TRUMP
ET ISRAEL

Par Eléonore Le Bars (*)
Historienne
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Plus de 70 ans après la création de l’Etat d’Israël et le début des violences entre Palestiniens et Iisraéliens, le processus de paix au Proche Orient est au point mort. Si pendant  plusieurs décennies, les Etats-Unis ont tenté d’apparaître comme médiateurs, l’arrivée de Trump à la présidence des Etats-Unis bouleverse une situation déjà complexe.
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Le 14 mai 1948, trois ans après la Seconde Guerre mondiale, le président du Conseil National juif David Ben Gourion déclare l’indépendance de l’Etat d’Israël. En vertu de la résolution 181 adoptée à la majorité par l’ONU le 29 novembre 1947, la Palestine est partagée en deux états, l’un arabe, l’autre juif. Cette résolution place Jérusalem et les Lieux saints sous régime international

Dès le 15 mai 1948, des violences éclatent entre palestiniens et israéliens, des violences qui depuis n’ont quasiment jamais cessé. La guerre de six jours en 1967, la guerre du Kippour en 1973, ou encore les intifada en sont des points culminants. Les Etats-Unis ont tenté de jouer un rôle de médiation. Les Accords de Camp David en 1978 sous l’égide du président Carter, ou encore les Accords d’Oslo en 1993 sous l’impulsion de Bill Clinton prouvent la volonté américaine de remédier aux tensions. Mais  des désaccords considérables, le statut de Jérusalem, la colonisation israélienne, ou encore l’action du Hamas, entravent les espoirs de paix.

La rupture avec la présidence Trump


Donald Trump, arrivé à la présidence des Etats-Unis le 20 janvier 2017, rompt avec des décennies de diplomatie américaine. Conformément à sa promesse de campagne, le président américain annonce le déplacement de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, et donc la reconnaissance d’Al-Qods comme capitale de l’Etat hébreu. Et il fait en sorte que le transfert de l’ambassade ait lieu le 14 mai 2018, jour anniversaire de la création d’Israël.

Naturellement, les réactions négatives se multiplient à travers le globe. L’Union européenne, Pékin, le Vatican font entendre leurs voix, exprimant leurs inquiétudes. Les pays voisins d’Israël réagissent de façon plus vive. Le dirigeant du Hamas, Ismaïl Haniyeh, évoque son désir de lancer une nouvelle intifada. Les Palestiniens gèlent leurs relations diplomatiques avec les Etats-Unis. Hassan Rohani explique que les Iraniens, comme l’ensemble des Musulmans, ne tolèreront pas une violation des Lieux saints musulmans. La Syrie condamne l’arrogance des Etats-Unis. L’Arabie-Saoudite fait part de sa « profonde inquiétude ». A cette occasion, le roi Salmane estime que ce processus va engendrer la colère des Musulmans du monde entier. Le roi Abdallah en Jordanie, ou encore Erdogan en Turquie évoquent l’importance de la stabilité de cette zone dans la région, déjà confrontée au terrorisme.

Manifestants palestiniens dans les territoires occupés.
Photo DR

Cette décision de Trump provoque des manifestations, organisées dans la bande de Gaza par le Hamas. L’Etat hébreu, considérant ces manifestations comme violentes, ouvre le feu depuis sa frontière avec Gaza. Selon l’ambassadeur palestinien à l’ONU, plus de 2000 personnes sont blessées, 62 Palestiniens sont tués, dont 50 membres du Hamas. Après cet événement tragique, la communauté internationale condamne fermement l’attitude d’Israël, qui se justifie en invoquant la défense de son territoire. Au Conseil des Nations-Unies, contre toute évidence, l’ambassadrice américaine estime qu’Israël a fait preuve de retenue et conteste le lien entre la manifestation et le transfert de l’ambassade.

D’autres décisions inattendues tombent également. Le 31 août 2018, les Etats-Unis délaissent le financement de l’UNRWA, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens. En Septembre, la fermeture des locaux de l’OLP à Washington est actée. Ces décisions obligent les palestiniens à exprimer leur refus total de toute médiation américaine.

Le plan de réconciliation


Mardi 28 janvier 2020, lors d’une conférence de presse, le président américain, avec le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou à ses côtés,  annonce un plan supposé réconcilier Israël et Palestine. Ce plan, réfléchi depuis 2017, est décrit par Trump comme « une chance historique » pour les Palestiniens. Premièrement, le plan prévoit le partage de Jérusalem. Si Al-Qods reste la capitale de l’Etat Hébreu, les Palestiniens pourront envisager de construire leur capitale à Jérusalem-Est. Le plan prévoit également l’affirmation de deux Etats indépendants vivant pacifiquement côte à côte.

Donald Trump et Benjamin Netanyahou lors de la conférence de presse du 28 janvier.
Photo DR

Trump évoque l’arrêt obligatoire du terrorisme palestinien, mais également la démilitarisation de la Palestine. Selon le président américain, le territoire palestinien doit rester ouvert, et sans prolifération de la colonisation israélienne durant 4 ans. Trump fait également part de la reconnaissance nécessaire des colonies israéliennes par la Palestine. Les Etats-Unis reconnaissent la souveraineté d’Israël sur les territoires occupés et sur la vallée du Jourdain. Cette zone est en effet « vitale » pour l’Etat hébreu selon Netanyahou, puisqu’elle serait protectrice en cas d’attaques ou d’infiltrations voisines. A cette occasion, le premier ministre israélien oblige les Palestiniens à reconnaître Israël comme Etat juif, et annonce que les réfugiés palestiniens ne pourront pas prétendre à un retour en terre israélienne.

Cette « solution réaliste à deux Etats »  est cependant bâtie sur diverses incohérences, et au mépris des droits auxquels peuvent prétendre les Palestiniens. Le plan ne se préoccupe pas du droit international, la fixation des frontières valide la colonisation opérée par les Israéliens, le statut de Jérusalem confirme l’annexion israélienne. La création d’un Etat palestinien n’est que théorique. En effet, l’Etat palestinien serait démilitarisé, soumis à de nombreuses conditions, et donc, vide de toute autorité concrète.

Défini par un président américain orienté, ce plan assouvit les désirs d’un premier ministre israélien, alors que les Palestiniens en sont les grands absents. Khalil Al-Hayya, haut-responsable du Hamas refuse la création d’un Etat Palestinien au rabais : « aujourd’hui, nous disons que nous rejetons ce plan. Nous n’accepterons pas de substitut à Jérusalem comme la capitale de l’État de Palestine ». L’Iran juge également ce plan « voué à l’échec ». Et en effet, dès son annonce, des manifestations se déroulent en Cisjordanie et à Jérusalem. Dans la nuit du 5 au 6 février 2020, une voiture bélier fonce sur la foule, blessant quatorze personnes. Plus tard, à l’occasion de heurts à Djénine, deux Palestiniens sont tués par des soldats israéliens. La politique menée par Trump est plus que jamais à l’origine de nouvelles violences meurtrières.

Un entourage puissant et influent


Côté privé, l’entourage de Trump pourrait avoir joué un rôle dans ce choix périlleux, quelques hommes « de l’ombre » semblant influer sur sa politique étrangère. Premièrement, Sheldon Adelson. Lors de sa campagne présidentielle, Trump a bénéficié de 30 millions de dollars de la part de cet homme d’affaires d’origine juive. Fort de cet appui, Sheldon Adelson exercerait une influence forte sur les choix de Trump, le déplacement de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem en 2018 en est un exemple. En perspective des élections de mi-mandat en novembre 2018, 113 millions de dollars sont versés de la poche de ce faiseur de rois.

Deuxième soutien, Jared Kushner. Le gendre de Donald Trump, juif orthodoxe, haut conseiller du président des Etats-Unis et directeur du Bureau Américain pour l’Innovation, semble avoir une influence conséquente sur la politique étrangère américaine. Il se voit d’ailleurs confier la conduite du dossier du conflit israélo-palestinien. Nommé pour « sa connaissance de la problématique, de la région et des acteurs », la façon de gérer de Kushner ne peut être neutre. Sa fondation familiale effectue des dons au bénéfice de Tsahal, par l’intermédiaire de l’organisation Friends of the Israeli Defence. Outre cela, la fondation Kushner se serait montrée généreuse envers des colonies israéliennes entre 2011 et 2013. Parmi ces colonies, celle d’American Friends of Beit El est connue pour son rejet du processus de paix entre Israël et Palestine. En 2018, Jared Kushner participe d’ailleurs à l’inauguration de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem. A cette occasion, le gendre de Trump n’est pas là comme médiateur du conflit, mais plutôt pour afficher sa victoire publiquement. Jared Kushner aurait eu un rôle majeur dans l’élaboration du plan présenté par Trump le 28 janvier 2020. Les Palestiniens ne peuvent donc pas le considérer comme un médiateur impartial. Enfin, bien que d’autres médiateurs auparavant aient déjà été pro-israéliens, il est le premier à l’afficher aussi clairement.

Jared Kushner, le gendre du président américain, pour un selfie victorieux avec le premier ministre israélien, le 18 mai 2018.
Photo DR

Un contexte trouble


Conjointement, la crise actuelle du Coronavirus n’améliore pas la situation. Elle accentue même les tensions concernant le statut de Jérusalem. Confortés par le plan proposé par Trump, les Israéliens considèrent avoir l’exclusivité sur Jérusalem. Le statut de la ville divisant, les autorités palestiniennes considèrent que la population de Jérusalem-Est est négligée par Israël, alors que les cas de coronavirus se comptent par dizaines. En mars, Israël avait refusé que les membres de l’Autorité palestinienne désinfectent les lieux publics de Jérusalem. Le 14 avril, Adnane Gheith et Fadi-al-Hadmi, tous deux Palestiniens, respectivement gouverneur et ministre des affaires de Jérusalem, ont été arrêtés après avoir mené des opérations de désinfection dans la ville.

Ces deux personnalités déplorent la façon de gérer de l’Etat hébreu, qu’ils accusent de mépriser les questions sanitaires. Ce même jour, l’Etat hébreu décide la fermeture d’une clinique palestinienne de dépistage dans un quartier de Jérusalem-Est. La raison de cette fermeture s’explique par le fait que les tests de dépistage ont été réalisés par l’Autorité Palestinienne, qui selon Israël, n’a pas autorité sur cette zone. A cette occasion, des médecins ont été arrêtés, des hauts responsables palestiniens jugés « pour activités illégales » liées à la lutte contre le virus.

 Le cas des prisonniers détenus dans les prisons israéliennes fait débat. En mars, des centaines de prisonniers israéliens ont été libérés pour des raisons sanitaires, en prévision du coronavirus. Les prisonniers palestiniens, eux, n’ont pas connu le même sort, puisqu’ils sont restés en captivité. Cette différence de traitement entre les deux populations est discriminatoire, et va à l’encontre du droit international. Etant donné le contexte actuel, les actions pour prévenir le virus et assurer aux individus une sécurité sanitaire, ne semblent aujourd’hui pas mises en œuvre.

Après de longues années de tergiversations, ni Israël, ni Palestine ne semblent pouvoir s’accorder sur un plan pacifique. La médiation proposée aujourd’hui par les Etats-Unis est partiale. En agissant de la sorte, Trump détériore les relations des Etats-Unis avec les Palestiniens, mais également avec une majorité de pays arabes voisins. Ses choix, largement critiqués par la communauté internationale, annihilent tous les espoirs de paix.

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(*) Éléonore Le Bars
Titulaire d’une Licence d’Histoire parcours Sciences Politiques, Eléonore Le Bars est actuellement en Master 1 Conflictualités et Médiation à l’Université d’Angers. Intéressée par les enjeux liés à la sécurité et au terrorisme au Moyen-Orient, elle rédige actuellement son mémoire sur la publicité des crimes de Daech, crimes médiatisés et crimes passés sous silence, de 2014 à 2016.

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