« La femme
qui en savait trop »
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Alexandre Boisson (*)
Expert en gestion de crises
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Un lanceur d’alerte dénonce une irrégularité pouvant nuire à une organisation, à une entreprise ou plus globalement à la société. Mais ces alertes ont souvent des conséquences dramatiques pour leurs auteurs, Edward Snowden en est une figure emblématique. Aussi les pouvoirs publics, par une loi, ont-ils décidé de leur donner un statut. C’est un progrès incontestable, mais à travers le cas de Stéphanie Gibaud, Alexandre Boisson s’interroge sur un vrai danger : lanceur d’alerte ou espion ?
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L’article 6 de la loi du 9 décembre 2016 définit le lanceur d’alerte comme « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une menace ou un préjudice grave pour l’intérêt général, ou une violation grave et manifeste d’un engagement international […], de la loi ou du règlement, dont elle a eu personnellement connaissance. ».
La loi prévoit que, désormais, le lanceur d’alerte pourra choisir entre le signalement interne et le signalement externe à l’autorité compétente, au Défenseur des droits, à la justice ou à un organe européen. La divulgation publique ne sera toujours possible que dans certaines situations.
Le cas Gibaud
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Pour rappel des faits : une procédure judiciaire internationale contre la banque suisse UBS était en cours. Stéphanie Gibaud, représentante du personnel, savait que des perquisitions avaient lieu également dans les bureaux de la banque à Paris. Dans un tel contexte, elle a refusé de détruire des fichiers clients sans ordre écrit de sa supérieure hiérarchique, qui, bien sûr, ne l’entendait pas de cette oreille. Ce refus lui a valu une « placardisation » et un harcèlement hiérarchique. Isolée dans cette banque en France, elle s’est retrouvée en état de faiblesse, reconnu par un expert psychiatre, Serge Bornstein. En définitive, le défenseur des droits lui a reconnu le statut de lanceur d’alerte, avec le numéro 001. Attention, nous ne sommes pas dans le monde de James Bond, le double zéro ne signifie pas « permis de tuer », mais simplement qu’elle était la première à s’adresser au défenseur des droits pour ce motif.
Dans le chapitre « Allô ! Ici, la douane » de son livre « LA FEMME QUI EN SAVAIT VRAIMENT TROP. Les coulisses de l’évasion fiscale en Suisse », Stéphanie Gibaud révèle avoir été contactée par monsieur Monteil, puis par madame Spano et bien d’autres agents de l’État, qu’ils soient de la police ou des douanes. Leurs services la connaissaient manifestement et étaient au courant de ses mésaventures. En clair, elle a été « harponnée » par les services de Bercy », qui lui ont demandé de leur transmettre des informations confidentielles contenues dans les serveurs informatiques de la banque UBS.
Dans sa détresse, elle a vu là une porte de sortie, elle a accepté.
Stéphanie Gibaud n’avait pas les compétences pour faire cette extraction de données. Elle a donc été formée, telle “Nikita”, le personnage du film culte de Luc Besson, pour faire cette récupération. Elle n’a jamais transmis les informations à quiconque d’autres que les services de l’État français. Elle est devenue agent de renseignement de l’État français. Dans l’affaire UBS, elle n’était plus témoin. Un témoin témoigne, un agent agit.
Lanceur d’alerte ou agent de renseignement
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Stéphanie Gibaud s’est donc vue attribuée deux statuts reconnus par l’État français : lanceuse d’alerte, par le défenseur des droits, et « collaborateur de la justice » par les services de renseignement pour avoir apporté son concours au SNDJ (douanes). Cette double casquette met en évidence la porosité entre les deux statuts.
On peut très bien imaginer qu’un lanceur d’alerte, dans une entreprise, soit « sollicité » par un service étranger hostile, comme Stéphanie Gibaud l’a été par les services de Bercy. On peut tout aussi bien imaginer un agent étranger infiltré dans une entreprise stratégique ciblée. Il en étudie les failles, puis, au moment opportun, se lève au nom de la vérité et de l’éthique, tel un lanceur d’alerte. Malgré les peines encourues (article 411-4 du Code Pénal sur l’intelligence avec l’ennemi), si le mal est fait, la partie est gagnée !
Le profilage
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Face à une situation non éthique, ou à un flagrant délit de corruption, l’alerte est légitime. Mais il y a lieu de protéger les lanceurs d’alerte. Dans la plupart des cas, ce sont des citoyens honnêtes qui ont le sens de l’éthique et du droit. En prise avec des techniques de harcèlement en réseau dans les entreprises qu’ils dénoncent, ils sont broyés. Les psychiatres le démontrent.
Avec le concours d’un policier, Stéphanie Gibaud a analysé ce qui lui était arrivé. Elle a réussi à modéliser la différence entre le profil d’un réel lanceur d’alerte et celui d’un agent infiltré, basée sur l’étude des motivations et la compréhension de ce qui se passe pour l’alerteur après l’alerte. Il reste sur le territoire national ? Il part à l’étranger ? Que devient-il ? Est-il laissé en marge de la société française ? A-t-il rebondi ? Retrouvé un emploi facilement ? Qu’est devenue son alerte ? Quel était son patrimoine avant l’alerte ? Après l’alerte ? Toutes ces questions sont des indicateurs permettant d’établir un profiling de l’alerteur et de son mode opératoire.
Pour aider les structures tant publiques que privées à comprendre comment se défendre, le profiling créé par Stéphanie Gibaud devrait être enseigné dans les écoles de guerre économique, au sein de la DGSE, de la DGSI, et du MEDEF, entre autres…
(*) Alexandre Boisson a passé 15 ans dans la sécurité publique, en particulier dans le Groupe de Sécurité du Président de la République. Il s’est ensuite engagé dans le domaine de gestion de crises et de sensibilisation de la population aux risques systémiques majeurs, dans un monde VUCA (acronyme militaire anglophone dépeignant un monde Vulnérable – Incertain – Complexe – Ambiguë). Il a cofondé SosMaires.org puis ExistenceB.fr . Il est le co-auteur avec André-Jacques Holbecq, économiste, du livre « Face à l’effondrement, si j’étais maire ? » paru le 26 février 2020 aux éditions Albin-Michel. |
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