Armée française au Sahel :
Les bonnes questions

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Eric Stemmelen (*)
Commissaire divisionnaire honoraire de la police nationale

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Policier, mais ayant exercé de multiples responsabilités à l’étranger, l’auteur a acquis une grande expérience dans le domaine de la sécurité (il a été consulté par les militaires au Mali). Cela lui permet de s’interroger sur le maintien de la présence militaire française au Sahel.

 

Les années soixante ont vu les pays africains acquérir leurs indépendances par rapport aux anciennes puissances coloniales. Tous les pays européens concernés (Espagne, Portugal, Allemagne, Belgique, Royaume-Uni, Italie) ont laissé leurs anciennes colonies se développer assez librement. Seule la France n’a pas réellement coupé les liens d’une part en attachant le franc CFA à la monnaie française, et d’autre part en laissant sur place un fort contingent militaire et une importante coopération civile et militaire définie par de nombreux accords. Cette démarche, qui a eu du succès au travers de ce que l’on a pu appeler la Françafrique, trouve maintenant ses limites avec un rejet croissant des liens entre ces pays et la Métropole.

Présence militaire

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Sur le plan militaire, seule la France garde des capacités d’intervention en Afrique. On se souvient par exemple de l’opération Licorne en Côte d’Ivoire, lancée en septembre 2002 et qui ne s’est terminée qu’en janvier 2015.

Sous mandat de l’ONU, à la tête d’une coalition internationale, l’armée française est intervenue en Libye en 2011 (opération Harmattan) pour mettre fin au régime dictatorial de Kadhafi, qui meurt le 20 octobre 2011. Cette même année, à Benghazi,  des milliers de Libyens font un triomphe à Nicolas Sarkozy. Douze ans après, cette victoire a un goût amer : déstabilisation de toute la zone, trafics en tous genres, en particulier d’êtres humains, montée de l’islamisme et du terrorisme, conflits locaux, etc.…

Au Sahel, dès 1983, l’armée française intervient au Tchad (opération Manta, puis opération Épervier) Ensuite est venue l’opération Serval au Mali en 2013, avec l’accueil triomphal de François Hollande à Tombouctou suite au succès militaire français (10 ans après, la France est chassée du Mali),  l’opération Barkhane en 2014 (dont la fin est annoncée par le Président Macron en novembre 2022), l’éphémère opération Takuba (2020 – 2022), etc… Les succès obtenus sur le terrain contre les milices djihadistes sont des combats gagnés, mais la guerre contre le terrorisme islamiste n’est pas gagnée.

Cela fait maintenant 10 ans que l’armée française est engluée dans cette région grande comme l’Europe, sans véritable soutien des autres pays européens, mais bien aidée sur le plan renseignement opérationnel par les Américains. Nous y avons mobilisé en permanence jusqu’à 5 000 soldats, dont plus de 50 y ont trouvé la mort. Pour quel résultat dans des pays où les coups d’État sont fréquents et où la population ne soutient pas la France ?  

Opération Barkhane, évacuation d’un blessé. Photo MinArm

Aucune  chance de victoire

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La guerre menée contre les terroristes islamistes au Sahel, n’a aucune chance d’être gagnée, pour les raisons suivantes, non exhaustives.

L’opération militaire était justifiée au départ dans le cadre des accords d’assistance militaire avec les pays de la région, mais elle aurait dû se terminer aussi rapidement qu’elle avait commencée, comme cela fut le cas lors de l’opération aéroportée de Kolwezi en mai 1978.

La France n’est pas chez elle au Sahel, et l’armée française est apparue comme une armée d’occupation occidentale. Un sondage,  réalisé selon la méthode des quotas du 4 au 9 décembre 2019 dans le district de Bamako, sur un échantillon de 1 320 personnes de 18 ans et plus, indiquait que 82 % des Maliens avaient une opinion défavorable de la France et qu’inversement 83 % de la population avait une opinions favorables de la Russie. Mais ce sondage n’est pas représentatif de toute la population du Mali, car réalisé uniquement dans le district de la capitale Bamako. Ce sentiment anti-français est bien évidemment exploité par les islamistes, comme l’imam  Mahmoud Dikko qui, devant des dizaines de milliers de sympathisants, prononce un discours édifiant : « Pourquoi c’est la France qui dicte sa loi ici ? Cette France qui nous a colonisés et continue toujours de nous coloniser et de dicter tout ce que nous devons faire. Que la France mette fin à son ingérence dans notre pays ». Ce sentiment est également présent au Burkina Faso et au Niger et se traduit par des manifestations violentes contre la France.

Les autorités locales sont incapables d’apporter non seulement la sécurité aux populations, mais aussi un développement économique, alors que les islamistes suppléent à ces carences des États, dirigés souvent par des gouvernements corrompus et issus de coups d’État à répétition.

Sur le terrain, l’absence quasi totale des militaires des autres nations européennes est un handicap majeur malgré le soutien indispensable des services de renseignement américains. Mais rien ne dit que les Américains resteront sur zone.

L’intervention dans la région de la milice armée Wagner, composée d’anciens condamnés de droit commun, soutenue par le gouvernement russe de Poutine, a pour objectif de s’accaparer les ressources, notamment minières, des pays concernés en répandant la haine contre la France. Les  miliciens de Wagner ont ceci de commun avec les djihadistes : ils emploient les mêmes méthodes (tortures, terreur, désinformation …) et ne s’embarrassent aucunement de respecter les droits de l’homme et les valeurs démocratiques chers à la France et à son armée.

Les islamistes ont pour eux le nombre, l’idéologie, le temps et le soutien financier, apporté non seulement par les trafics en tout genre (drogues, êtres humains…), mais aussi par les pays du Golfe par le biais d’associations caritatives. Ce phénomène du double jeu  de ces pays dure depuis des années sans qu’il ne soit dénoncé et combattu de façon efficace par les gouvernements européens,  notamment pour des raisons économiques. L’islamisme et le terrorisme gagnent chaque jour du terrain dans toute l’Afrique, du Sahel jusqu’au golfe de Guinée, c’est aussi cela la réalité. Aucun pays de la région ne sera à l’abri de cette menace.

Enfin et contrairement à une opinion  largement répandue par les responsables politiques français de la majorité et de l’opposition, et repris sans analyse par les médias, il n’y a pas de liens avérés, à l’heure actuelle, entre le terrorisme en Europe, et en particulier en France, avec le terrorisme au Sahel.

Présence française au Sahel

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Il ne reste en réalité que deux justifications au maintien de l’armée française au Sahel et au-delà en Afrique : partir est considéré comme une défaite ; partir laisserait sans défense les milliers de Français expatriés dans ces pays.

Néanmoins, la question mérite d’être posée : la France doit-elle rester influente au Sahel ? Cette région nous coûte 10 milliards d’euros par an et ne représente que 0,25 % de notre commerce extérieur. Le départ de la France peut provoquer une période d’anarchie, mais peut aussi permettre une réorganisation territoriale et politique des pays du Sahel.

Cette guerre, qui a coûté des vies et de l’argent,  ne pouvait donc pas être gagnée pour toutes les raisons expliquées ci-dessus. Peut-on accepter indéfiniment de voir nos soldats risquer leur vie, sans perspective compréhensible, en pensant qu’ils seraient quand même plus utiles sur le territoire national ou sur le sol européen ?

(*) Eric Stemmelen, commissaire divisionnaire honoraire, a effectué sa carrière en France et à l’étranger. En France, d’abord à la direction centrale de la police judiciaire, puis dans les organismes de formation et enfin au service des voyages officiels. Responsable de la sécurité des sommets internationaux et des conférences internationales, chargé de la protection rapprochée des Chefs d’Etat et de Gouvernements étrangers, il a été  mis comme expert à la disposition du ministère des affaires étrangères, pour la sécurité des ambassades françaises, de leur personnel et des communautés françaises dans de nombreuses capitales (Beyrouth, Kaboul, Brazzaville, Pristina, entre autres). Diplômé de l’Académie Nationale du FBI, auditeur de l’IHESI, il est aujourd’hui consultant et expert dans les domaines de la  Sécurité (au Conseil de l’Europe, par exemple). 

Eric Stemmelen a publié dans nos colonnes « criminalité et délinquance, un bilan catastrophique » et « lutte contre l’insécurité : inadaptée et inefficace », respectivement les 10 février et 10 mars derniers.

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