BIEN-PENSANCE :
LA PARALYSIE

XAVIER DE FÜRST
Préfet honoraire

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S’il fallait classer l’auteur de cet article sur l’éventail politique, nous dirions : à droite.
C’est le cri d’exaspération d’un conservateur qu’il nous délivre ici. Ses réflexions, même dans leurs excès, ne manquent ni de clairvoyance, ni de cohérence. L’ambition de notre publication est d’accueillir toutes les opinions et toutes les indignations, surtout si elles sont dérangeantes, pour peu qu’elles respectent l’honnêteté et le bon sens., et ceci en conformité avec notre Charte éditoriale. Notre rubrique « Humeurs » est faite pour ça. C’est donc naturellement que nous ouvrons nos colonnes à Xavier de Fürst. Bien entendu, ses propos n’engagent que leur auteur.

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La France traverse une crise d’une nature et d’une gravité rarement atteinte.

Baptisée guerre par le Chef de l’Etat, cette crise génère ce que toutes les guerres portent en leur sein : les comportements les plus abjects que sont l’égoïsme, la délation, la jalousie ou la lâcheté, et les plus belles vertus comme le don de soi, le dévouement, le courage ou, pourquoi le taire, l’honneur. Cette crise au-delà des drames qu’elle produit, est le révélateur des faiblesses de notre société. Depuis des années la défiance des Français envers la classe politique et la presse est grandissante et, qui plus est, déniée par les intéressés eux-mêmes. Notre société totalement basée sur la communication ne peut fonctionner correctement et se délite progressivement.

Mais comment en sommes-nous arrivés là ?


Tout commence dans les années 50. Le deuxième conflit mondial a laissé notre pays épuisé et meurtri mais plus encore profondément divisé. D’une part il a ceux qui ont cru qu’il était possible de pactiser avec le vainqueur de 40 et pour la plupart d’entre eux, ils s’illusionnaient sur la possibilité de préserver ce qui restait du pays. Mais certains ont rapidement flairé le profit personnel et ont oublié la motivation initiale, s’adonnant aux pires instincts. A l’opposé des hommes et des femmes ont décidé de continuer la lutte mais hélas, là aussi, certains, à défaut d’avoir réellement pris les armes y ont vu l’opportunité de faire carrière. Enfin, entre les deux, une grande majorité de français qui ont seulement essayé de survivre. Les armes s’étant tues les égos se sont mis à parler rendant toute réconciliation impossible et pour un long moment. Je me souviens que, dans les années 80, les fiches de renseignements individuels du ministère de l’intérieur comportaient encore une case : attitude pendant la résistance.

Dans ce contexte intérieur fragile les évènements internationaux perturbaient encore et encore la reconstruction nationale. L’URSS qui avait largement aidé à la victoire était devenue l’ennemi mais le PCF, son prolongement en France, s’était vu confié des portefeuilles ministériels comme les transports et l’éducation nationale, jugés secondaires à court terme mais se révélant vitaux pour l’avenir et bénéficiait d’un amour immodéré de nombre d’intellectuels. Les USA dont le rôle dans la victoire était déterminant, n’étaient pas politiquement en odeur de sainteté. Bref la bien-pensance adorait l’ennemi et dénigrait notre principal allié.

Cette admiration portée à l’idéologie communiste va marquer profondément la société grâce au relais actif d’intellectuels et d’ artistes qui refusaient de voir les 100 millions de morts et les horreurs que ce régime trainait et traine encore dans ses fourgons. Ce qui, soit dit en passant permet de douter de la clairvoyance et de l’honnêteté intellectuelle de cette clique. Le rôle d’une presse acquise à ces théories qui perdure aujourd’hui encore et la partialité de la grande partie de la magistrature et du corps enseignant a permis de sceller ce pacte avec le diable. Curieusement dans une démarche de soumission quasiment sadomasochiste la droite s’est montré incapable de dénoncer les méfaits du communisme et plus encore s’est couché devant le moindre de ses caprices.

Défilé de travailleurs communistes dans les années d’après-guerre.
Photo Pixy

Dans cette même période notre empire colonial s’effondrait, accentuant encore les divisions internes. D’un côté les vainqueurs persuadés que les anciennes colonies avaient acquis une maturité permettant une indépendance symbole de paix et de richesses et sûr d’être dans le sens de l’histoire, de l’autre les vaincus qui avaient participé à la construction de l’empire et se retrouvaient chargés de toutes les turpitudes et affublés d’oripeaux barbares.

Comment les Français, dans un tel contexte de ressentiments accumulés et devant l’impossibilité d’exprimer tout avis contraire à la doxa dominante, pouvaient-ils adhérer à la vie politique du pays ?

Une société anesthésiée


Pendant ce temps le redémarrage économique du monde occidental qui se traduisait par des progrès fantastiques et continus en matière de qualité de vie a permis aux français de progresser dans ce marigot avec la perspective de lendemains meilleurs. Ils en ont tiré un enseignement : au fond, qu’importent les querelles des politiques concernant la guerre froide, la décolonisation ou la construction de l’Europe si l’on peut désormais s’acheter une voiture, une télé ou partir en vacances. Et progressivement la société s’est anesthésiée dans un confort amollissant, laissant la voie libre aux apprentis sorciers

Bien sûr cela n’a pas échappé à cette élite autoproclamée entièrement centrée sur elle-même qui se nourrissait des contradictions et des faiblesses du temps et écrasait les Français d’une soi-disant supériorité intellectuelle d’autant plus inaccessible au commun des mortels qu’elle est souvent vide et perverse. Elle y a vu immédiatement tout son intérêt. Maintenir une part importante des français dans cet état de demi-conscience politique lui permettait de faire avancer des théories discutables et surtout de noyer ses turpitudes individuelles. Profitant de l’individualisation, de l’effacement du sens de l’intérêt public, cette élite s’est attachée à faire disparaitre progressivement les valeurs qui soudent une nation : le sens du service, la loyauté, l’honneur et puis l’effort et puis le respect des autres et de soi-même et enfin la notion même de nation. La notion de Patrie qui animait nos pères a été jetée aux oubliettes depuis longtemps.

La classe politique a cédé
aux feux de la rampe.
Photo DR

Notre classe politique n’a pas échappé à cette déliquescence morale. Elle a cédé aux feux de la rampe et se complait dans la lumière artificielle. Elle n’agit plus, elle réagit. Sa motivation étant de plaire à ceux qui pourraient lui faire du tort, elle change d’avis à chaque échéance électorale pour conserver des lambeaux de pouvoir. Un homme d’Etat qui se présente devant le suffrage des français devrait arriver avec un programme. C’est à dire avec un document présentant aux électeurs la vision qu’il a de la France à moyen et si possible à long terme et les moyens qu’il entend mettre en œuvre pour y parvenir. En lieu de quoi nos candidats présentent du bout des doigts une liste de mesures ponctuelles dument numérotées qui tentent d’éteindre les caprices de minorités excitées et d’obtenir leurs suffrages.

Car, et c’est là un paradoxe, les individus incapables de se faire entendre en tant que tels se sont regroupés progressivement en minorités associatives aussi farouchement agrippées à leurs revendications que farouchement opposées à l’intérêt général. Relayées par une presse souvent complice, ces associations font et défont la politique à court terme et terrorisent les ministres. Il faut reconnaitre qu’elles n’ont pas toujours tort au moins dans les grands principes, mais qu’elles n’ont pas non plus le monopole de la raison. Ainsi, et c’est un exemple parmi d’autres, la crise du COVID 19 pose aujourd’hui la question de la délocalisation de nos entreprises. Le coronavirus nous montre chaque jour les conséquences de l’abandon de notre souveraineté en matière de médicaments. Or ces déménagements sont notamment motivés par une mise en application sans nuance des exigences écologiques. Aujourd’hui il s’agit de médicaments, de masques ou de respirateurs, et c’est dramatique, mais demain, dans une autre guerre, une vraie guerre, il s’agira peut-être des armes ou des munitions et nous seront vaincus, éliminés, anéantis …mais le pays ne sera pas pollué. La belle affaire !

La justice malmenée


L’appareil judiciaire a pris sa part dans ce process de délitement du pays. Les magistrats complexés par la pénombre pourtant glorieuse qui enveloppait leur mission, n’ont pas résisté à la concentration narcissique de l’individu sur lui-même et très vite ils ont été attirés comme des mouches par la lumière de la médiatisation.

Avec ses yeux bandés, la justice ne peut voir la dérive des juges.
Photo Pixy

Seulement, cette mission, qui consiste à rendre la justice, nécessite, plus que toute autre, la réflexion, la retenue et la sagesse et s’accorde très mal avec les pressions et les éclairages frelatés du monde de la communication. Des lors, pour briller « en société » les magistrats dans une large majorité ont cessé de rendre la Justice se limitant à réciter le droit. Et, puisque les procès sont baignés de lumière médiatique, les justiciables et leurs avocats, qui pour beaucoup aiment aussi « être vus à la télé », ont fait appel pour un oui ou pour un non aux tribunaux. Tout et rien est désormais judiciarisé et en particulier les relations sociétales la santé etc.…Cette dérive gonfle les égos et progressivement les magistrats ne se contentent plus de dire le droit mais ils tentent désormais de le faire. Leurs décisions ne se limitent plus aux erreurs dans l’application de la loi, c’est à dire aux agissements de l’homme, mais à la loi elle-même. Lois qui ne ressortent en aucune manière de la compétence de l’autorité judiciaire mais des pouvoirs législatifs et exécutifs. Là encore l’actualité récente nous fournit un exemple de ce dévoiement, lorsque des magistrats régularisent les enfants de la GPA alors que celle-ci est strictement interdite en France et que les auteurs devraient être poursuivis. De fil en aiguille ils ont remplacé la justice par le droit puis le droit par leurs convictions idéologiques : on est loin d’une justice rendue au nom du peuple français.

Dans le registre sémantique et mis à part le sinistre virus qui nous confine, on ne désigne plus l’ennemi. On lutte contre le terrorisme mais pas contre les terroristes, on s’indigne des agissements de l’Islam radical mais on évite de condamner ceux des musulmans qui agissent les armes à la main pour cette idéologie. D’ailleurs lorsqu’ils sont pris les mains pleines de sang ils ne sont plus musulmans, ils sont islamistes. Le poids des mots ! L’étape suivante consiste à pénaliser l’utilisation des mots bannis et tout devient « phobe ». On remarquera d’ailleurs que la phobie est une peur et donc qu’elle ne se commande pas, mais on n’est plus à ça près ! Il est amusant de noter parallèlement la création de mots pseudo savants qui visent à démontrer l’immense intelligence de leurs auteurs. C’est ainsi que l’on respecte aujourd’hui une distanciation sociale alors que respecter des distances comme dans notre jeunesse eut été aussi efficace.

Dans ce contexte de plus en plus délétère il est devenu de bon ton de condamner sans nuance tout ce que la France a fait depuis des siècles. Peu importe que les circonstances aient été différentes, la France d’hier est devenue barbarie et porte tous les défauts du monde. Peu importe les remarquables progrès que les intelligences françaises ont permis, oubliés les Pasteur les Lyautey, oubliés les bâtisseurs, les artistes, c’est tellement plus chic de couvrir d’éloges les rappeurs injuriant notre pays et menaçant ses habitants. Il est vrai que pendant que l’on dénigre le passé on laisse peu de place aux critiques sur l’action présente. Ou du moins le croit-on.

Pour reprendre les rênes et remettre le pays dans le bon chemin il est nécessaire et urgent de placer à la tête du pays une équipe solide et déterminée, reconnue de la majorité des français et moralement inattaquable.

La première difficulté consiste à repérer les hommes ou les femmes capables de tenir ce rôle. Malgré le tableau plutôt pessimiste de notre société il me semble qu’il existe des raisons de penser que cette entreprise est possible. La crise dramatique que nous traversons met en lumière les qualités de nombre de nos concitoyens. Dans l’adversité on voit réapparaitre les vertus rejetées hier encore : le don de soi, le sens du service, ou plus simplement l’honnêteté, la débrouillardise et la solidarité. Cela me rappelle qu’aux plus dramatiques instants de la 2° guerre mondiale, des gamins de 15 ou 16 ans ont traversé les mers dans des esquifs de fortune pour prendre part au combat.

On est donc en droit de penser qu’il existe des français qui ont l’étoffe des chefs. Mais avant de les désigner et de leur confier les commandes, encore faut-il savoir ce que l’on attend d’eux.

Un chef, c’est une lapalissade, c’est celui qui dirige. Il doit inspirer la confiance et montrer l’exemple, mais il doit aussi savoir prendre des décisions et s’y tenir. Au cours de mes classes j’ai appris que lorsque l’on tombait dans une embuscade il fallait se jeter immédiatement dans le fossé à droite ou à gauche et que rester au milieu du chemin en se demandant que faire était l’assurance d’être tué. Ce principe qui peut paraitre simpliste aux yeux d’intellectuels est le résultat d’une grande expérience de terrain et, appliqué avec intelligence, résiste à toutes les situations. Un chef agit. Si les circonstances le permettent il explique et en tout état de cause il endosse la responsabilité de sa décision.

Des hommes et des femmes capables de remplir ce cahier des charges, il en existe dans notre pays, dans l’entreprise, dans l’administration, dans nos armées, sans doute dans le monde associatif. La mode actuelle consiste à jeter l’opprobre sur ces personnes et en particulier sur les énarques.

Bien entendu il peut y avoir parmi eux quelques médiocres, mais la grande majorité a une réelle valeur et un sens profond du service public. Si aujourd’hui ils n’apparaissent plus adaptés à la direction de notre pays c’est peut-être parce que la formation qui leur a été donnée ne les prépare pas à cela. Ne préfèrerions-nous pas des fonctionnaires foisonnant d’idées mais dociles, à des personnalités affirmées, meneuses d’hommes mais capables d’argumenter une contradiction. Le constat existe.

Le conseil d’Etat,
haut-lieu de la fonction publique.
Photo jpf

Est-ce bien en diminuant le niveau des concours, en supprimant les épreuves qualificatives que l’on va améliorer notre fonction publique ? Je ne le crois pas. Donnons aux élèves de ces grandes écoles les bases du métier de chef, la soif des responsabilités et non du pouvoir. Un premier geste serait, me semble-t-il, de confier la réflexion sur l’avenir de l’ENA ou de l’ENM non pas à un énarque aussi qualiteux qu’il puisse être, mais à un panel de chefs issus d’horizons divers. Ceux-ci seront en mesure de proposer des programmes de formation et un cursus de carrière susceptibles de faire émerger les futurs responsables de notre administration.

Bien évidement former des chefs dans la fonction publique nécessite pour les responsables politiques d’être, eux aussi, capables de s’imposer les mêmes valeurs, les mêmes vertus. Là aussi une vraie réflexion doit être lancée. Doivent-ils, doivent-elles se conduire en faire-valoir des présentateurs de télévision ou être au service de notre pays ? La communication est un moyen, ce ne doit pas être un but. De même le budget est un moyen, ce n’est pas une consécration. Peut-être faut-il revoir les critères permettant d’accéder aux fonctions de législateur et privilégier la qualité de l’expérience au seul reflet médiatique du postulant ?

La France est dans le peloton de tête des nations importantes, elle possède un potentiel humain, industriel, culturel incontestable. Comme tous les pays, elle a pu faire des erreurs, elle a eu des faiblesses mais elle est grande et peut le rester. Elle ne sera respectée que si elle montre sa bienveillance mais aussi sa détermination. Cela passe par une gouvernance inattaquable sur le plan moral. Les français dans leur ensemble ne sont pas les veaux que l’on décrit mais ils ne reconnaitront leurs chefs que s’ils sont convaincus qu’ils agissent pour leur bien et pour l’avenir de leurs enfants. C’est à ce prix qu’ils quitteront le monde empoisonné de la « com » pour le monde réel de la vie.

Le chemin est ardu mais il est beau.

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(*) Xavier de FÜRST, à sa sortie de Saint-Cyr en 1971 (promotion « général Gilles »), choisit l’arme de la cavalerie. Il y exerce ses temps de commandement avant d’être désigné chef des reportages au magazine TAM. Il est admis dans le corps préfectoral en 1985. Sous-préfet, puis préfet, il est en 2002 chef du cabinet civil du ministre de la Défense, et en 2009 inspecteur général de l’administration.

Bonne lecture et rendez-vous le 1er juin 2020
avec le n°139 d’ESPRITSURCOUF
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