu’extrader les garimpeiros vers le Brésil pour qu’ils purgent leur peine.

Une lutte multisectorielle

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La lutte contre l’orpaillage est un phénomène régional, et les autorités françaises doivent travailler conjointement avec les autorités voisines du Suriname et du Brésil. Par exemple, la France partage 500 km de frontière avec le Suriname, or le Suriname ne dispose pas des moyens financiers et opérationnels pour surveiller cette longue frontière, laissant libre passage au flux de migrants venant renforcer les rangs de garimpeiros ainsi qu’à l’or sortant de Guyane. Un accord de coopération policière et judiciaire a été signé entre les deux pays en 2021. C’est une avancée, désormais, les autorités pourront procéder à des auditions de témoins sur le territoire de l’autre partie. De plus, le transfert de personnes détenues ainsi que la transmission d’informations judiciaires sera largement facilitée.

Patrouille conjointe de soldats français et brésiliens sur l’Oyapock, frontière entre les deux pays. Photo MinArm

Une harmonisation des législations entre le France, le Suriname et le Brésil serait souhaitable afin de casser les réseaux logistiques transfrontaliers. De plus, la lutte contre l’orpaillage illégale doit également passer par la traque des commanditaires et des financeurs, une traque qui doit se faire en étroite collaboration. Il faut aussi impérativement casser les réseaux d’immigration clandestine et de logistique qui se font par les fleuves Maroni et Oyapock qui marquent les frontières. Ces opérations seront efficaces uniquement sous la pression d’une volonté tripartite. La prise de conscience, toujours plus croissante, des pouvoirs publics respectifs suscite quelque espoir.  

 

(*) Kilian Guyon est étudiant en master 2 « Conflictualités et médiation » à l’Université Catholique de l’Ouest. Il est diplômé d’une licence en Sciences Politiques de l’Université de Rennes 1. Dans le cadre de ses études il a réalisé un mémoire portant sur la piraterie dans le Golfe de Guinée. »

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