L’ETAT DU MONDE : UN NIVEAU DE MENACE TRÈS ÉLEVÉ
QUI IMPOSE UNE VIGILANCE EXTRÊME ET UN OUTIL MILITAIRE PERFORMANT.

Dominique Trinquand

Les événements récents ainsi que les tendances lourdes conduisent à une aggravation de la menace, en termes de diversité, 

de proximité et de lien avec la sécurité sur le sol national. 

En matière de protection et de défense, c’est le défi du terrorisme armé d’origine islamiste qui doit focaliser toute notre énergie. Par voie de conséquence, les zones géographiques qui doivent être priorisées sont dans l’ordre d’importance : l’Arc Méditerranéen (dont le Levant), le Sahel, l’Afrique sub-saharienne et le Golfe arabo-persique.

Dans le monde incertain tel qu’il va, s’il est une certitude, c’est qu’il bouge, et bouge toujours plus vite. Dans ce contexte mouvant, si l’on veut raisonner en termes de finalités avant de développer une stratégie de moyens et de ressources, la question primordiale qui se pose aux acteurs de la défense et de la sécurité est : « Quelle est la menace à prendre en compte ? »

Les attendus de cette réflexion peuvent se décliner selon trois axes :

Une vision claire de la situation internationale, actuelle et en devenir ;

– La définition de critères de choix, articulés autour de nos intérêts, de nos impératifs et de nos possibilités ;

– L’établissement de priorités stratégiques.

Depuis le dernier Livre Blanc, certaines tendances se sont confirmées, d’autres se sont inversées. Dans les lignes qui suivent seront énumérées les évolutions sur le court terme, qui pour certaines sont déjà en cours, et les tendances de moyen terme qui préparent un avenir encore plus incertain.

A court terme : une menace caractérisée par sa gravité, sa probabilité d’occurrence croissante, son imprévisibilité, sa proximité et la diversité de ses modes d’action.

L’Arc méditerranéen (Maghreb, Machrek, Proche-Orient, Turquie) est la zone qui présente l’évolution la plus inquiétante, même si elle est assez inégale : à côté de pôles de stabilité relative (Algérie, Maroc, Egypte), d’autres secteurs sont devenus des « vides politiques » (Etats faillis ou défaillants) susceptibles de constituer un danger pour leur environnement (Libye), tandis que l’absence de solution à la question palestinienne crée une source permanente de conflit. L’évolution autoritaire du régime en Turquie conduit en outre à accentuer l’incertitude dans la zone. Cette région est marquée par deux phénomènes majeurs : la très forte pression migratoire et le terrorisme islamique, dont la manifestation la plus visible est l’irruption de l’Etat islamique en Syrie et en Irak. La Méditerranée, au lieu d’être un lien entre les trois continents, est devenue une frontière qui doit être surveillée.

Le Moyen-Orient (péninsule arabique, Iran) reste au coeur des enjeux énergétiques mondiaux. La chute du prix du pétrole, voulue initialement par l’Arabie Saoudite et entretenue par la crise, a des répercussions dans le monde entier et particulièrement dans des pays fragiles ; elle constitue un facteur d’incertitude majeur. L’immobilisme politique face aux évolutions sociétales constitue un autre facteur d’instabilité, que DAECH s’est mis en situation d’exploiter : celui de miser sur la fracture sociale, en l’habillant d’oripeaux religieux qui ne sont que les révélateurs d’un rejet de l’évolution libérale de nos sociétés. Phénomène que DAECH a l’ambition d’exporter sur notre sol… Enfin, on ne saurait passer sous silence l’antagonisme séculaire entre chiites et sunnites qui accroît la rivalité entre les deux grandes puissances régionales et constitue un facteur supplémentaire d’instabilité au sein même des Etats de la région.

En Afrique sahélienne et sub-saharienne, la pression démographique, la faiblesse des économies et l’immobilisme politique poussent une jeunesse désœuvrée à réclamer le changement. La zone est marquée par une double poussée : la progression de l’islam radical vers le sud et ses velléités d’expansion vers l’Europe via les flux migratoires. La présence historique de la France dans nombre d’Etats de cette zone la conduit à un soutien militaire contre le terrorisme et donc indirectement à un ciblage de la France par les Djihadistes.

Aux frontières orientales de l’Europe, on assiste à une réapparition de la pression militaire russe. Même si les pays d’Europe centrale, marqués par leur histoire récente se focalisent sur la menace venant de l’Est et sur la protection que l’OTAN peut apporter, il convient d’en relativiser le danger, car l’équilibre nucléaire va probablement continuer à jouer son rôle dissuasif. Si une agression directe ne semble donc pas envisageable, cette focalisation à l’Est distrait des ressources rares qui seraient bien utiles au Sud…

Sur le moyen terme : des tendances lourdes, démographiques, économiques, culturelles et politiques, qui induisent des aggravations des facteurs de crises ou de conflits.

En Afrique, la pression démographique est croissante, les économies restent mal assises, le développement est durement freiné par la chute des prix du pétrole et la mauvaise gouvernance continue à caractériser la majorité des Etats… Ce sont autant de facteurs d’instabilité durable.

La progression des BRICS, qui laissait espérer un relais de croissance et un modèle de développement nouveau, est en panne : le Brésil est en récession, la Russie résiste mieux, la Chine est au ralenti, la croissance est faible en Afrique du Sud, et l’Inde reste pénalisée par ses désordres sociétaux. L’espoir de voir ces pays devenir progressivement des pôles de stabilité régionaux s’estompe.

Au Moyen-Orient, l’évolution principale est le retour de l’antagonisme séculaire entre Perses et Arabes ; d’autant que le « jeu » pourrait être plus complexe si on y intègre d’éventuelles dérives de l’attitude Turque et l’éternelle question kurde. Le problème de l’accès aux ressources en eau va jouer un rôle croissant dans cette région.

Le rôle que voudront jouer les Etats Unis reste mal prévisible : après les échecs successifs en Irak et en Afghanistan, la politique américaine devrait logiquement évoluer vers le multilatéralisme ; toutefois les vieux réflexes de l’hyperpuissance sont toujours là et l’antagonisme entretenu envers la Russie ne laisse pas présager un horizon serein, avec la possible tentation d’instrumentaliser l’OTAN dans cette rivalité.

Enfin, l’augmentation des budgets de Défense, en particulier en Asie, n’est pas un signe positif pour la paix mondiale : les arsenaux militaires en cours de constitution dans certains pays finiront forcément par être utilisés pour nourrir les ambitions de leurs dirigeants.

Comment choisir « nos » menaces : les critères de choix d’engagement de la France.

Dans ce contexte marqué par l’incertitude et la diversité des menaces, il est illusoire pour une puissance moyenne comme la France de prétendre vouloir « tout traiter ». Il faut donc choisir les menaces dont on veut se prémunir, en raisonnant par rapport à nos intérêts et nos ressources, mais aussi en fonction de nos impératifs sur la scène internationale.

La France a en premier lieu des intérêts à préserver :

 la protection du territoire et des Français, en particulier face à un terrorisme qui frappe désormais à l’intérieur, lui imposant de le traiter à sa source, à l’extérieur,

 l’accès aux ressources énergétiques,

 d’importantes communautés de Français partout dans le monde,

 la francophonie…

Ensuite, la France a un certain nombre d’obligations à remplir, à divers titres :

 membre permanent du Conseil de Sécurité, elle est une référence pour celui-ci par son implication dans la gestion des crises, notamment africaines,

 membre de l’OTAN, elle a retrouvé un rôle et une place de poids au sein de l’Alliance,

 membre fondateur de l’UE, elle assume un rôle moteur dans la construction européenne,

 historiquement liée par des liens linguistiques et culturels avec de nombreux Etats africains, elle exerce encore une forte influence dans la région,

 entretenant un dispositif sans équivalent des forces françaises stationnées en Afrique, elle reste le seul pays capable de réactions immédiates sur le continent,

 assumant sur le territoire national la présence d’une forte population d’origine immigrée, elle ne peut rester à l’écart de certaines crises régionales.

Enfin, quelques critères de choix peuvent être énoncés pour limiter la liste des menaces à prendre en compte par la Défense, et éviter un éparpillement néfaste à l’efficacité, et inaccessible financièrement :

 la proximité, la probabilité d’occurrence et la gravité de la menace,

 la solidarité avec nos alliés,

 le lien de la menace avec la sécurité sur le sol national,

 … la menace « intérieure » paraissant être de plus en plus une menace « importée ».

 la faisabilité et l’utilité d’une action militaire éventuelle,

 l’ampleur des ressources nécessaires.

Des priorités à conforter : terrorisme et Méditerranée.

Deux priorités semblent aujourd’hui émerger.

En matière de protection et de défense, c’est le défi du terrorisme armé d’origine islamiste qui doit focaliser toute notre énergie, sous ses diverses manifestations (attentats sur le sol national, déstabilisation au Sahel, actions ciblées en Afrique centrale et de l’Ouest, anarchie totale en Libye, tentative de proto-Etat en Syrie et en Irak…). Dans une moindre mesure, les autres enjeux à prendre en compte sont : la pression migratoire au sud de l’Europe, la faillite des Etats, et la résurgence d’une rivalité d’influence à l’est de l’Europe.

Les zones géographiques où l’on doit prioritairement envisager d’engager les forces armées françaises sont dans l’ordre d’importance : l’Arc Méditerranéen (dont le Levant), le Sahel, l’Afrique sub-saharienne, le Golfe arabo-persique.

Ces deux défis majeurs, le terrorisme islamique, y compris dans sa version armée la plus aboutie sur le modèle de DAECH, et la maîtrise de l’espace méditerranéen élargi, déterminent à eux deux les aptitudes et les capacités principales dont il faut chercher à doter nos forces armées. Conclusion

Le constat est celui d’une aggravation de la menace, en termes de diversité, de proximité et de lien avec la sécurité sur le sol national. C’est aussi celui d’une plus grande incertitude : la menace devient de plus en plus imprévisible, et ses modes d’actions ont réintroduit le facteur de la surprise.

Le sentiment qui prévaut auprès de nos concitoyens est celui que cette menace n’est pas toujours prise en compte au niveau souhaité. Ils constatent trop souvent que, à défaut d’une vision sur le long terme et d’une réelle volonté de modifier des paramètres conduisant à une possible explosion, les gouvernements sont enclins à des réactions de court terme pilotées par l’émotion et par leurs agendas nationaux internes à connotation électorale. La focalisation sur « la dette » empêche de réfléchir aux missions régaliennes de l’Etat.

Les conflits armés étant l’horizon le plus probable qui lui soit offert, il appartient à la France de se donner les moyens nécessaires pour gagner la paix. « Si vis pacem para bellum ».

Par le général de brigade (2s) Dominique Trinquand
3 avril 2017

Cet article fait partie du dossier n°18 réalisé par Le Cercle de réflexions du G2S

«  Recommandations concernant la Défense aux candidats à la future élection présidentielle »

Consultable sur : http://www.gx2s.fr/

 Association selon la loi de 1901, le G2S est un groupe constitué d’officiers généraux de l’armée de terre qui ont récemment quitté le service actif. Ils se proposent de mettre en commun leur expérience et leur expertise des problématiques de défense, incluant leurs aspects stratégiques et économiques, pour donner leur vision des perspectives d’évolution souhaitables de la défense.

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