SAHEL :
POURQUOI L’ENLISEMENT

Manuel Garabedian (*)
Expert en sécurité


En 2013, au Mali, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, saluait une opération Serval triomphante. En 2019, au Mali, la ministre des armées, Florence Parly, parlait d’une situation sécuritaire dégradée. Il est donc légitime de dire que l’opération Barkhane n’est pas un succès. Manuel Garabedian, un baroudeur, un homme de terrain, tente d’expliquer pourquoi.

Le 11 janvier 2013 des soldats de l’armée française intervenaient au Mali sous les ordres directs du président François Hollande. Ils repoussèrent sans problème les rebelles menaçant d’atteindre la capitale Bamako. Plus de sept ans après, les troupes françaises sont toujours déployées dans plusieurs pays du Sahel, avec à leurs côtés les forces des pays africains concernés et des forces de l’ONU, sans réussir à vaincre définitivement ces soi-disant djihadistes, combattants de Dieu.

Ces troupes françaises possèdent pourtant des armements conséquents et de puissants moyens aux technologies de pointe, face à des rebelles, non seulement inférieurs en nombre, mais ne disposant à priori que d’un armement basique, de quelques motos et de Toyota pickups. Ces derniers ont réussi récemment à infliger des pertes non négligeables à des unités militaires du Mali, du Niger et du Burkina Faso. De plus, leurs zones de harcèlement se sont étendues.  

Il est donc clair que les moyens mis en place par le commandement français et ses alliés africains ne sont pas adaptés aux menaces, et insuffisamment importants pour mieux contrôler le terrain. Leurs troupes, qui devraient faire des opérations de coup de main et de harcèlement, se retrouvent souvent en position défensive. Les forces onusiennes, quant à elles, se limitent comme d’habitude à un rôle de maintien de la paix.

Des troupes qui devraient mener des opérations coups de poings se retrouvent
trop souvent en position défensive.
Photo minarm

Un commandement mal placé


Durant la guerre d’Algérie, de 1956 à 62, certains chefs militaires français de terrain avaient su organiser et mener brillamment des commandos de chasse pour traquer et neutraliser des groupes armés algériens très aguerris. Ils montaient parfois de petites interventions héliportées. Or les moyens utilisés à l’époque étaient bien en dessous de ceux des forces françaises actuelles. Pourquoi donc ces dernières sont-elles incapables de remporter plus de succès ?

Il ne s’agit pas de les critiquer, car pour cela faut-il soi-même être sur le terrain à leur côté, mais de poser la question sur leur bonne utilisation, en particulier sur leur souplesse d’emploi et leur réelle rapidité d’intervention après l’obtention du bon renseignements de terrain.

Or, la plupart des décisions importantes aujourd’hui sont prises directement à l’Élysée ou au haut commandement, loin de la zone de combat. Ces autorités ne peuvent pourtant pas avoir une idée précise de la situation réelle sur le terrain et des difficultés,  rencontrées ou potentielles, même si elles sont aidées par un satellite ou un drone pour voir en vidéo et en direct le terrain.

Une telle hiérarchie entraine surtout une lourdeur dans le commandement. La rapidité nécessaire de l’action, dans ce genre de guérilla, n’est pas vraiment réalisable. De plus, le décalage entre les hommes évoluant sur le terrain, confrontés, eux, aux réels dangers, et ce commandement constitué de hautes autorités, est trop important. Il faut laisser impérativement le commandement à un vrai chef de guerre, déjà expérimenté et présent sur le terrain. Encore faut-il savoir en désigner un ayant les compétences nécessaires. Ce ne sont pas les satellites, drones, avions armées de bombes et de missiles qui peuvent gagner à eux seuls ce type de conflit.

Toute guerre se gagne avant tout en occupant le terrain. Mais aussi au prix de pertes. Or ceci, les hommes politiques actuels ne l’acceptent plus, à cause de l’opinion publique. Il ne faut pas oublier que tous les militaires français présents sur le terrain sont des professionnels qui connaissent les risques encourus. On n’est plus à l’époque de la guerre d’Algérie, avec l’emploi de nombreux appelés du contingent. La guerre implique forcément des pertes humaines et des pleurs.

Le renseignement, élément-clé de l’opérationnel

C’est l’homme sur le terrain, qui force la décision. Satellites et drones
ne sont que des moyens de complément.
Photo minarm


Le renseignement de terrain reste un élément clé. Ce ne sont pas les satellites et les drones qui peuvent jouer un rôle primordial, loin de là, surtout face à des petits groupes mobiles sachant se camoufler rapidement. Satellites et drones sont seulement des moyens complémentaires. Des éléments de renseignement de terrain doivent être collectés par des patrouilles au contact des populations, ou si possibles par des agents locaux infiltrés, ou par des observateurs de terrain expérimentés, ou par des observateurs à bord d’avion léger pour guider les troupes, les avions et hélicoptères de combat, etc.

Les forces africaines présentes, composées essentiellement d’ethnies sédentaires noires, n’ont ni la témérité, ni le professionnalisme, ni l’expérience pour se battre efficacement contre des combattants motivés, originaires d’ethnies  nomades arabes ou métissés arabes, vivant dans le désert et connaissant le terrain. Il ne faut pas chercher plus loin des explications à leurs revers sérieux. La seule exception vient des troupes tchadiennes, composées essentiellement de nomades provenant d’ethnies du Nord.

A ceci s’ajoute qu’en Afrique subsaharienne les dirigeants gardent en mémoire les coups d’états militaires, et pour cette raison font en sorte que leur armée nationale ne soit pas à la hauteur. Les aides et les formations fournies par  l’Union Européenne n’y changent pas grand-chose.

Il va falloir faire des choix


L’emploi de troupes occidentales professionnelles, avec des moyens technologiques de pointe, a évidemment un coût, Cela se monte à des sommes énormes pour une petite puissance européenne ayant désormais une grave crise économique à affronter sur son sol.

Il serait souhaitable que ces grands stratèges dépassés et décideurs de France, de l’Afrique, de l’Union européenne et de l’Onu,  sachent se remettre en question et prendre des mesures plus adaptées sur le terrain. Ou sinon il faudrait qu’ils retirent leurs troupes, de plus en plus critiquées par ces mêmes pays africains qui les accueillent, pourtant incapables de gérer les choses à leur niveau, notamment à cause de la corruption gangrénant tous les rouages et de l’incompétence de leurs dirigeants et de leurs chefs militaires.

Peut-être la création d’un territoire autonome de l’Azawad, regroupant ces nomades est-elle une solution possible ? Les anciens colonisateurs ont fait de grosses erreurs de tracé de frontières pour le Mali, le Niger, le Tchad et le Soudan. Le Soudan a été séparé en deux, suite à des années de guerre. Seul le Tchad est relativement stable actuellement avec une ethnie de nomades du Nord au pouvoir.

(*) Manuel GARABEDIAN, après une formation en école d’officier, a servi 12 ans dans l’infanterie et chez les sapeurs-pompiers de Paris. Redevenu civil,  il fut conseiller militaire en ex-Yougoslavie, puis dans le Caucase, conseiller en déminage ou sécurité du travail à travers le monde, souvent en zone de conflit ou d’insécurité. Il fut enfin instructeur en sécurité au Congo. Il effectua ses missions successivement : en Croatie, au Karabakh, en Birmanie, au Cambodge, en Bosnie, au Kosovo, en Thaïlande, au Tchad, dans le Sahara algérien, en Irak, au Cameroun, dans l’Est du grand Congo et au Congo Brazza. Il a publié un livre, sous le pseudonyme de Manuel Gari, intitulé « Baroudeur et rebelle pour la bonne cause » que vous retrouverez dans la rubrique LIVRES de ce numéro.

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