Insécurité,
le vrai et le ressenti

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Chloé Daniel (*)
Bachelor en Sciences Politiques et Relations internationales
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Les rapports annuels du Service Statistique Ministériel de la Sécurité Intérieure (SSMSI) viennent de paraître. L’insécurité est un enjeu  majeur au sein de la société française, elle fut d’ailleurs un des thèmes les plus discutés lors des élections présidentielles de 2022. Entre préoccupation sécuritaire à l’échelle de la société et sentiment d’insécurité personnelle, quelle est la réalité des chiffres en France ?

Placé sous la direction conjointe des directeurs généraux de la police nationale (DGPN) et de la gendarmerie nationale (DGGN), le SSMSI est le service public qui assure la production et la diffusion d’indicateurs statistiques sur la délinquance. La délinquance étant l’ensemble des infractions, crimes, délits et contraventions.

 

Précisions sémantiques

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D’un côté, le rapport « Insécurité et délinquance en 2021 : bilan statistique », paru en juin 2022, classe les faits de délinquance en 7 catégories. Par exemple, l’indicateur « homicide » regroupe les règlements de compte entre malfaiteurs, les homicides pour voler et à l’occasion de vols, les homicides pour d’autres motifs, les coups et blessures volontaires suivis de mort, les homicides d’enfants âgés de moins de 15 ans. Autre exemple, l’indicateur « violences sexuelles » où sont consignés les viols et tentatives de viol, les agressions sexuelles et le harcèlement sexuel chez des victimes majeures et mineures, sans inclure les atteintes sexuelles.

 

D’un autre côté, le rapport « Insécurité et victimisation : les enseignements de l’enquête Cadre de vie et Sécurité, édition 2021 » de la même organisation classe ces faits en 4 catégories : l’indicateur « atteintes aux biens » qui regroupe cambriolages et tentatives de cambriolages, vols sans effraction dans le logement, actes de vandalisme contre le logement, vols et tentatives liés aux véhicules, vols avec et sans violence contre les personnes ; l’indicateur « délinquance économique et financière » qui englobe escroqueries bancaires et corruptions ; l’indicateur « atteintes aux personnes » qui réunit violences physiques hors situation de vols et hors ménage, les menaces et injures hors-ménage ; et pour finir l’indicateur « sentiment d’insécurité et opinion des français sur la sécurité ».

Le sentiment d’insécurité, indicateur important, nous permet de connaitre les données jugées essentielles par les citoyens français dans leur rapport à la sécurité de la société.

 

Le sentiment d’insécurité

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L’enquête Cadre de vie et Sécurité (CVS) est tenue chaque année depuis 2007. Les chiffres montrent que le nombre de « personnes de 14 ans ou plus se sentant souvent ou de temps en temps en insécurité dans leur quartier ou leur village » augmente, passant de 4,9 millions de personnes en 2008 (soit 10% de la population) à 6,2 millions en 2018 (soit 12% de la population).

La même enquête montre que pour la même tranche d’âge, en 2021, le problème sociétal le plus préoccupant en France métropolitaine est la santé (22 %), ce qui s’explique par le contexte de pandémie dû au Covid-19. Néanmoins, la délinquance (20 %) est classée 2ème préoccupation alors qu’elle était souvent en 3ème, 4ème ou 5ème position, après le chômage et la précarité de l’emploi, le terrorisme et les attentats. Les autres sujets de préoccupations de la population en 2021 sont la pauvreté (14 %), le terrorisme (13 %), le chômage (12 %), l’environnement (9 %), le racisme (8 %) et la sécurité routière (1%)

Le rapport de l’enquête « Sociologie politique de l’insécurité durant les élections présidentielles de 2022 », réalisé par la fondation Jean-Jaurès, organisme privé, apporte des informations complémentaires. Il indique que 51,4% des personnes interrogées considèrent que le manque d’encadrement de la famille est le principal facteur de la délinquance et de la criminalité, tandis que 35% des personnes interrogées estiment que le manque de sanction de la justice est un facteur essentiel de la délinquance. Il montre aussi que les faits les plus redoutés sont les agressions verbales, les cambriolages et les vols de voitures ou deux-roues. La peur de l’agression sexuelle est aussi très élevée : 18,4% des moins de 24 ans et plus de 25% des 25-29 ans y sont confrontés.

Malgré ces chiffres, la part de la population (60%) qui juge « très satisfaisante ou satisfaisante » l’action des services de police ou de gendarmerie, tout comme celle qui la juge « peu ou pas satisfaisante » (30%),  n’évolue que très peu.  

 

La brutalité des chiffres

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Le taux d’insécurité en France est en constante augmentation dans la plupart des catégories. Les homicides ont augmenté en 2021 pour arriver à un total de 842, soit 55 de plus qu’en 2020. De même, une forte augmentation des coups et blessures volontaires a été enregistrée, surtout des violences intrafamiliales, alors que leur taux était relativement stable en 2019 et 2020. Un total de plus de 300 000 faits a été enregistré, sachant que 6 victimes sur 10 de coups et blessures volontaires sont des femmes. C’est aussi le cas du nombre de violences sexuelles qui, entre 2020 et 2021, ont augmenté de   33%, alors que la hausse entre 2019 et 2020 était bien plus faible.

Suivant la même conjoncture, les escroqueries, l’usage de stupéfiants (et non pas leur trafic) ainsi que les vols de véhicules et la destruction et la dégradation volontaire de biens augmentent. Cependant, les vols violents sans armes, eux, continuent de diminuer, tout comme les vols violents avec armes. D’ailleurs, les vols violents enregistrés par les services de sécurité sont fortement concentrés dans les grandes agglomérations. Les vols non violents en revanche persistent sur des victimes de tout âge tout comme les cambriolages de logements dont les chiffres restent stables.

Une satisfaction dans l’avalanche de chiffres : les cambriolages ne sont pas plus nombreux.
Photo Pixabay

Relativiser
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La délinquance et la criminalité sont concentrées dans les plus grandes villes. Au 1er janvier 2021, la France métropolitaine compte 34 836 communes, dont près de 70% de moins de 1 000 habitants, et 0,1% de plus de 100 000 habitants. En somme, le niveau d’exposition à la délinquance croît avec la densité de population. D’un côté, les vols avec arme, les vols violents sans arme et les vols sans violence contre des personnes sont largement caractéristiques des communes les plus peuplée. D’un autre côté, si la répartition territoriale des violences sexuelles, des coups et blessures volontaires intrafamiliaux et des cambriolages s’avère plus uniforme, le taux de victime est tout de même plus important en zones urbaines et peuplées que rurales.

L’analyse n°44 d’Interstats, le service statistique ministériel de la sécurité intérieure, parue en mars 2022 vient appuyer ces chiffres : en 2021, la majorité des actes de délinquance sont commis dans seulement 1 % des communes métropolitaines. Les cartes suivantes montrent l’évidence : les zones les plus peuplées sont celles qui enregistrent le plus grand nombre de catégories de crimes et de délits.

 

       Nombre de crimes et délits en 2021                  Densité de la population communale en 2019

Néanmoins, la Fondation Jean-Jaurès rappelle dans son étude 2022 que la préoccupation sécuritaire (jugement social qui consiste à̀ placer la délinquance au premier rang des problèmes sociaux à résoudre) et les peurs liées à l’insécurité ne se développent pas exclusivement dans les territoires les plus frappés par la délinquance. On la trouve aussi fréquemment dans des territoires ruraux ou périurbains.

 

Question : y a-t-il réellement plus de violence au sein de la société française,  ou celle-ci n’est-elle que plus dénoncée ? Les mouvements de libération de la parole des victimes, ayant émergé sur les réseaux sociaux, ont peut-être encouragé les différentes victimes à déposer plainte. Dans la même perspective, il y aurait peut-être bien plus de victimes de coups et blessures volontaires, notamment de violences sexuelles, que celles enregistrées. Car déposer plainte demande du courage face au traumatisme, à la longueur de la procédure et à son traitement par la justice.

 

D’autres questions se posent, concentrés sur le sentiment d’insécurité. Cette affaire ayant inévitablement une connotation politique, dans quelle mesure l’idéologie peut-elle surévaluer l’impression d’insécurité ? Un récent article du Figaro a tenté de démontrer qu’il existait vraiment un lien entre immigration et délinquance. Si la question est difficile à résoudre, car les statistiques officielles ne le permettent pas, elle vient alimenter un débat de société récurrent (conf. les propos d’Eric Zemmour).

 

Aux pouvoirs publics de jouer

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Face à l’augmentation de la criminalité et de la délinquance à l’échelle de la France métropolitaine, plusieurs décisions ont été prises pour assurer la sécurité des citoyens. La loi du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés s’inscrit dans ce cadre, favorisant l’action de la police ou du secteur privé. En effet, ces derniers sont souvent chargés de gérer, en plus du quotidien, des évènements plus importants, tels que les Jeux Olympiques à venir. Or, suite aux incidents lors de la finale de la Ligue des champions du 28 mai 2022 au Stade de France, la question du traitement des actions relatives à l’insécurité est revenue au premier plan.

Le récent rapport n°82 d’Intestats, paru en juillet 2022, vient affirmer que la majorité des indicateurs conjoncturels des crimes et délits enregistrent des baisses en juin 2022, après des hausses en mai. Mais encore une fois, cette diminution est à relativiser, les chiffres sur l’année étant plus importants que les années précédentes. Ainsi, en juin 2022, les violences sexuelles, les coups et blessures volontaires sur personnes de 15 ans ou plus et les escroqueries se situent à des niveaux bien supérieurs à ceux d’avant le premier confinement de 2020.

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Chloé DANIEL (*) est étudiante en Master Histoire – Relations internationales au sein du parcours géopolitique à l’Université catholique de Lille. Elle est diplômée d’un Bachelor en Sciences politiques et Relations internationales à l’école des Hautes Etudes Internationales et Politiques de Paris. Elle a effectué un échange universitaire d’un semestre à la Saint Petersburg State University et un premier stage au Kirghizistan. Elle collabore à ESPRITSURCOUF. 


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