La piraterie
dans le golfe de Guinée

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Kilian Guyon (*)
Etudiant en Sciences Politiques

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Le golfe de Guinée, qui s’étend de la Guinée-Bissau à l’Angola, est un espace majeur du transport maritime mondial. Or, depuis les années 2000, cette zone s’est transformée en terrain de chasse pour les pirates. Les armateurs, les  Etats riverains et l’Europe ont réagi, avec succès semble-t-il. L’auteur fait le point sur ce danger toujours présent.
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Les pirates du golfe de Guinée se sont, au fil du temps, spécialisés dans le kidnapping de marins étrangers. Le Bureau Maritime International (BMI) avait recensé qu’en 2020, près de 95 % des 135 enlèvements de marins avaient eu lieu dans le Golfe.

La particularité de cette région vient du fait que les pirates sont originaires du Nigéria. Ce pays est tristement célèbre pour avoir connu les attaques de milices s’en prenant aux compagnies pétrolières et à l’Etat fédéral, afin d’obtenir une meilleure redistribution de la manne pétrolière. Il s’avère qu’une grande partie de ces miliciens, forts de leur expérience de guérilla, se sont reconvertis dans la piraterie. Ils sont capables d’user d’une grande violence, et les perspectives d’enrichissement sont si importantes qu’ils semblent prêts à toutes les audaces.

En avril dernier, un navire de type vraquier panamax a été attaqué par des pirates à plus de 260 milles nautiques des côtes ghanéenne (plus de 480 kilomètres). Le BMI a rapidement donné l’alerte, ce qui a permis l’intervention d’un bâtiment de guerre italien qui a sauvé l’équipage. Cette attaque montre l’audace de ces pirates ainsi que le panel de compétences dont ils disposent pour attaquer aussi loin de leur base.

Les pirates œuvrent désormais de plus en loin des côtes. En 2001, les attaques étaient généralement recensées dans les 10 milles nautiques, et rares étaient les pirates allant au-delà des 100 milles nautiques. Désormais, les attaques ne sont pas rares entre les 100 et  200 milles nautiques. Des pirates ont même attaqué des navires au-delà des 200 milles, dans les eaux internationales, comme le montre l’abordage du vraquier précédemment évoqué.

Source MICA Center

 

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On constate aujourd’hui une diminution des attaques dans la région. En juillet dernier, le Bureau Maritime International a rapporté le plus bas nombre d’incidents de piraterie dans le monde depuis 1994. On estime à 34 le nombre d’attaques perpétrées dans le Golfe en 2021. Cette diminution des incidents peut être liée à la crise du Covid 19, qui est venue ralentir le trafic mondial. Ce sont également les nombreuses initiatives bilatérales et multilatérales des pays de la région qui, épaulés par leurs partenaires occidentaux et en particulier européens, ont permis de réduire ces attaques

L’action de L’Union Européenne
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Sur demande de compagnies maritimes, telle que Mersk, premier armateur mondial, l’Union Européenne a pris des mesures pour protéger le trafic mondial, mesures qui se traduisent à travers son programme GoGIN ou « Gulf of Guinea Inter-regional Network ». L’objectif, la sécurisation des espaces maritimes, concerne dix-neuf pays de cette région. Le programme comporte également une dimension d’aide au développement, l’idée de ses promoteurs étant de dynamiser les échanges et la croissance, afin de proposer un meilleur cadre à une population en constante augmentation.

Opérationnel depuis septembre 2020, le réseau YARIS se développe, dans le cadre du programme GoGIN,  sous l’égide de l’agence Expertise France. Il s’agit d’une interface de communication et de traitement des informations. L’idée est de fournir un outil unique à tous les acteurs de la région. YARIS récolte les renseignements en provenance de sources diverses : images, radars ou informations d’origine humaine. Dans un second temps, il est prévu que le réseau traite les données en vue de planifier la conduite des opérations. A ce jour, tous les centres de lutte contre la piraterie ne disposent pas encore de cet outil, mais son développement est en cours.

L’Union européenne intervient militairement en assurant la présence de différents navires de guerre dans le cadre du CMP (Coordinated Maritime Presence). Actuellement, le Danemark, l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la France se relaient dans les eaux internationales du Golfe de Guinée. La présence militaire française s’incarne à travers la mission Corymbe, la Marine Nationale déployant en permanence un ou deux bâtiments de surface. Depuis juin 2022,  le bâtiment de commandement et de ravitaillement Somme a commencé son mandat CORYMBE et a embarqué des marins béninois et sénégalais.

Des « commandos marine » interceptent une embarcation pirate. Le nombre de bidons d’essence montre que les malfaiteurs étaient prêts à couvrir de longues distances.
Photo MarNat.

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La France dans le Golfe de Guinée
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En plus de la mission Corymbe, la France organise toute une série d’exercices navals avec les marines locales. Appelés African NEMO (Navy’s Exercise for Maritime Operations), ces exercices mis en place en 2013 ont lieu plusieurs fois par an avec pour objectif de renforcer la coopération entre les marines locales et le centre de coopération maritime. En avril dernier, le patrouilleur de haute mer Commandant Birot a manœuvré dans les eaux ivoiriennes avec les marines européennes et locales. Du 10 au 17 octobre 2022, dans le cadre du Grand African Nemo 22, la plateforme YARIS a été pour la première fois utilisée par l’ensemble des acteurs sécuritaires de la région.

De plus, en partenariat avec la Royal Navy, la France a mis en place en 2016 un mécanisme de contrôle naval appelé MDAT-GoG (Maritime Domain Awareness Trade-Gulf of Guinea). Il permet le contrôle en permanence de l’espace maritime du Golfe, et a pour rôle de prévenir les acteurs de la marine marchande présents dans la zone en cas de risque d’attaques. C’est dans le cadre du MDAT-GoG qu’intervient le Mica Center. Le Maritime Information Cooperation & Awareness Center, basé à Brest, est le centre français d’analyse et d’évaluation de la situation de sûreté maritime. Il assure la veille sécuritaire. Il diffuse des messages d’alerte aux bâtiments civils et militaires sur d’éventuelles attaques de pirates. Dernièrement, le MICA Center a élargi son spectre d’analyse en intégrant la lutte contre toute forme de délinquance maritime : trafic d’êtres humain, de drogues, d’armes et la pêche illégale.

La mobilisation du secteur privé
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Les acteurs étatiques ne sont pas les seuls à œuvrer dans la lutte contre la piraterie. Face aux  enlèvements contre rançon de marins, et constatant l’augmentation considérable du montant des rançons, les compagnies maritimes et pétrolières se sont vues dans l’obligation de mettre en place des mesures de protection des navires. Si en 2008, les rançons montaient à 100 000 dollars US pour un groupe, en 2016, elles s’élevaient à des sommes variant entre 125 000 et 150 000 dollars, avant d’atteindre les 200 000 à 300 000 dollars en 2020. Aussi les  compagnies ont-elles eu recours à l’emploi de SMP (sociétés militaires privées).

La compagnie Total a ainsi confié sa sécurité à la société française Geos. Le rôle de ces contractors est de repousser les assauts des pirates. La présence d’hommes armés à bord suffit souvent  à  dissuader les pirates d’attaquer. D’autres mesures de défenses sont mises en place sur les navires marchands, comme la présence d’une citadelle, pièce blindée servant de refuge pour les marins, ou bien l’installation de barbelés et de canons à eau pouvant repousser les pirates.

La coopération régionale : la solution

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Mise en place à partir de 2013, la structure de Yaoundé a pour vocation la coordination des actions des divers centres de sécurité maritime présents au niveau national, sous-régional et régional. Aujourd’hui, la grande majorité des centres sont opérationnels, à l’exception du centre maritime de coopération de la zone A, qui s’étend de l’Angola au Congo. Mais des problèmes de financement viennent ralentir les actions du Centre régional de sécurité maritime de l’Afrique centrale. De même, les priorités de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) en matière de lutte contre les bandes armées au Sahel limitent les moyens d’action du Centre régional de sécurité maritime de l’Afrique de l’Ouest qui dépend politiquement directement de la CEDEAO.  

Ainsi, malgré une baisse significative du nombre d’attaques de pirates dans le Golfe de Guinée, les efforts mis en place sont à poursuivre, le risque que les pirates renforcent leurs capacités opérationnelles face aux mesures coercitives des marines locales n’est pas à négliger.

(*) Kilian Guyon est étudiant en master 2 « Conflictualités et médiation » à l’Université Catholique de l’Ouest. Il est diplômé d’une licence en Sciences Politiques de l’Université de Rennes 1. Dans le cadre de ses études il a réalisé un mémoire portant sur la piraterie dans le Golfe de Guinée. »

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