IRAN
UNE ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE EXEMPLAIRE !
Richard Labévière
Le président iranien sortant Hassan Rohani a été largement réélu dès le premier tour de l’élection présidentielle, vendredi passé. Il totalise 58% des suffrages avec 23,54 millions de voix et bat ainsi son principal adversaire, le conservateur Ebrahim Raissi qui obtient un taux de 38,5% avec 15,78 millions d’électeurs. Samedi, l’ayatollah Khamenei – le guide suprême de la révolution – s’est félicité d’une participation populaire exceptionnelle avec 73% des inscrits, soit 40 millions de votants. Il a déclaré : « celui qui a gagné ces élections, c’est le peuple d’Iran. La nation a voté et la sécurité a été garantie (…) Le nouveau gouvernement devra lutter contre la corruption et aider les catégories les plus faibles et défavorisées ». En insistant sur les progrès de l’unification du peuple iranien et de la « démocratie islamique », le Guide a appelé l’ensemble des Iraniens à soutenir l’action des nouveaux responsables. « Force nationale et sagesse internationale » conclut le Guide. L’Iran poursuit et consolide son retour dans le monde. Retours sur images.
Kermanshah, Paweh, Téhéran, 19 mai.
Les dernières pluies abondantes ont verdi les champs et les montagnes du Kurdistan, l’une des trente provinces d’Iran. Au sud de cette région frontalière de l’Irak, la ville de Kermanshah cultive ardemment le souvenir d’une bataille décisive de la fin de la guerre déclenchée par Saddam Hussein contre l’Iran (1980 – 1988). Soutenue et armée par Bagdad et les pays occidentaux, l’Organisation des moudjahiddines du peuple iranien (OMPI), dirigée par la famille Radjavi, a tenté une ultime percée dans la région.
En 1988, après l’entrée en vigueur du cessez-le-feu avec l’Irak, une colonne de blindés de l‘OMPI a été stoppée au col qui donne accès à Kermanshah. Baptisée Mersad (signifiant embuscade) par le gouvernement iranien, l’opération a opposé 7000 combattants de l’OMPI – soutenus par l’aviation irakienne – aux forces iraniennes du 26 au 30 juillet 1988. L’opération s’est soldée par un cuisant échec pour l’OMPI et les Irakiens. La passe montagneuse où les rebelles ont été neutralisés est aujourd’hui un lieu de pèlerinage où l’on vient de l’ensemble du pays pour honorer les martyrs qui ont défendu pied à pied « la terre de la patrie ».
S’ils aspirent à la reconnaissance d’une certaine autonomie, les Kurdes d’Iran – qui représente 9% de la population – votent majoritairement pour des candidats réformateurs. En redescendant du monument des martyrs vers le centre ville, les hommes en sarouels (pantalons bouffants) et ceinture d’étoffe s’assurent de l’identité des visiteurs étrangers. Parler directement politique serait mal venu, mais les portraits de Hassan Rohani, fraîchement placardés contre les murs, ne laissent aucun doute quant au soutien massif apporté au président sortant. « Reconduire le président sortant pour le prendre au mot et qu’il réalise enfin ses promesses représente certainement un choix par défaut mais vaut mieux qu’élire un religieux conservateur – haut fonctionnaire de justice – qu’on ne connaissait pas encore il y a six mois », explique discrètement l’un de nos accompagnateurs.
ROHANI PAR DEFAUT
Mêmes visages et sensations à Paweh, où un autre monument et d’autres tombes commémorent le souvenir des affrontements sporadiques mais encore réguliers contre les factions séparatistes du PJAK ( Parti pour une vie libre au Kurdistan ). Ici, on vote aussi pour Hassan Rohani, parce qu’ « on est Iranien et entièrement Iranien » affirme un chauffeur de taxi qui en rajoute un peu puisqu’on arrive au siège de la municipalité. En fait, estime un universitaire qui travaille sur les minorités du pays, « rien de comparable avec l’Irak, la Turquie ou même la Syrie. En Iran, la question kurde est relativement gérée et le problème des autres minorités – Azéris, Arabes et Baloutches -, majoritairement sunnites (au moins 15% de la population iranienne) ne donne pas lieu à un irrédentisme sérieux même si celles-ci sont sérieusement surveillées parce que leurs territoires se superposent aux zones d’extraction d’hydrocarbures et d’exportations maritimes de pétrole et gaz iraniens ».
Cela dit, poursuit le même interlocuteur, « les pauvres des campagnes, les gens condamnés à rejoindre la périphérie des villes pour y exercer des petits boulots sont les premières victimes de la rationalisation de l’économie engagée par Rohani. Ces déclassés peuvent être séduits par un vote conservateur visant à sanctionner les promesses d’une embellie économique qui – malgré des annonces répétées – n’a pas suivi la signature de l’accord concernant le programme nucléaire. Une levée partielle des sanctions internationales n’a pas produit la relance économique promise par Hassan Rohani et les critiques fusent contre „les classes moyennes urbaines pro-occidentales qui s’américanisent de plus en plus ».
FÊTES URBAINES
Retour à Téhéran. Avenue Vali-ye Asr est l’artère fémorale de Téhéran et de son agglomération dont la population dépasse désormais 12 millions d’habitants. Du nord au sud, l’avenue fonctionne comme un baromètre social. Au nord, du pied des contreforts de la chaîne de l’Elbourz au musée d’art Moderne du parc Laleh (centre ville), les beaux quartiers s’affichent entre ministères, universités et centres commerciaux. La journée, les grues de chantier balaient le ciel et rythment l’activité des sociétés, des banques, des administrations et le flux d’embouteillages exponentiels.
Avec le crépuscule, une noria de motos et voitures hérissée de drapeaux violets se met à sillonner les rues en klaxonnant. Des grappes de jeunes filles et femmes, aux voiles improbables, remontent l’avenue en piaffant comme des pies joyeuses. Ambiance sortie d’école et fête de diplôme, elles distribuent des portraits de leur candidat en scandant: « la jeunesse est pour Rohani » et » Raissi, c’est Reza Pahlavi! » (traduisez un retour à la dictature du Chah). Quelques motards du camp opposé apportent ponctuellement la contradiction avant qu’un cordon de policiers – en tenue légère et non armure anti-émeute – ne s’interpose fermement mais sans violence. Néanmoins, en dépit de quelques montées de fièvre sporadique, le climat reste très bon enfant, comme une sortie de match de football sans hooligans, atmosphère de 14 juillet ou de 31 décembre.
En descendant Vali-ye Asr vers le sud, les portraits de Rohani disparaissent progressivement. Quelques affiches de Raissi illustrent les carrefours des zones plus populaires : moins de commerces, moins de lumière, peu de grues. Le chauffeur de taxi peste contre les étudiants et la bourgeoisie des quartiers nord. Lui: « travaille presque 20 heures par jour et ne s’en sort pas pour nourrir sa femme et son gosse » alors pas question de voter comme les beaux quartiers et les « pro-américains ». Il faut « poursuivre la révolution islamique le plus fermement possible » lance-t-il enclenchant une compilation de Charles Aznavour dans la radio-cassette.
Retour et remontée vers le nord avec un autre chauffeur. Un portrait du guide Khameneï est scotché sur le tableau de bord: « bien-sûr je vote le Sayed Raissi parce que je travaille dur et que je ne veux pas devenir américain ». Les rues se sont vidées, laissant la place aux nettoyeurs municipaux qui restaurent la grâce des places et des jardins publics, très nombreux à Téhéran. Certains grognent contre ces gamins de la jeunesse dorée, transformés en autant d’agent électoraux de Rohani « qui salopent la ville », d’autres admettent que la campagne électorale ne leur procure pas plus de travail que les fêtes religieuse et le mois du Ramadan… Jeudi, jour de week-end, sera plus calme, les équipes de militants devant s’abstenir jusqu’à l’ouverture du scrutin.
FILES D’ÉLÉGANCE
Vendredi 19 mai. Les bureaux de vote – dans les écoles, les administrations publiques et les mosquées – ouvrent à 8 heures. Aussitôt, la télévision nationale a diffusé les images du Guide en train d’accomplir son devoir électoral dans un lieu non précisé, voulant – à l’évidence – donner l’exemple. 10 heures à l’école primaire de Sadeghiyet (nord-ouest). Une longue queue d’hommes endimanchés et de femmes élégantes – femmes et hommes mélangés – s’étire dans la cour. On commente les derniers soubresauts de la campagne, le débat des six candidats (quatre se sont maintenus), qui a été inhabituellement dur et polémique, notamment sur la question des enrichissements personnels…
« L’élégance de rigueur est d’autant plus soignée » explique un fin connaisseur de la vie politique iranienne, qu’ »en ville la majorité des femmes qui travaillent cherchent à s’affranchir des contraintes vestimentaires pour, non pas singer la femme occidentale, mais tout simplement pour mieux respirer et signifier qu’on peut être croyante, pratiquante et nationaliste iranienne sans forcément adopter un uniforme rigide, triste et très peu adaptée aux contraintes de la vie urbaine “.
Même élégance aussi dans le métro, très propre, où les vendeurs de chaussures et de couvertures traversent les groupes en discussion. Sur la ligne qui mène au Bazar, activités et trafics ressemblent à ceux des jours ouvrables, mais avec une affluence plus dense. Les parcs du centre ville se peuplent de familles s’apprêtant à pique-niquer. Le grand Pont de la nature qui enjambe l’autoroute périphérique, lui aussi se remplit de promeneurs puisque les locaux de vote sont toujours encombrés et que l’ouverture va sans doute être prolongée jusqu’à minuit.
Mosquée Ebne Zahra (nord-ouest), 23 h 30. La femme responsable du local de vote nous invite à prendre un thé. A l’intérieur, si hommes et femmes votent séparément, tout le monde se retrouve à l’entrée autour d’un thé. Une discussion s’engage avec un groupe de jeunes Bassidj (volontaires de force paramilitaire) qui regrettent le temps de Mahmoud Ahmadinejad qui fut président de la République de 2005 à 2013. Les échanges se propagent au groupe de policiers qui assurent la fluidité des entrées et des sorties: » ils sont marrants les jeunes qui réclament plus de rigueur, de fermeté…Quand ils l’ont, ils font la tête et protestent. Ensuite, ils sont nostalgiques… Faudrait savoir ce qu’ils veulent vraiment » estime le capitaine qui commande l’unité en ajoutant : » une chose est sûre : l’attitude des Etats-Unis et d’Israël pèsent fortement sur cette élection. Les gens redoutent une nouvelle guerre ».
LE GUIDE A GAGNÉ SON PARI
Samedi midi: l’affaire est entendu! Rohani est réélu avec une avance imposante, plus de vingt points d’avance – environ 7 millions d’électeurs -, même s’il y a eu plus d’un million et demi de vote annulés pour vice de forme. « Depuis l’accord sur le dossier nucléaire, l’Iran a retrouvé une meilleure image sur le plan international » explique un politologue du Centre de recherche New Horizon, « mais en faisant de la levée des sanctions sa marque de fabrique, il a promis le paradis et – bien évidemment – beaucoup déçu ». Comment se fait-il alors qu’il n’ait pas été sanctionné davantage? « Parce que les gens ont effectivement eu peur d’une nouvelle guerre. En reconduisant Rohani, ils ont eu le sentiment de contracter une assurance vie » Il est vrai que la continuité réduit les surprises ! Evoquant Donald Trump, le politologue estime « qu’un seul fou est bien suffisant et qu’il ne s’agissait surtout pas de le défier, même par les urnes ».
D’un autre côté, rétorque son collègue, le nouveau gouvernement Rohani devra changer de tactique et de style: répondre à la demande sociale et ne plus baisser la garde devant les Américains « .
Le Guide avait prévenu: « accord sur le nucléaire mais que sur le nucléaire « , les autres dossiers pendants – Syrie, Yémen et Bahrein notamment – étant loin d’être résolus. Ce rappel des lignes rouges n’implique pas forcément -on peut l’espérer- une nouvelle guerre avec les Etats-Unis ou Israël. Le président américain qui vient d’arriver en Arabie saoudite a bien d’autres préoccupations : tordre le bras des Wahhabites pour qu’ils lâchent les terroristes de l’organisation « Etat islamique » ; garantir et sécuriser le retour des pétrodollars pour l’investissement domestique aux Etats-Unis ; enfin, officialiser la réconciliation Riyad/Tel-Aviv afin de relancer un processus de négociation entre Israéliens et Palestiniens.
Sur ce dernier dossier, Donald Trump n’agit pas en politique mais en homme d’affaires, cherchant avant tout à réussir là même où son prédécesseur a échoué. En cherchant aussi à aider les Saoudiens à sortir de leur enlisement Yéménite, le président américain veut montrer aux Russes qu’il tient ses alliés et qu’il est prêt à faire preuve de la même rigueur sur le dossier syrien, en vue de collaborer à l’instauration d’une espèce de Yalta proche et moyen-oriental. Comme celle d’Obama, la nouvelle administration américaine nourrit – elle-aussi – l’illusion de détacher Moscou de Damas… Le jour n’est pas venu, tant s’en faut ! En définitive, Washington cherche sans doute à réduire l’influence de l’Iran, qui, d’une manière presque géométrique, est en train de redevenir la puissance régionale dominante au grand dam de la Turquie.
Pour une normalisation avec l’Arabie saoudite, ce sera une autre paire de manches. Souvent cité sur ce dossier, l’ayatollah Khomeini avait coutume de dire que « la crise du Hedjaz1 (appellation évitant de qualifier l’Arabie de « saoudite » du nom de la famille régnante), se réglerait bien après celle de l’entité sioniste ». Par conséquent, à Téhéran, chacun s’accorde à reconnaître l’importance de la visite saoudienne de Donald Trump. Celle-ci n’aura pas que des conséquences économiques mais ouvrira des perspectives géopolitiques « nouvelles » ; ce qui ne signifie pas qu’elles seront forcément constructives…
En attendant, le plus grand gagnant du scrutin est le Guide de la révolution Ali Khamenei : il a su mobiliser son peuple pour une élection présidentielle qui pourrait servir de modèle à bien des pays. On n’ose justement songer à l’Arabie saoudite, grande démocratie-témoin, comme chacun sait ! Le guide a su rester dans sa fonction de superviseur et d’arbitre impartial animé par les seuls intérêts de l’Iran. Enfin, ayant gagné son pari de mobiliser une grande majorité d’Iraniennes et d’Iraniens, il incarne – lui-aussi – de fait, un Iran plus mature qui revient inexorablement sur la scène internationale.
Richard Labévière
1 Le Hedjaz est la région ouest de la péninsule arabique, comprenant notamment les provinces de Tabuk, Médine, La Mecque et Al Bahah ; sa principale ville est Djeddah, mais les cités les plus connues sont les villes de La Mecque et Médine.