L’EUROPE, L’ÉNERGIE
ET
LA HAUSSE DES PRIX

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Ramona Bloj (*)

Fondation Robert Schuman
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Sur fond de reprise économique post-Covid, les prix de l’énergie augmentent partout dans le monde. La Chine fait face à des pénuries d’électricité dans de nombreuses provinces, en raison de l’offre insuffisante de charbon et, aux États-Unis, le prix du gaz naturel a augmenté de plus de 150% depuis le début de l’année. Lors du conseil européen de la fin octobre, les 27 dirigeants ont évoqué des mesures que l’Europe pourrait prendre pour alléger la pression sur les consommateurs.
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Dès 1951, avec la création de la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier),  la coopération dans le domaine énergétique a été un moteur de la construction européenne. Mais l’Union Européenne ne dispose pas d’une compétence exclusive en la matière. L’article 194 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) habilite l’UE dans le domaine de l’énergie sur trois points : assurer le bon fonctionnement du marché de l’énergie ; assurer la sécurité de l’approvisionnement énergétique ; promouvoir l’efficacité énergétique et l’interconnexion des réseaux.

C’est assurément le début d’une politique commune de l’énergie, mais chaque État membre conserve le droit « de déterminer les conditions d’exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d’énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique ». Les États membres déterminent souverainement leur mix énergétique, en tenant compte de leurs engagements climatiques, conformément aux objectifs définis depuis la COP 21 : réduction, par rapport à 1990, de 55% des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 et neutralité carbone à l’horizon 2050.

Mix énergétique et sécurité d’approvisionnement

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Au niveau européen, le mix énergétique reste dominé par les énergies fossiles puisque 38% de la consommation d’énergie provient du pétrole, 23% du gaz naturel et 13% du charbon. Le nucléaire n’en représente que 11%, le pourcentage restant provient des énergies renouvelables.

Les choix propres des États membres, en termes de mix énergétique, dépendent de leurs priorités, par exemple la protection de certains secteurs industriels, ou la réduction de leurs dépendances à l’égard de sources extérieures. La dépendance énergétique des États membres de l’Union a connu, ces dernières années, une hausse sensible, atteignant 55,7% en 2018, contre 53,6% en 2009. À titre d’exemple, en 2019, 43,5% du charbon, 26,8% du pétrole non raffiné et 34,3% du gaz naturel importé en Europe étaient d’origine russe. Ce qui a permis à Ursula von der Leyen d’affirmer récemment « Si Gazprom a honoré son contrat de long terme envers nous, il n’a pas répondu à la hausse de la demande comme il l’avait fait les années précédentes. Et cela fait augmenter les prix. La question énergétique est géopolitique par excellence, et la Russie ne le sait que trop bien. ».

Les différences entre les États membres sont considérables. Par exemple, en matière d’énergie renouvelable, la Suède affiche de loin la part la plus élevée (56,4 % en 2019), devant la Finlande (43,1%), la Lettonie (41%), le Danemark (37,2 %) et l’Autriche (33,6 %). À l’autre extrémité de l’échelle, les pourcentages les plus faibles d’énergies renouvelables ont été enregistrés au Luxembourg (7%), à Malte (8,5%), aux Pays-Bas (8,8%) et en Belgique (9,9%). À noter que l’énergie solaire connaît une croissance spectaculaire, passant de 7,4 TWh (Terra Watt Heure) produits en 2008 à 125,7 TWh en 2019.

Photo DR

Le mix énergétique des pays d’Europe centrale et Orientale reste dominé par des énergies fossiles (près de 80% de l’énergie électrique produite en Pologne provient du charbon) et par le nucléaire (46% de l’électricité produite en Hongrie et 18 à 20% en Roumanie).

La hausse des prix intervient au moment où le rôle de l’énergie nucléaire et du gaz dans la transition énergétique en Europe est source de division entre États membres. Le gaz naturel, énergie fossile la moins polluante, sa combustion n’émettant pas de poussières, peu de dioxyde de soufre, peu d’oxyde d’azote et moins de dioxyde de carbone que d’autres énergies fossiles, est l’énergie de compromis pour de nombreux États, dont l’Allemagne. L’énergie nucléaire n’émet pas de CO², mais le traitement des déchets, et plus généralement sa maîtrise, suscite des inquiétudes. Plusieurs pays comme la Roumanie, la Pologne, la Hongrie, la Finlande et la France misent sur la possibilité d’accélérer leur transition grâce à l’énergie nucléaire.

Des réponses possibles à la hausse des prix

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Le marché européen de l’électricité a été historiquement imaginé comme « le moyen le plus efficace de garantir aux citoyens européens un approvisionnement en énergie sûr et bon marché ». Il s’est montré efficace durant les dernières décennies. Il est structuré autour d’un système de tarification qui a pour effet que tous les producteurs d’électricité appliquent le même prix Pour l’instant, la Commission Européenne ne prévoit pas sa révision. Toutefois, l’agence de coopération des régulateurs de l’énergie devrait prochainement proposer une série de recommandations.

Dans le contexte de hausse généralisée des prix de l’électricité, le fonctionnement de ce marché unique européen de l’électricité est au centre des débats. Bruno Le Maire, ministre français de l’Économie et des Finances, a déclaré que ce dernier « ne marche plus » et que ses mécanismes devraient être revus en profondeur. Selon Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur, la hausse des prix de l’énergie touche directement trente-six millions d’Européens.

Les pays ont déployés à leur niveau des mesures d’urgence pour alléger la pression sur les consommateurs. On peut citer les aides immédiates comme les « chèques énergie » d’une valeur de 100 € distribués en France à 5,8 millions de ménages. En Italie, Mario Draghi, Président du Conseil, a annoncé une série de mesures pour un coût total de 3 milliards €, dont la suppression des coûts d’infrastructure du gaz. En Espagne, après des mesures adoptées fin juillet qui concernaient notamment une réduction temporaire de la TVA sur l’électricité, baissée de 21% à 10%, et la suspension de l’impôt sur la vente de production d’énergie électrique, le gouvernement espagnol a annoncé en octobre une baisse temporaire de l’impôt spécial sur l’électricité de 5,11% à 0,5%. Le gouvernement polonais étudie la mise en place de mesures de compensation pour les foyers dont les dépenses en énergie représentent plus de 10% de leurs revenus, soit 6% des foyers polonais. Au Royaume-Uni, le gouvernement a annoncé un fonds de 500 millions £ afin d’aider les plus démunis à payer leurs factures d’énergie, notamment de chauffage.

Dans le même temps, plusieurs propositions ont été envoyées à la Commission Européenne par des États membres comme la France, la Grèce, la République tchèque et la Roumanie appelant leurs partenaires européens à une coordination sur le sujet. Mais des pays comme le Luxembourg et les Pays-Bas, jugeant que la hausse des prix est liée à la relance post-Covid, préfèrent laisser le marché s’autoréguler.

Concernant les réponses à moyen terme, la Commission met en avant une intensification de la transition climatique, identifiée comme la meilleure solution pour éviter de nouvelles flambées des prix. De façon plus détaillée, elle a programmé sept initiatives possibles. Le Conseil européen se saisira de ces questions lors sa réunion au mois de décembre, où, de plus, la Commission devra lui présenter des propositions relatives à l’achat et au stockage communs de gaz naturel, afin d’obtenir des prix plus avantageux.

Quel que soit son pays, le citoyen est toujours prêt à s’enflammer pour préserver son accès à l’électricité. Ici en Flandre, en 2017. Photo Solidaire

L’effet du pacte vert

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Dans la cadre du Pacte vert européen, la lutte contre les rejets de gaz à effet de serre dans l’atmosphère occupe une place centrale, et la taxation des émissions de CO² en est l’arme essentielle. Parvenir à une réduction des émissions de 55% d’ici 2030 implique de taxer les secteurs de l’aviation et du transport maritime, et de créer, à partir de 2026, un mécanisme pour le transport routier et le secteur du bâtiment.

Pour donner un ordre de grandeur, les prix du carbone au début de l’année se situaient en Europe à environ 30 €. En suivant la hausse des prix de l’énergie, qui pousse à la recherche de la diversification des sources et donc, dans certains cas, à la mise en marche des centrales à charbon, le prix de la tonne de CO² a été doublé au cours de l’année, dépassant fin septembre 65 €. Les effets de la hausse du prix du carbone devraient être à terme compensés par la mise en place d’un Fonds social pour le climat, financé par les revenus obtenus du marché du carbone du transport routier et du bâtiment.

Les prix de l’énergie, le coût de la transition, le rôle des marchés et les différentes stratégies nationales ont été au centre des débats de la COP 26 qui s’est tenue à Glasgow au début du mois. En Europe, des États membres, comme la Pologne, la Hongrie ou la République tchèque, remettent partiellement en cause les objectifs climatiques annoncés par la Commission. Certains organismes spécialisés comme l’Agence d’information sur l’énergie estiment que la consommation mondiale d’énergie primaire pourrait doubler entre 2020 et 2050, du fait notamment de la croissance économique et démographique.

Le secteur de l’énergie est amené à relever de nombreux défis d’ordre économique et environnemental, technologique ou géopolitique. Dans ce contexte, des réponses communes à l’échelle européenne s’avèrent essentielles pour assurer la sécurité des approvisionnements, permettre l’accès à l’énergie pour tous, et réussir la transition écologique.

Extraits de Question d’Europe n°612
25 Octobre 2021

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(*) Ramona BLOJ a suivi le cursus étudiant Erasmus à l’Institut Catholique d’Études Supérieures, est diplômée en relations internationales de l’Université de Bucarest, diplômée de Sciences Po Paris. Elle est responsable des études de la Fondation Robert Schuman

La Fondation Robert Schuman, créée en 1991 et reconnue d’utilité publique, est le principal centre de recherches français sur l’Europe. Elle développe des études sur l’Union européenne et ses politiques et en promeut le contenu en France, en Europe et à l’étranger. Elle provoque, enrichit et stimule le débat européen par ses recherches, ses publications et l’organisation de conférences. La Fondation est présidée par Jean Dominique Giuliani. Elle est répertoriée dans la rubrique THINK TANK de la  Communauté Géopolitique, Économie, Défense et Sécurité.
Plus d’information sur son site : La Fondation Robert Schuman (robert-schuman.eu)


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