Gaza, Israël, Moyen-Orient :
l’avenir d’un conflit

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Xavier Raufer (*)
Criminologue

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Xavier Raufer s’est exprimé sur la situation qui prévaut depuis le début du mois d’octobre 2023, au Moyen-Orient et en Israël, en particulier. Il nous livre ici le fond de son analyse.

Source : Pixabay

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1) L’attaque du Hamas contre Israël s’est accompagnée d’une orgie d’images de violence, et pire, d’images de mise en scène sadiques. Beaucoup ont évoqué Daesh et ses vidéos. A quelles autres filiations peut-on penser ? Cartels ? Rap US ? Wagner ? Daesh ?

 

Source : Pixabay

Dans le monde de YouTube et des réseaux sociaux, toute vidéo reçoit sa charge de violence en fonction du public souhaité – et de l’effet de menace ou de terreur recherché. Il y a une dimen­sion vantardise, un peu puérile chez les rappers, morbide pour les cartels du Mexique. Wagner a réussi l’exploit médiatique de ressusciter la « guerre fraîche et joyeuse ». Viens avec nous com­battre ! C’est plus drôle que le bureau de 9h à 17h et les soirées télé avec sa copine ! Courte mais bonne. Sur le T-shirt d’un gangster « Blood » de South-Central Los Angeles, qui n’avait pas 20 ans, j’ai lu ceci : « Here today, gone tomorrow », qu’il est inutile de traduire. On trouve tou­jours les mêmes composantes : fascination pour la mort, pouvoir la donner, savoir l’accepter. Ajoutons la drogue : combattants du front russo-ukrainien, moujahidine de Hamas, gangsters juvéniles ou sicarios du Mexique, tous soutenus-poussés par des stupéfiants-excitants cocaïne, le captagon, le meth’, etc.

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2) Que nous apprennent ces autres « filières » de vidéos violentes que vous évoquez ? Ces vi­déos sont-elles efficaces « militairement » ou en matière de gestion des rapports de force ? Ef­fi­caces politiquement ?

Dans le fond du tableau, ces vidéos créent une exaltation qui rend le reste possible. Elles ou­vrent la voie aux pires transgressions (tu ne tueras pas, etc.). L’excitation passée, la poussée d’adrénaline par la drogue dissipée, nombre de terroristes en gardent des cauchemars du­rables. Le rôle de ces vidéos, comme des discours violents ou des musiques excitantes, est de libérer l’adrénaline de jeunes hommes, de provoquer leur violence, de stimuler leur agressivité. Résumons : de regarder la mort dans les yeux.
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3) Que savons-nous de l’impact relatif des images sur notre cerveau -et notamment des images choquantes voire traumatisantes- si on le compare à celui des mots et des discours ?

Le cerveau humain se lasse vite. Dans le répétitif, il exige toujours plus : c’est vrai pour le porno, pour les pratiques sadomasochistes ; aussi, pour les vidéos violentes. Il y a addiction aux tortures, aux égorgements : comme pour les stupéfiants, un appétit d’encore plus. Certains, hypnotisés par les décapitations de Daesh, face caméra, ont dû être désintoxiqués, ni plus ni moins que pour l’alcoolisme. Mais attention : la fascination pour la violence n’induit pas forcément un passage à l’acte ; de même que le porno ne conduit pas fatalement au viol. Res­tons pudiques : en pareil cas, autant sont excités, que soulagés. Dernier point : la maladie mentale est FORCÉMENT individuelle ; l’être humain est cadenassé dans sa schizophrénie, etc. Si donc ensuite, passage à l’acte il doit y avoir, il est individuel – d’où, risque limité.

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4) La glorification graphique de la violence avait disparu dans le monde et a fortiori en Occi­dent depuis la 1ere guerre mondiale et les images de soldats la fleur au fusil. Que révèle ce re­tour fracassant sur le Hamas d’une part, et sur la manière dont le monde arabe s’en est em­paré d’une autre ? Que dire enfin sur ceux qui en Occident les regardent et s’en réjouissent, ou les minimisent ?

Seul l’humanisme bêlant croit que l’homme s’améliore au fil du temps. La société limite tant qu’elle peut l’accès de l’homme aux voies et moyens de la violence – mais dès que l’occasion existe, il retrouve avec joie (parfois, soulagement) les pratiques ancestrales. Plus on veut l’adoucir, plus l’effet de rebond est brutal. La sagesse ancienne dit « Qui veut faire l’ange, fait la bête ». La société actuelle fait tout pour amadouer l’être humain ; son discours et sa pratique va dans ce sens depuis au moins huit décennies – mais tout cela peut s’évanouir à la seconde. Fin juin dernier, une semaine d’émeutes en France, le pays à feu et à sang, un milliard d’euros de dégâts – nul n’a prévu, nul n’y a rien pu

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5) Quel impact peut-on imaginer que ces images laisseront sur la perception du conflit israélo-palestinien ? Comme sur les fractures culturelles, religieuses ou ethniques spécifiques aux so­ciétés occidentales ?

Toujours, dans la vie en société, l’impact d’images ou de situations, vues ou vécues, est collec­tif ; mais les dégâts sur l’esprit humain, individuels. Certains absorbent et oublient vite, d’autres en sont hantés à vie. Et la violence est un phénomène culturel : pour les mono­théismes issus la péninsule arabe, l’égorgement a un effet cathartique ; le massacre, tribal ou autre, est vu comme manifestation de la colère divine. Puis bien sûr, la vengeance est un devoir sacré. Certes, il s’agit d’un substrat culturel, mais il transparaît parfois – même récemment. Dans la « feuille de route » des terroristes du 11 septembre 2001, l’ordre d’égorger les pilotes des avions ; or le terme utilisé n’est pas « tuer« , mais celui de l’immolation rituelle (Abraham, rêvant d’avoir à égorger son fils). On le voit : tout cela remonte fort loin.
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6) Les nazis savaient que malgré l’antisémitisme, l’extermination des Juifs choquait, et encore plus en Europe de l’Ouest. Ils avaient gardé une forme de notion du Mal. Ils ont tout fait pour euphémiser et effacer les traces de la Shoah. Les Hamas, Hezbollah & consorts l’assument au grand jour. Et trouvent partout en Occident des militants auto-proclamés du Bien pour leur en donner quitus. S’agit-il d’une rupture anthropologique ?

Prenons conscience de l’horreur : pour les nationaux-socialistes allemands, le « Judenver­nichtung » est un acte d’hygiène : il s’agit « d’éliminer des nuisibles humains » : pas de quoi se vanter, ni besoin d’une publicité spéciale. Les islamistes rêvent de retrou­ver la grandeur de la conquête de l’Islam, où ceux qui résistaient à l’appel d’Allah passaient au fil du cimeterre. En Europe, ceux qui contribuent à ça sont des imbéciles, privés de tout sens commun par des lu­bies idéologiques. Ce sont un peu des Lemmings humains. Qu’ils courent vers la falaise ! Et par gentillesse, espérons qu’ils se recevront en bas, sans trop de mal.


7 / Visite-éclair du président Biden en Israël, pour l’assurer de son soutien. Le job est-il fait ? 

Les États-Unis n’ont jamais de vraie politique étrangère ; toujours, les retombées extérieures de stratégies made in Washington. À présent, les Israéliens n’ont nul besoin qu’on les cajole, ils ont une guerre à gagner, la plus ardue de leur histoire. Pourquoi est-ce si difficile, dans tout le grand Moyen-Orient, d’ailleurs ? Ni Israël, encore moins les États-Unis, on l’a vu en Afghanistan, ne savent combattre des milices ; ce que la doctrine militaire prussienne nommait Bandenkriege, guerres de bandes. Israël s’est mal sorti en juillet 2006 d’une telle guerre contre la milice du Hezbollah, filiale à 100% des Pasdaran iraniens. Car depuis la Révolution islamique de 1979, les retors dirigeants de Téhéran ont amusé la galerie avec leur bombe atomique ; pendant ce temps, dans la région, ils suscitaient en douce une galaxie de milices armées, pas seulement chi’ites : Yémen (Houthis), Liban (Hezbollah, etc.) d’autres en Syrie, à l’appui de Bachar al-Assad, et du pouvoir à Bagdad. Stratégie brillante : une milice ne coûte pas cher ; on la déclenche et l’arrête quand on veut (suffit de ne plus payer…). Pour la milice du Hamas, à in­vestissement minime, résultat déjà énorme : les « accords d’Abraham » morts et enterrés ; le grand corridor commercial Bombay-Haïfa, via Dubaï et l’Arabie saoudite (riposte américaine au One Belt One Road chinois), aux oubliettes. Ceci d’essentiel posé, je réponds : de lui-même, le flageolant Joe Biden n’est pas très rassurant ; et des porte-avions pour affronter des milices, euh… Essayez-donc de tuer des moustiques à coups de massue.
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8 / Ce soir, l’État hébreu autorise l’entrée d’aide humanitaire dans Gaza par le pas­sage de Ra­fah. Israël change sa stratégie ? Subit-il la pression de la communauté internatio­nale ?

Israël est l’exact contraire d’un État-voyou ou d’une bande de desperados. Il a un rang mondial à tenir, sur une planète ou désormais, tout est su à la seconde, avec plus de téléphones portables (± 8,6 milliards) que d’humains. Tous les terroristes ont vu, fascinés, combien les attentats du 11 septembre avaient, parlons familièrement, fait « perdre les pédales » à Washington. À quel point sa riposte démesurée, désastre irakien, etc. l’avait plus discrédité que toute la propagande anti-américaine de toute de la Guerre froide. Clairement, par les massacres atroces de ces derniers jours, les « parrains » du Hamas veulent aussi faire sortir Israël de ses gonds. Concevoir une riposte mesurée, impitoyable, millimétrée et rapide, est fort difficile. Israël en est là et doit agir, Biden reparti.
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9 / Israël est-il entré dans une nouvelle ère ? Avant, les Israéliens étaient sûrs de leur supério­rité militaire et de leur capacité à choisir la stratégie militairement ou politiquement la mieux adaptée. Et aujourd’hui ? 

Cette guerre diffère de celles du passé. D’abord, l’inepte tentative de renverser le ré­gime de Bachar al-Assad vers 2011-2012, succédant à la guerre en Irak (2003-2011) et le chaos consé­cutif, ont offert aux dirigeants iraniens un cadeau à ce point sidérant, qu’à Téhéran, on a dû se frotter les yeux pour y croire : VINGT ANS continus d’aguerrissement pour leurs milices. On connaît ce dicton, tiré des (d’ailleurs, su­perbes) Écrits militaires de Mao « Se lancer dans la gué­rilla pour apprendre à faire la guerre ». De l’Hindu-Kusch aux rives de la Méditerranée ; des bords de l’Euphrate aux frontières de l’Égypte, vingt ans pour apprendre, s’entraîner, inventer, tester stratégies et méthodes, avec des parrains iraniens, nord-coréens, etc. Washington a dé­clenché une machine infernale immense – les Israéliens en subissent les effets. Face à cette « armée aux pieds-nus », Le brave Joe Biden et ses porte-avions ; et l’armée d’Israël, qui n’a pas combattu depuis 15 ans et plus – je veux dire, au sol, au corps-à-corps.

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 le renforcement du Hezbollah, la stratégie iranienne ou l’argent Qatari ont contribué à un rapport de force militaire moins déséquilibré ? 

Source : Pixabay

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Ce qui précède montre que non seulement le rapport de forces s’est rééquilibré, mais que la nature même de la « guerre de bandes » la rend peu praticable pour un État de droit, scruté par l’ONU, une kyrielle d’ONG humanitaires, l’Organisation mondiale de la santé, etc. Toutes enti­tés dont bien sûr, le Hamas et ses parrains se moquent éperdument.
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11/ la pression internationale, l’évolution sociologique des opinions publiques en Occident sous la pression des mouvements décoloniaux et wokistes d’une part, de l’immigration sous in­fluence islamiste d’autre part ont-ils changé la marge de manœuvre ?

Pour la France en tout cas, les zigotos que vous citez ne sont que l’écume de la grande crise néo-puritaine aux États-Unis, pays qui s’offre parfois de tels soubresauts – et les oublie vite en­suite. Ainsi, le caustique Gore Vidal qualifiait son pays d’United States of Amnesia. Laissons ces hurluberlus woke s’offusquer de tout et du reste. Leur poids est infime dans l’ordre général des choses, notamment face à ceci : on nous bassinait avec le high tech et la guerre des étoiles – or voilà que renaissent les grandes compagnies du temps de Jeanne d’Arc… les Lansquenets des guerres de religion. Sur la ligne de front Ukraine-Russie, des tranchées comme devant Verdun… Reviens, Alvin (Toffler) ils sont devenus fous !


Source bandeau : Google Map

 

(*) Xavier Raufer, criminologue, est directeur d’études au pôle sécurité-défense du Conservatoire National des Arts et Métiers. Il est Professeur associé à l’institut de recherche sur le terrorisme de l’université Fu Dan à Shanghaï, en Chine, et au centre de lutte contre le terrorisme, la criminalité transnationale et la corruption de l’Université Georges Mason (Washington DC). Directeur de collection au CNRS-Editions, il est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à la criminalité et au terrorisme, répertoriés dans la rubrique LIVREd’ESPRITSURCOUF.

Il a écrit  “A qui profite le djihad ?”  publié en mars 2021 aux Éditions Cerf, et présenté dans la rubrique LIVRES dans le numéro 164.