LE MEXIQUE
À LA VIELLE
D’ÉLECTIONS GÉNÉRALES 

 

Par Hélène Mazeran

 

 Nous donnons la parole aux membres de notre association espritcors@ire et aux « Vigies » d’ESPRITSURCOUF.fr qui nous proposent leurs « étonnements » en visitant un pays.

N’hésitez pas à transmettre à notre comité de rédaction votre contribution : contact @espritsurcouf.fr

À la suite d’un voyage d’études en janvier dernier au Mexique, une délégation de l’Association des Auditeurs de l’IHEDN nous livre son « Rapport d’étonnement ».

          

Le Mexique est aujourd’hui à la veille d’élections générales : le 1er juillet seront élus le Président des Etats-Unis du Mexique (pour 6 ans, un mandat non renouvelable), 128 sénateurs et 500 députés du Congrès et de nombreux élus locaux.

Président depuis 2012, Enrique Pena Nieto ne peut pas se représenter pour un second mandat

Deuxième économie d’Amérique latine (au 15ème rang mondial), le Mexique a l’ambition de devenir la 6ème puissance économique du monde en 2030. Son modèle économique reposant aujourd’hui sur une économie ouverte, est cependant fortement lié aux Etats-Unis et son développement est largement obéré par une insécurité croissante et une corruption endémique.

Une délégation de l’AA-IHEDN[1] y a effectué un voyage d’études en janvier dernier, et a pu mesurer l’ampleur de ces deux défis et les difficultés à surmonter.

Les atouts pour une puissance régionale

La croissance économique, solide et continue ces dernières années, a permis au Mexique de passer de la position de mono-exportateur de matières premières (surtout de pétrole), à celle de fabricant de produits à haute valeur ajoutée, notamment dans le secteur automobile.

Membre du GATT (depuis 1986), puis de l’ALENA et de l’OCDE (depuis 1994), il a conclu 45 accords de libre-échange, et diversifié ses relations régionales, notamment en Amérique latine et avec l’Union européenne (accord renouvelé en avril 2018) pour contrebalancer sa forte dépendance à l’égard des Etats-Unis. Il développe aujourd’hui de nombreuses relations bilatérales en Asie qui renforcent encore le Traité Trans Pacifique dont les Etats-Unis se sont retirés et qui implique 10 pays[2]. Ces accords sont le résultat d’une diplomatie active, tant sur le plan bilatéral que multilatéral.

Avec la France, les relations anciennes, liées à l’émigration française au XIXème siècle, sont aujourd’hui confortées par un partenariat stratégique qui pourrait encore être renforcé à la suite de la visite de M. Le Drian, Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, en novembre 2017 (de « partenaire », le Mexique pourrait devenir « allié »). La France et le Mexique ont des approches communes au sein des instances multilatérales en matière de gouvernance mondiale, de maintien de la paix et de préservation de l’environnement (position commune pour la COP 21) … Le Mexique développe sa participation aux opérations de maintien de la paix , civiles et militaires en coordination avec la France, et s’intéresse à l’OTAN en tant qu’observateur (sans prétendre y adhérer). Cette relation qui tend à se renforcer avec la présence de 500 grands groupes industriels français et des opportunités pour les PME, reste cependant de deuxième rang derrière les Etats-Unis.

Avec les Etats-Unis, dépendance ou interdépendance ?

Toujours ambigües, les relations avec le Grand Voisin du Nord se caractérisent par une interdépendance indéniable et un pragmatisme nécessaire.

Les Etats-Unis restent un partenaire obligé sur le plan commercial et social, mais difficile en raison du contexte historique et de la politique actuelle du Présidence Trump. Parmi les 55 millions de Latino-Américains aux Etats-Unis, 36 millions sont d’ascendance mexicaine. En 2015, les transferts de devises des migrants mexicains auraient été supérieurs aux revenus du pétrole.  Le Consulat général US de Monterrey délivre le plus grand nombre de visas de travail chaque année (500 000). Le réseau mexicain de consulats aux Etats-Unis est le plus important au monde (50 consulats dans le pays). Les échanges frontaliers ont toujours été nombreux et intenses, même avant la période d’ouverture économique des années 80-90 (par exemple la création des « maquiladoras » à la zone frontalière à l’époque du développement économique de la Californie dans les années 70).

L’interdépendance est basée sur une relation économique et commerciale étroite. Les échanges économiques entre les deux pays étaient de 80 milliards US$ en 1994 avant la signature de l’ALENA, en 2016 ils étaient de 550 milliards. En 2016, 80% des exportations mexicaines sont destinées aux Etats-Unis ; 6 millions d’emplois aux Etats-Unis dépendent du Mexique.

Les questions d’actualité, sur le « Mur », sur les expulsions… sont sur médiatisées et faussent la vision réelle des relations bilatérales. Les succès diplomatiques mexicains sur la scène internationale dans les derniers mois (adhésion du Canada à l’Alliance du Pacifique, signature de l’accord de principe avec l’UE, et ratification du nouveau TPP avec les pays riverains du Pacifique) pourrait amener le Président Trump à réviser sa position.

L’interdépendance quotidienne entraîne une imbrication croissante des deux économies, des deux sociétés dans des domaines très concrets (par exemple la gestion des eaux fluviales depuis 70 ans, ou la coopération en matière de sécurité dans la province du Nuevo León).

Certes la frontière est aussi le lieu de tous les trafics, trafic de drogue sud à nord vers les Etats-Unis consommateurs, mais aussi trafic d’armes nord à sud : les Etats-Unis où les ventes d’armes sont libres, sont les principaux pourvoyeurs d’armes au Mexique alimentant ainsi une violence déjà très forte (on compte 9 000 commerces de vente d’armes à la frontière du Texas).

La situation sécuritaire ne pourra s’améliorer si les relations économiques se détériorent. 3 200 km de frontières communes ont forgé des liens forts et une longue histoire d’échanges plus que de séparation et d’opposition.

La sécurité en question

Les problèmes de sécurité sont certes abordés avec beaucoup de franchise par les autorités. Cependant les résultats de la lutte contre la violence semblent surestimés au regard des chiffres publiés, notamment pas les ONG. Le discours officiel reconnait la violence liée à la drogue et aux trafics divers, mais la relativise par une référence à la violence ordinaire. En outre, la corruption endémique est condamnée et dénoncée ; mais généralisée, notamment dans la police et la justice, elle est source d’impunité. Ce qui explique que 97% des victimes de crimes et délits ne porteraient pas plainte, et induit un manque de confiance dans les institutions et dans les partis politiques. Selon les ONG, le niveau d’insécurité au Mexique serait celui d’un pays en guerre.

La lutte menée par les gouvernements fédéraux successifs depuis le début des années 2000 n’a pas éradiquée la violence. Elle n’est pas pour autant soutenue par toutes les composantes de la classe politique. Les controverses au sujet de la loi sur la sécurité intérieure, votée en décembre 2017, font apparaître les contraintes posées par le système fédéral du pays et amènent à s’interroger sur ce qui fait finalement l’unité du Mexique. Les deux ministères en charge de la « Défense » – Secrétariat d’Etat à la Défense (terre et air) et Secrétariat à la Marine – jouent sans doute un rôle politique stabilisateur et fédérateur non négligeable. Le recours aux forces armées pour pallier les insuffisances des différentes polices, fédérale ou locales, apparaît comme un ultime recours. Mais certains s’interrogent sur la compatibilité de cette loi avec l’article 21 de la constitution affirmant la séparation des pouvoirs et la seule responsabilité du civil pour assurer la sécurité intérieure. Les dispositions de cette loi sont-elles applicables dans les cas de « circonstances exceptionnelles » où la sécurité publique ET la sécurité intérieure sont menacées ?

Le grand défi reste le partage équitable des richesses dans le pays. La violence extrême trouve ses racines dans un développement réel, mais qui ne profite pas à tous. Depuis le début de la campagne électorale en février, manœuvres d‘intimidation, assassinats de candidats se sont multipliés dans des régions de plus en plus nombreuses : 91 candidats, élus locaux ou dirigeants de partis, ont été tués durant cette période selon l’agence Etellekt, le contrôle des marchés locaux de la drogue et des zones de transit étant au cœur des conflits.

La violence n’est pas seulement un problème de police, c’est aussi un problème fondamental lié à la faiblesse des institutions, à de très fortes inégalités sociales traditionnelles et à un système éducatif défaillant. Les dysfonctionnements institutionnels pourront-ils être surmontés ? De plus, les progrès de la croissance économique ne contribuent pas l’amélioration de la distribution des richesses.

D’où l’image d’un pays en proie à la violence et contrôlé par les cartels de narcotrafiquants qui n’est ni complète, ni vraiment objective. Et cependant l’avenir du Mexique semble incertain : est-il au seuil d’un nouvel essor, ou au bord du gouffre ?

Hélène Mazeran
Présidente de la Commission des voyages d’études de l’AA-IHEDN

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[1] Le compte-rendu du voyage eut être consulté sur le site de l’AA-IHEDN. Le rapport complet a fait l’objet d’une diffusion restreinte.

[2] Australie, Brunéi, Canada, Chili, Japon, Malaisie, Nouvelle-Zélande, Pérou, Singapour et Vietnam.

 

 
L’AA-IHEDN est répertoriée
dans la rubrique ASSOCIATIONS de la "Communauté Défense et Sécurité" d'ESPRITSURCOUF.fr


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