COVID 19 :
MOINS DE MORTS EN ALLEMAGNE


Une Française expatriée en Allemagne
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C’est une Française qui habite en Allemagne depuis 10 ans et travaille dans le domaine de la santé. Sa famille, ses amis, ses relations, tous l’interrogent sur le nombre des victimes du covid 19, si incroyablement différent en Allemagne et en France. Elle a beaucoup expérimenté les différences culturelles entre les deux pays. Plutôt que de garder ses réflexions pour elle, elle a souhaité partager son regard franco-allemand sur la gestion de la crise. Ce qui suit n’est que son interprétation, le fruit de son expérience. Et le résultat de plusieurs débats passionnés sur le sujet.

Si on ne se savait pas en pandémie, on pourrait croire à une journée normale dans les parcs berlinois. Entre les joggeurs et cyclistes habituels, de jeunes parents promènent leurs poussettes, d’autres font des exercices ou jouent au ping-pong. On voit même les premiers bateaux gonflables voguer sur la Spree, annonçant comme chaque année l’arrivée des beaux jours.

Au moment où cet article est écrit, la situation sanitaire est radicalement différente de part et d’autre du Rhin : 140.227 personnes infectées et 26.991 morts en France, contre 170.508 cas pour 7.533 morts en Allemagne. On observe quatre fois moins de morts en Allemagne !

C’est que la France et l’Allemagne, si proches géographiquement, fonctionnent de manière bien différente. Plusieurs spécificités nationales jouent un rôle de premier rang dans la gestion de la crise du Covid.


Des différences structurelles


Il est tout d’abord bon de rappeler les basiques : la France est un état unitaire centralisé, ce qui signifie que tous les citoyens sont soumis au même et unique pouvoir, lui même centralisé dans un même lieu: Paris. Pour cette raison, les décisions politiques françaises tombent “d’en haut”, sans discussion ni aménagement territorial ou régional.

A l’inverse, l’Allemagne est un état fédéral composé de 16 entités autonomes, les Länder, dotés de leur propre gouvernement, et qui légifèrent dans de nombreux domaines, dont celui de la santé. Chaque Land est donc à la fois libre et responsable des budgets alloués à ce domaine. Grâce à un principe de solidarité, les Länder les plus riches paient pour les autres, permettant alors à chacun d’avoir un budget correct pour soigner la population. Chaque région peut aujourd’hui choisir son degré de confinement en fonction de l’avancée de l’épidémie. C’est ainsi que les régions de l’ouest du pays, le Bade-Wurtemberg, la Sarre et la Bavière, les plus touchées par l’épidémie, ont opté pour un confinement proche de celui de la France, ce qui n’est pas le cas dans d’autres régions.

Le fédéralisme implique aussi qu’Angela Merkel ne prenne pas de décision d’Etat seule, mais de concert avec les 16 présidents de région. Il ne faut pas oublier que l’histoire récente de l’Allemagne la rend très sensible et méfiante au sujet de la concentration des pouvoirs. Tant que l’Etat d’urgence n’est pas décrété (ce que la Loi Fondamentale permet mais qu’Angela Merkel a réussi à éviter jusqu’à présent), les Länder ne sont donc pas limités dans leur prise de décisions en matière de santé.

D’autre part, le système électoral des deux pays montre un fonctionnement différent au sommet de l’Etat. En France, on est sur le modèle du “winner takes all” comme aux Etats-Unis, où la majorité absolue obtenue au deuxième tour permet au gagnant d’asseoir ses décisions, après présentation à l’assemblée nationale et au Sénat. On a donc un processus décisionnel en “top down”, dans lequel le gouvernement issu de la majorité propose, et les députés disposent.

Le Reichstag, à Berlin. Le pouvoir en Allemagne suit un processus collégial, basé sur le compromis.
Photo Pixy

En Allemagne, on vote pour le parlement avec un scrutin proportionnel personnalisé. Chaque électeur a deux voix : avec la première il choisit le candidat de sa  circonscription qu’il aimerait voir siéger au parlement. Ces mandats directs attribuent la moitié des sièges au Bundestag. Avec sa deuxième voix, il choisit un parti, ce qui définira le nombre de sièges pour chaque parti. Pas de deuxième tour, et donc peu de chance d’avoir une majorité absolue. Pour atteindre les 50 %, le parti ayant remporté le plus de voix doit faire alliance avec au moins un autre Parti, et donc former un gouvernement de coalition. D’autre part, le chancelier n’est pas élu au suffrage universel, mais par les députés du parlement.

Au niveau étatique, on a donc en Allemagne un processus décisionnel collégial basé sur le compromis et la discussion, là où le système français est centralisé et “top-down”.
Cela a son importance dans la gestion de la crise.

Des manières de vivre différentes


En Allemagne, la densité de population est beaucoup moins importante dans les grandes villes qu’en France. L’exemple de Berlin parle de lui-même : la ville fait neuf fois la superficie de Paris mais est deux 2 fois moins peuplée, avec près de la moitié de la cité en espaces verts. Cela explique donc que les gens ont plus de place pour se déplacer tout en respectant les distances de sécurité, sans se mettre soi-même ou les autres en danger.

Ensuite, l’Allemagne est un pays plus urbanisé que la France, ce qui lui permet de réduire le risque de déserts médicaux, et donc de prendre plus rapidement en charge ses malades. Le fédéralisme permet d’éviter l’effet “Paris et le reste du monde”.

Photo Pixabay

Et alors que dans les pays latins on a plus tendance à habiter ensemble à  plusieurs générations, ou à se retrouver très fréquemment autours de dîners et autres repas de famille, les allemands quittent le domicile parental généralement beaucoup plus tôt : 23,7 ans en Allemagne contre 29,5 ans en Espagne et 30,1 ans en Italie. On a donc un virus qui a moins de chance de circuler rapidement vers les aînés, sans compter que la culture germanique est beaucoup moins tactile. Pas de bise, pas de contact physique appuyé.

Enfin, n’oublions pas qu’en Allemagne, contrairement à la France, le télétravail est admis et pratiqué depuis des années. Il s’est donc mis en place tout naturellement dès le début de la crise, dans les grands groupes comme dans les PME de nombreux secteurs.


Prévention versus Réaction

Ce qui est frappant, au-delà des différences structurelles, c’est l’opposition entre le caractère préventif du système de santé allemand, et le caractère réactif du système français.

L’Allemagne ne rigole pas avec la santé, elle est souvent considérée comme “freak” dans ce domaine par les expatriés. Un éternuement sur le lieu de travail et on est renvoyé à la maison illico presto : “tu reviendras quand tu seras guéri(e)!”. Les employés ont droit à un arrêt de travail pouvant aller, selon les entreprises, jusqu’ à 3 jours sans consultation médicale obligatoire ni jours de carence. Grâce à cet acquis social, l’Allemagne s’assure des employés en pleine forme sur leur lieu de travail, pouvant alors être hautement productifs lors de leurs 40 heures hebdomadaires travaillées.

Le premier cas, le fameux patient 0, est constaté le 27 janvier en Bavière sur un individu en lien direct avec la Chine. Ce traçage à la source permet alors aux autorités Allemandes de lancer immédiatement la machine et de commencer les dépistages du covid-19 dès fin janvier. Toute personne allant voir son médecin dès les premiers symptômes, ayant été en contact avec un malade, ou revenant d’une zone à risque est testée.

Car oui, le pays était préparé. On a à faire ici à un pays rationnel et prévoyant, là où la France est un pays beaucoup plus flexible et jouant l’adaptation, pour ne pas dire l’improvisation. L’Allemagne a pu déployer ses tests de dépistage de manière massive et ainsi mapper très rapidement les premiers nids d’infection. L’Allemagne a aussi décidé de suivre l’exemple des pays asiatiques, et de pratiquer 500.000 tests par semaine gratuitement, avec un objectif de 200.000 tests par jour.  Les allemands ont donc pu dérouler leur plan d’urgence comme prévu dans leur scénario de crise, de manière planifiée et efficace.

En France, on réagit à la crise. Le pays n’avait pas suffisamment de tests de dépistages disponibles en stock, ni assez de masques, contrairement à ce qu’avait annoncé le gouvernement à la population. La collaboration entre laboratoires et institutions a mis plusieurs semaines à s’établir. Ce manque de préparation en amont n’est d’ailleurs pas sans rappeler “ l’épisode Roselyne Bachelot”, alors ministre de la santé en 2009, qui avait mis 1,7 milliard de masques à disposition du personnel soignant lors de la crise de la grippe H1N1. Raillée de tous bords pour sa “sur-préparation” et accusée d’avoir jeté de l’argent public par les fenêtres, la France a aujourd’hui un gouvernement qui n’aborde une crise sanitaire qu’avec un stock de 100 millions de masques, comme s’il ne voulait pas se ridiculiser, au cas où la crise aurait été enrayée rapidement.

Capture d’écran
lors de l’allocution télévisée
d’Emmanuel Macron

Lors de son allocution du 13 avril, Emmanuel Macron a affirmé que “l’Etat, à partir du 11 mai, devra permettre à chaque français, de se procurer un masque”, 3 mois après le début de la crise, donc. Un pays qui improvise: CQFD.

Concernant le nombre de morts du covid-19, on observe une énorme différence entre les deux pays, même s’il serait intéressant d’enquêter en profondeur sur le système de comptabilisation. Il semble en effet propre à chaque pays, rappelant d’ailleurs les énièmes débats sur les chiffres du chômage. Quoi qu’il en soit, la prévention allemande se lit en miroir de la réaction française. Avant le début de la crise, l’Allemagne avait déjà 28.000 lits disponibles en soins intensifs, dont 20.000 avec respirateurs. Depuis début avril, le pays a réussi à augmenter cette capacité à 40.000 lits et 30.000 respirateurs. A côté, la France et ses 7.000 lits disponibles en début de crise dénote.


Deux manières de fonctionner


L’Allemagne et la France ne gèrent pas leur système de santé de la même manière. Alors que les deux pays se talonnent depuis plusieurs années en termes de dépenses de santé ramenées au PIB (autour de 11,3%), l’Allemagne est le premier pays européen en termes de dépenses de santé par habitant, et compte 4,3 médecins pour 1000 habitants, là où la France n’en compte que 3,4. D’autre part, plus de 90 milliards d’euros sont dépensées chaque année dans les domaines de la recherche, contre 50 milliards d’euros en France.

Rappel douloureux mais nécessaire, avant le début de la crise, le gouvernement français fermait encore des hôpitaux. Et pendant que la France attend ses livraisons de masques commandés en Asie, car le pays a choisi de délocaliser leur production, l’industrie allemande fabrique depuis plusieurs semaines déjà des masques, respirateurs et autre matériel de laboratoire.

Ce sont donc deux façons de fonctionner qui s’opposent, avec d’un côté du Rhin une vision préventive et proactive, et de l’autre une vision réactive.

Au début de la pandémie, l’Allemagne disposait de 20 000 lits de réanimation.
Photo Pixy

Deux systèmes à bout de souffle


Il ne s’agit pas ici de jeter la pierre à l’un ou l’autre des fonctionnements, car aucun des deux n’est parfait. Un constat capital les rapproche : ces deux systèmes de santé sont en souffrance.

Si le système français est sous assistance respiratoire depuis plusieurs années, avec des coupures budgétaires à répétition et un silence qui en dit long face aux appels au secours de son personnel soignant, l’Allemagne fait face à un sérieux problème : son personnel est en sous-effectif chronique.

Alors que la population vieillit massivement, les salaires stagnent, les heures supplémentaires s’accumulent, et le personnel flanche. Le recrutement s’avère très compliqué puisque de nombreux infirmiers et aide soignants préfèrent partir dans le privé, soit en renonçant à leur vocation, soit en faisant le choix de travailler dans des agences d’intérim spécialisées. Celles-ci leur offrent de meilleurs salaires en même temps que de meilleures conditions de travail, sans heures sup forcées.

Entre 100.000 et 250.000 places pourraient rester vacantes dans les institutions publiques allemandes d’ici à 2030. Le personnel soignant est alors de plus en plus recruté à l’étranger, on estime à 7% aujourd’hui ce chiffre qui ne fait que grimper. Ce système de santé, qualifié « d’un des meilleurs du monde » par Angela Merkel lors de son allocution fin mars, est lui aussi bien affaibli.

Sans oublier qu’il est, à la base, bien plus inégalitaire que le système français, puisqu’il s’agit d’un système à deux vitesses, avec des patients publics d’un côté et des patients dits privés de l’autre, à qui on offre des soins plus rapidement et de plus grande qualité. Le prix de l’assurance de santé est elle aussi bien plus élevée qu’en France pour ses cotisants.

Lors de cette crise sanitaire, l’Allemagne fait la preuve de la supériorité économique, financière et matérielle de son système de santé. Mais elle ne peut se vanter pour autant de son excellence, loin de là. Et si le système de soin est au cœur de la crise actuelle, il est loin d’être le seul élément à prendre en compte pour en expliquer la gestion, si différente d’un gouvernement à l’autre.


Dans notre prochaine publication, une autre analyse sur le même sujet : comment les pouvoirs, en France et en Allemagne, ont managé la crise.
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Bonne lecture et rendez-vous le 15 juin 2020
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