LE COUPLE FRANCO-ALLEMAND : CAHIN-CAHA

Général (2S) Olivier de Becdelièvre (*)

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La ministre des armées Florence Parly a ouvert la semaine dernière la 3ème réunion de l’Assemblée parlementaire franco-allemande à Strasbourg, « cette assemblée parlementaire binationale et unique au monde, qui incarne toute la force et la vigueur des relations franco-allemandes », a-t-elle dit.
Elle y a évidemment souligné l’objectif de la France et de l’Allemagne de doter leurs armées respectives de moyens de combat de nouvelle génération. Il s’agit des projets de système de combat aérien du futur (FCAS) et du char de combat du futur (MGCS). « 
Ces projets, ce sont bien sûr des équipements dont nos armées ont besoin, un besoin impérieux. Ce sont aussi des projets industriels, de dizaines de milliards d’euros, des dizaines de milliers d’emploi, avec des perspectives à l’exportation. Mais ce sont d’abord des projets politiques :  nous avons collectivement une responsabilité, c’est de construire cette Europe de la Défense que nos deux pays appellent de leurs vœux ».
Cependant, le couple franco-allemand souffre de fragilités dues à certains intérêts nationaux divergents. Olivier de Becdelièvre attire notre attention sur ces fragilités.

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Les élections du printemps et de l’automne 2017 en France et en Allemagne, avec le renouvellement partiel quasi concomitant des équipes au pouvoir, semblaient de prime abord être une opportunité favorable pour donner le nouveau souffle espéré au couple franco-allemand. Mais la persistance de difficultés internes aux deux partenaires et de sujets d’inquiétude pour l’avenir de l’Union ne constituent pas un contexte favorable.

Redistribution des cartes


L’élection du Président Emmanuel Macron a été saluée, outre-Rhin, comme porteuse de l’espoir d’un nouveau départ de la relation bilatérale, conforté par les indispensables réformes internes annoncées pendant la campagne. Le discours de la Sorbonne du 26 septembre 2017, appel à « la refondation d’une Europe souveraine, unie et démocratique », a témoigné de la volonté présidentielle de relancer l’Union au moment où la Chancelière Angela Merkel devait former une nouvelle coalition à la suite du scrutin fédéral du 24 septembre.

La « grande coalition » au pouvoir depuis 2013 venait en effet de subir un revers électoral, et les deux partenaires, chrétiens démocrates (CDU/CSU) de la chancelière et sociaux-démocrates (SPD) ont connu un recul historique. Les difficultés qui ont entouré la formation du gouvernement et la réélection de Mme Merkel ont fragilisé sa position sur la scène internationale En annonçant son retrait à l’issue du présent mandat, la chancelière a ouvert la voie à sa « dauphine » Annegret Kramp-Karrenbauer (AKK), qui lui a succédé à la présidence de son parti le 7 décembre 2018, prenant alors de facto date pour la succession à la chancellerie, avant de devoir y renoncer à la suite des élections régionales de Thuringe le 10 février 2020 . Par ailleurs, l’entrée au Bundestag de l’Alternative für Deutschland, résolument eurosceptique, devenu premier parti d’opposition, a bouleversé les équilibres traditionnels, en particulier au sein de la CDU dont certains responsables régionaux paraissent enclins à braver l’ostracisme dont l’AfD fait l’objet à l’échelon fédéral.

En France, la fin de l’année 2018 a été marquée par les troubles sociaux que l’on sait. Ce sont donc deux partenaires en proie à des difficultés sur le plan interne qui ont conclu, le 22 janvier 2019, et avec un an de retard sur le calendrier prévu, le traité d’Aix-la-Chapelle, 56 ans après celui de l’Élysée dont il reprend en les actualisant et, pour certaines, en les renforçant, les principales dispositions. L’amitié, comme la responsabilité de la France et de l’Allemagne au sein de l’Union européenne y sont rappelées, et la coopération entre les deux États est resserrée. Le traité d’Aix-la-Chapelle est certainement nécessaire pour réaffirmer la réalité du couple franco-allemand au moment où l’Union européenne est fragilisée par le Brexit et le développement de l’euroscepticisme sous ses formes diverses.

Ce n’est pas de l’amour


Il ne faut cependant pas se leurrer, et considérer comme le fruit d’un mariage d’amour un couple qui résulte d’un mariage de raison, pour ne pas dire d’intérêt. L’amitié franco-allemande est une réalité, cimentée par une connaissance réciproque approfondie au travers des échanges et jumelages que l’on n’encouragera jamais assez, alimentée par des réalisations communes, en particulier dans les domaines de la défense et de la sécurité, de l’action diplomatique et de l’éducation. Mais les liens amicaux, voire affectifs, ne sauraient fonder durablement une politique.

C’est donc bien un mariage de raison que le général De Gaulle et le Chancelier Konrad Adenauer ont conclu en 1963 et qui a perduré au gré des circonstances. Il n’est pas inutile de rappeler, à ce propos, la réaffirmation par le Bundestag du lien transatlantique lors de l’approbation du traité de l’Élysée, ainsi vidé d’une partie de sa substance. Ceci étant, les deux partenaires ont su, jusqu’à présent, faire front commun dans les situations délicates, telles que la crise des euromissiles des années 80, le processus de réunification et les décisions d’intervention (ou non) dans les conflits plus récents, dont celui d’Irak en 2003, tandis que les gestes et rencontres symboliques ont contribué à l’affirmation d’une communauté de vues.

Qui donne le cap ?


Pour que ce mariage de raison perdure dans l’harmonie, il lui faut être équilibré, de sorte que chacun y trouve son compte, et que les perspectives communes l’emportent sur les intérêts divergents. L’Allemagne semble avoir acquis aujourd’hui, au sein de l’Union, un poids prépondérant, en raison de sa puissance propre, de la dynamique où elle entraîne les États « du nord » (Autriche, Benelux, Danemark). La France semble plus isolée alors que les États « du sud », en particulier Italie et Espagne, prennent des positions divergentes ou ambiguës. L’Allemagne a, de moins en moins, besoin de s’entendre avec la France et se trouve en position de faire valoir ses intérêts propres au sein de l’Union. De fait, les récentes négociations (avril 2019) sur les modalités et le calendrier du Brexit ont permis à la République fédérale de faire prévaloir sa position, à laquelle les autres partenaires se sont ralliés bon gré mal gré.

Il est, à ce propos, intéressant de noter la volonté allemande de donner le cap à l’Union, quitte à se démarquer nettement, et sans formes excessives, de la vision et des propositions du partenaire français. La position prise par Annegret Kramp-Karrenbauer dans son article du 10 mars 2019 « Faisons l’Europe comme il faut » est une réponse en fin de non-recevoir au projet de « Refondation de l’Europe » développé par le Président Macron la semaine précédente dans son adresse « aux citoyens d’Europe ». Le plaidoyer d’AKK pour les États-nations est on ne peut plus clair : « Aucun super-État européen ne saurait répondre à l’objectif d’une Europe capable d’agir. Le fonctionnement des institutions européennes ne peut revendiquer aucune supériorité morale par rapport à la coopération entre les gouvernements nationaux. Refonder l’Europe ne se fera pas sans les États-nations : ce sont eux qui fondent la légitimité démocratique et l’identification des peuples. Ce sont les États membres qui formulent leurs propres intérêts et en font la synthèse à l’échelon européen. C’est de cette réalité qu’émane le poids des Européens sur la scène internationale ».

Les affres d’un couple qui dure


Autrement formulée, la question est celle de la capacité du couple franco-allemand à exercer une influence commune au sein de l’Union, en surmontant les apparentes ou réelles divergences et querelles de leadership qui se font jour actuellement.

La volonté de l’Allemagne de jouer sur la scène internationale un rôle à la mesure de sa puissance, et la prise en compte d’intérêts nationaux propres, qui la poussent à s’intéresser davantage à son environnement est-européen, sont de nature à déséquilibrer le couple franco-allemand, fondé sur ce mariage de raison dont nous parlons, même s’il n’est pas dénué d’un facteur affectif.

Le risque que constitue ce déséquilibre est amplifié par la montée des sentiments eurosceptiques et populistes dans une grande partie de l’Union européenne. Au-delà des résultats électoraux des différents partis, cela conduit presque nécessairement à un durcissement des positions et à une compétition pour le leadership européen dans laquelle l’Allemagne, en dépit de ses difficultés, semble la mieux placée. 

Si nous voulons conserver l’atout que constitue, pour l’Europe comme pour nos deux nations, l’amitié et la coopération franco-allemande, il parait indispensable d’intensifier les coopérations de « terrain » aux plus petits échelons afin de favoriser, le moment venu, des actions communes de plus grande ampleur.

(*) Cet article fait partie du dossier n°24 réalisé par Le Cercle de réflexions du G2S « Europe et Défense » publié en juin 2019 et consultable sur : http://www.gx2s.fr/



Général (2S) Olivier de Becdelièvre (*)


Saint-Cyrien, Führungsakademie der Bundeswehr, Ecole supérieure de guerre, Attaché militaire (forces terrestres) près l’ambassade de France en Allemagne, puis Attaché de défense près l’ambassade de France aux Pays-Bas, a été jusqu’à l’été 2018 responsable de promotion d’élèves-ingénieurs de CentraleSupélec.

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Association selon la loi de 1901, le G2S est un groupe constitué d’officiers généraux de l’armée de terre qui ont récemment quitté le service actif. Ils se proposent de mettre en commun leur expérience et leur expertise des problématiques de défense, incluant leurs aspects stratégiques et économiques, pour donner leur vision des perspectives d’évolution souhaitables de la défense.

Le site G2S est répertorié dans la rubrique THINKTANKS de la “Communauté Géopolitique, Économie, Défense et Sécurité” d’Espritsurcouf.  
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Bonne lecture et rendez-vous le 24 février 2020
avec le n°132 d’ESPRITSURCOUF

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