CYBER ET DRONES
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Martine Cuttier (*)
Docteur en Histoire contemporaine
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C’est un livre paru il y a plus d’un an, signé « Panpi Etcheverry », et intitulé « Cyber et drones ». Il n’a pas reçu l’écho qu’il mérite, s’agace Martine Cuttier, qui souhaite nous le faire connaitre. Elle précise que l’ouvrage s’inscrit dans ce champ classique de l’art de la guerre qui consiste à analyser le recours à la technique comme source de révolution, de rupture et de bouleversement stratégiques.
Après Hiroshima, on avait pensé que l’arme atomique
interdirait la guerre.
Erreur ! La guerre entre sociétés semblables et « du fort au fort » fut
remplacée durant des décennies par des guerres périphériques, révolutionnaires,
de décolonisation, où s’ingérait chacun des leaders de chaque camp, détenteur
de l’arme ultime.
L’URSS abattue, on pensa alors « tirer les dividendes de la paix » puisque les
États-Unis, vainqueurs du duel, se retrouvaient sans ennemi de leur niveau.
C’était même la fin de l’histoire par la victoire de la liberté.
Illusion. Des tensions contenues par la logique bipolaire resurgirent très
vite. Elles éclatèrent en prenant la forme de nouvelles guerres interétatiques
et surtout de guerres intra-étatiques, de guerres urbaines, de guerres
asymétriques, certaines menées contre le monde occidental en utilisant le
procédé ancien du terrorisme, ce type de combat « du faible au fort ».
La période ouverte par la chute du Mur de Berlin a alors connu sa révolution
stratégique avec d’abord les armes cybernétiques, grâce à l’ordinateur
individuel connecté par Internet au sein d’un nouvel espace. Terme devenu
familier, le cyberespace, dont la définition varie selon les intérêts des
acteurs, ne doit cependant pas être réduit à Internet, qui n’en est que l’épine
dorsale, car il constitue un domaine transversal et singulier de la guerre.
Arrivèrent ensuite les drones, « pour le moment la forme la plus aboutie de
l’extension constante de l’allonge des armes depuis que l’homme fait la guerre
». Dans un premier temps, les analyses stratégiques et les débats ont porté sur
les deux armes séparément, dès les années 2000, pour les premières, et depuis
les années 2010 pour les secondes. Mais il existe une continuité entre le cyber
et les drones. Là se trouve la raison d’être de l’ouvrage de Panpi Etcheverry.
Le philosophe et politologue Pierre Hassner avait déjà constaté en 2012 que « les deux innovations techniques actuellement au centre des conflits les plus importants, des débats stratégiques et de la réorganisation des appareils de défense sont les drones et la guerre cybernétique ». Au cours du Forum économique mondial de Davos en janvier 2017, les orateurs avaient mis en avant le rôle de plus en plus prépondérant des robots dans la conduite de la guerre. En se référant aux conclusions de ce Forum, Panpi Etcheverry montre « comment le cyber et les drones bouleversent déjà les champs stratégiques, juridiques, éthiques, géopolitiques et sécuritaires ». Il met en exergue « le fait que ces deux pans de la rupture technologique en cours ne sont que les prémisses d’un bouleversement plus large », et veut attirer l’attention « sur les évolutions très rapides en termes de robotique, de miniaturisation ou d’intelligence artificielle et leurs implications potentielles dans les guerres du futur ». Il le fait selon trois niveaux : celui de la stratégie et des opérations, celui de la géopolitique et celui de l’éthique et de ses conséquences sociales, puisque le rappelle à juste titre l’auteur de la préface, « la guerre est toujours une manifestation sociale. »
La démonstration est extrêmement bien documentée, la pensée est intellectuellement puissante. Elle se place sans détour dans le contexte d’un monde au paysage géopolitique fragmenté, d’un monde occidental post-moderne en crise, refusant la mort et aveuglé par la technologie et le court-termisme.
Un monde où le multilatéralisme (ONU, OTAN) s’effondre, où la souveraineté, attribut des États et du droit international, s’affaisse sous l’es effets conjugués du libéralisme et de la dérégulation, à un point tel que les États ont perdu le monopole de la guerre. A propos de la stratégie, l’auteur pointe les conséquences d’une pensée marquée par l’absence de direction, « l’indirection », que ce soit en Libye, en Syrie ou au Sahel où les forces armées françaises interviennent.
Il faut absolument lire cet essai au contenu dense et décapant qui nous éclaire avec grand réalisme sur notre environnement international.
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(*) Martine Cuttier
Docteur en histoire contemporaine, a enseigné l’histoire contemporaine au département d’histoire de l’Université de Toulouse2 Jean Jaurès, et les relations internationales à l’IEP de Toulouse puis à l’Université de Touluse1-Capitole. Elle enseigne actuellement les relations internationales et les questions de défense au sein du Master 2 Ingénierie sécurité, sureté, défense (ISSD) de l’université Toulouse3 Paul Sabatier. Elle s’intéresse particulièrement aux politiques hégémoniques avec projection de forces et a publié de nombreuses contributions. Elle est rédactrice adjointe de la revue Res Militaris et collabore à La Vigie.
Bonne lecture et rendez-vous le 18 mai 2020
avec le n°138 d’ESPRITSURCOUF
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