Conscription en France : 
Le S.N.U.

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Johann Airieau (*)
Journaliste-stagiaire chez ESPRITSURCOUF
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Un précédent article faisait le point sur la conscription en Europe. Cette fois ci, l’auteur s’attache au cas de la France.
Le service militaire a beau y avoir disparu de la vie des jeunes citoyens, il n’a en rien déserté l’inconscient national, et cet « impôt du sang » reste un pilier de l’imaginaire républicain. En surfant sur cette vague de nostalgie, Emmanuel Macron a voulu créer un « Service National Universel »,le SNU un projet dont la mise en œuvre a été bloquée net par la pandémie, mais qui va revenir dans l’actualité.
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e début idéalisé du service militaire moderne remonte à 1793, quand la République Française toute neuve s’est trouvée menacée par les armées des monarques européens. Pour défendre « la Patrie en danger », les citoyens se sont « levés en masse », ils ont formé leurs bataillons et remporté la victoire à Valmy.

 Il s’agit là d’un début mythifié, le phénomène se rapprochait d’un « réflexe de défense », incarné par un mouvement populaire. Il n’y avait pas de recensement, pas d’incorporations systématiques, il n’y avait que des volontaires.

Par la suite, au gré des régimes qui se sont succédés, le service militaire s’est généralisé, sous des modalités et des durées variables. Beaucoup échappaient à ce service. Il y avait des tirages au sort, les plus fortunés pouvaient payer un pauvre bougre pour faire le service à leur place, les responsabilités familiales pouvaient donner lieu à exemptions. Les récentes commémorations de la Commune de Paris nous ont rappelé qu’avec la garde nationale existait une organisation de citoyens armés sous forme de milices.

C’est au début du XXe siècle, en 1905, avec la loi Berteaux, que la conscription devient véritablement égalitaire en supprimant les dispenses. Dès lors, chaque Français doit un service individuel à la nation. C’est le temps des gaietés de l’escadron, des copains de régiment, mais aussi des mobilisations générales de 1914 et 1939.

A la fin du XXe siècle, les armées françaises sont en partie professionnalisées. Les conscrits ne servent que de force d’appoint et ne sont pas déployés dans les opérations extérieures. La chute de l’Union Soviétique et la dissolution du Pacte de Varsovie ont considérablement réduit les menaces pesant sur l’Europe, Le maintien de grandes forces armées n’apparait plus indispensable, et se montre extrêmement coûteux. C’est donc dans cette triple situation de professionnalisation des armées, de changement stratégique, et de restriction budgétaire, que le glas sonna pour le Service Militaire Obligatoire en 1997.

 

Finis les conscrits à l’été 1997. Les jeunes qui apprennent maniement d’armes et ordre serré ne peuvent être que des engagés volontaires. Photo MinArm.

Cet outil militaire est alors remplacé par la Journée d’Appel de Préparation à la Défense (JAPD), renommée depuis Journée Défense et Citoyenneté (JDC). Dans la continuité du service militaire, elle est obligatoire pour les hommes, avant d’être ouverte aux femmes. Son but est de transmettre un socle de valeurs civiques, ainsi que d’offrir aux jeunes une ouverture vers les métiers de la défense. Le suivi de cette journée est sanctionné par un certificat, nécessaire pour passer des examens ou des concours et entrer pleinement dans la vie civique du pays.

Service obligatoire, le retour

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Le service militaire occupait une telle place dans la société française que cet outil a gagné une aura providentielle après sa suspension. Il est devenu une sorte de solution miracle à de nouveaux problèmes. Ainsi, devant des sujets sensibles tels que l’immigration, la criminalité dans les banlieues, les divers maux de la jeunesse, le service militaire est apparu pour certains comme une solution évidente.

De nouvelles alternatives ont d’ailleurs été proposées pour en combler la disparition. En 2010 le gouvernement français a créé le Service Civique. Il s’agit d’un organisme permettant aux jeunes citoyens de servir l’intérêt général. Indemnisé, ce service constitue un engagement volontaire et permet la transmission des valeurs nationales de fraternité. Le Président François Hollande a proposé lors de ses vœux aux Français de janvier 2015 (avant les attentats de « Charlie Hebdo ») un nouveau type de service civique, plus court, pouvant potentiellement devenir obligatoire. Ce projet n’a pas abouti.

Un autre argument en faveur d’une réinstauration d’un service obligatoire en France découle de la radicalisation d’une partie de la population et du terrorisme islamiste. Cette radicalisation, via les réseaux sociaux diffusant de la propagande émanant de l’État Islamique ou d’autres groupes djihadistes, a laissé le gouvernement français partiellement impuissant. N’importe qui, particulièrement les adolescents et les jeunes adultes, pouvait ainsi potentiellement se radicaliser et tomber aux mains de recruteurs. Le phénomène inquiétant de djihadistes français ou européens allant s’entraîner en Syrie et revenant commettre des attentats a également contribué à différencier cette menace sécuritaire.  A la lumière de ces nouveaux dangers, et avec l’Opération Sentinelle, créée à l’issue des attentats de janvier 2015, les voix en faveur d’un rétablissement d’un service obligatoire ont eu de plus en plus d’écho.

La professionnalisation des armées a montré ses fruits lors des OPEX, et ses limites lors des Opérations intérieures. Les forces d’active sont ainsi impliquées dans l’Opération Sentinelle, mobilisant un effectif important (de 3 000 à 10 000 militaires selon les périodes). Cette opération a également contribué à réactiver le dispositif de Garde Nationale en 2016 et à intégrer de manière approfondie les forces de réserve à l’effort de défense. Cependant, force est de constater que la protection de lieux prédéfinis sur le territoire national est différente de la traque de groupes terroristes au Sahel. Les soldats doivent donc subir un entraînement particulier.

L’Opération Sentinelle est une grosse consommatrice d’effectifs. Heureusement qu’il y a des réservistes. Photo MinArm.

Rempli de promesses, le SNU français ravive la mémoire d’un service militaire idéalisé. Il est toutefois bon de rappeler qu’à cette époque l’un des sports nationaux, outre le football, était d’être réformé afin de ne pas avoir à subir une chose vue comme une contrainte par beaucoup de jeunes hommes. La possibilité de faire un service moins pénible, comme coopérant ou dans une entreprise française à l’étranger, ou comme Élève Officier de Réserve, au lieu d’être « bidasse » dans un régiment d’infanterie, nuisait à la notion d’égalité de la conscription. Il est donc important de bien définir les objectifs du SNU afin de ne pas se bercer d’illusion quant à son sujet.

La forme du SNU

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Lors des élections présidentielles de 2017, la plupart des candidats étaient en faveur de la réinstauration d’un service obligatoire, militaire ou civique. Le candidat Emmanuel Macron proposait alors un « service civique » d’une durée d’un mois, encadré par les forces armées. Élu Président, son projet s’est affiné et se présente désormais sous la forme d’un parcours citoyen en plusieurs phases.

Les jeunes de 13 à 16 ans recevront un enseignement spécialisé portant sur la défense lors de « Classes de Défense et Sécurité Globale ». S’ensuivront deux périodes de 15 jours après la classe de 3e. La première, appelée Journées Défense et Mémoire nationale (JDM), regroupera des jeunes dans un autre département, brassera les origines sociales et les imprègnera des principes républicains. La deuxième, appelée Mission d’Intérêt Général défense et mémorielle (MIG), consistera à accomplir une tâche utile à la collectivité. C’est le jeune qui choisira ce qu’il veut faire. Cela sera donc un volontariat, qu’il soit civique ou sous uniforme. Les deux périodes composeront, à proprement dit, le SNU.

La Journée Défense et Citoyenneté (JDC) est également maintenue et devrait, sans information contraire, conserver son rôle d’initiation à la défense. Cette dernière ainsi que la première phase du SNU permettront d’orienter les jeunes intéressés par la défense vers les formes d’engagement adaptées (active, réserve, services volontaires, écoles militaires etc…). A l’issue du SNU, un engagement volontaire de la part des jeunes sera possible, que ce soit civique ou militaire. D’une durée de 3 mois à 1 an, cet engagement s’effectuerait en France, entre 16 et 25 ans.

Dans sa forme actuelle, le SNU a plusieurs objectifs, énumérait le ministère des armées en 2020 : « transmettre un socle républicain, renforcer la cohésion nationale, développer une culture de l’engagement et accompagner l’insertion sociale et professionnelle ». Un an plus tard, le même ministère le présente comme un projet de société, s’adressant à tous les jeunes de 15 à 16 ans et visant une meilleure insertion et un engagement de la jeunesse.

En juin 2019, avant la pandémie, 2 000 adolescents ont testé le SNU : 15 jours à vivre en communauté, loin de leur famille et de leurs amis, en uniforme et selon des horaires militaires. Photo CIDJ

La dimension militaire du SNU

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Lors de l’élaboration de ce nouvel outil, la tendance était à la circonspection de la part des militaires. En effet, les forces armées françaises sont aujourd’hui entièrement professionnalisées, avec des forces d’active et de réserve. La complémentarité de ces deux forces ne laisse que peu d’espace aux conscrits, mis à part l’opération Sentinelle. De surcroît, les forces armées françaises n’ont plus les infrastructures nécessaires pour accueillir des appelés. Cela finira par se révéler coûteux, alors même que la défense connaît des difficultés financières, et qu’elle devrait utiliser ses cadres pour assurer la formation des conscrits.

Une estimation, datant de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron en mars 2017, décrit un SNU coûtant entre deux et trois milliards d’euros par an en « régime de croisière ».Une estimation plus récente émanant du groupe de travail sur le SNU dirigé par le Général Menaouine estimait (avec une certaine réserve) un investissement en infrastructure de 1,750 milliards d’euros sur sept ans, ainsi qu’en rythme de croisière un coût de 1,6 milliards d’euros par an. Le groupe de travail estime néanmoins que le « coût budgétaire total qui ne devrait pas dépasser quelques milliards d’euros est un investissement collectif justifié, soutenable, et maîtrisable ».

Cependant, dans sa forme actuelle, le SNU semble n’avoir gardé de militaire qu’une partie de son encadrement. Les jeunes participeront à des périodes de formation militaire seulement s’ils sont volontaires. L’engagement dans les forces armées, de police, ou de sécurité civile, dans l’active ou la réserve, est totalement optionnel, bien qu’encouragé. L’un des rares aspects rapprochant le SNU de son prédécesseur est son caractère obligatoire. Il se pose ainsi en nouveau creuset républicain, sanctionnant un accès à une citoyenneté complète. Mais l’intérêt purement militaire de cet outil est très limité : il se caractérise principalement par un rôle d’éducation à la défense et de potentiel vivier de recrutement pour les forces armées.

Il faut donc être très clair : ce SNU en train de naitre ne remplacera jamais le service militaire. Toutefois, il se rapproche de la doctrine de défense totale, telle que pratiquée en Lettonie ou en Scandinavie. Ce système allie monde civil et militaire pour défendre un territoire et développer la résilience de la société.

Adapté à une jeunesse consciente des sujets sociaux, écologiques, politiques, et bien souvent engagée, le SNU propose une formation orientée citoyenneté et moins contraignante que l’ancien service militaire. La défense est au cœur du système, mais d’autres thèmes contemporains sont abordés, tels que le développement durable, la citoyenneté européenne, ou encore le patrimoine. Il ne reste plus qu’à savoir si les jeunes français vont adopter le SNU, s’ils auront s’y adapter et en profiter.

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(*) Johann AIRIEAU est diplômé d’une licence d’histoire de l’Université Lumière Lyon 2, dont une année a été réalisée à l’Université de Virginie. Il est actuellement étudiant en master de relations internationales aux Hautes Etudes Internationales et Politiques et réserviste dan sl’Armée de Terre et Journaliste-stagiaire chez ESPRITSURCOUF .
Passionné par l’histoire militaire et les sujets de défense, il travaille sur un mémoire portant sur le service national contemporain en France et en Suède. L’objectif de cette recherche est de mettre en lumière les menaces auxquelles sont exposés ces deux pays européens, nécessitant pour les combattre l’établissement d’un SNU en France et le rétablissement du service militaire en Suède. (Contact : johann.airieau@edu.heip.fr)

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