Diplomatie : Du vouloir au pouvoir.
Une ardente obligation
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Vincent Gourvil (*)
Pseudonyme d’un haut fonctionnaire
Docteur en sciences politiques
Alors que les principes même de la diplomatie, au sens noble du terme, semblent s’évanouir sous le poids de la médiocrité de divers politiques contemporains, l’auteur en rappelle les règles inhérentes autant que fondamentales.
« Pour réussir, retenez bien ces trois maximes : Voir, c’est savoir ; vouloir, c’est pouvoir ; oser, c’est avoir » (Alfred de Musset). S’il y a bien une qualité que l’on doit reconnaître au président de la République, c’est son volontarisme. Depuis sa prise de fonctions (14 mai 2017), Emmanuel Macron est omniprésent sur la scène internationale. Il ne se satisfait pas du statu quo que semblent privilégier ses homologues étrangers. Il est désireux de secouer les conformismes, de faire bouger les lignes. Pour parvenir à ses fins, il pratique avec constance le magistère de la parole, la diplomatie déclamatoire. Le déclamatoire relève d’une vocation française ancienne qui incite nos dirigeants à mettre l’accent sur le vouloir dans la détermination de leur posture internationale. Pour nécessaire qu’elle soit, cette approche n’en est pas pour autant suffisante tant la dimension du pouvoir – au sens de la capacité, de la possibilité de faire quelque chose – est indispensable. Et, elle fait souvent défaut.
LE VOULOIR : LA PROMESSE DES MOTS
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En dépit de sa détermination revendiquée, les résultats de l’action extérieure d’Emmanuel Macron sont disparates.
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Une détermination revendiquée : la diplomatie du coup d’éclat permanent
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Alors que l’on nous présente Emmanuel Macron comme l’archétype du président de la République « disruptif », ne se situerait-il pas dans le sillage d’une tradition française relative à de la sphère de la politique étrangère ? Comment appréhender la tradition d’une France fidèle à sa vocation de passeuse d’idées, d’une « France embêteuse du monde » ? Celle d’une France giralducienne au sens de l’un de nos plus célèbres diplomate-écrivain, décédé en 1944. La réponse à cette question nous est donnée par Jean Giraudoux lorsqu’il fait dire à l’un de ses personnages de L’impromptu de Paris, pièce datée de 1937 : « Permets-moi de te dire que c’est sur ce point que tu as tort. Laisse-moi rire quand j’entends proclamer que la destinée de la France est d’être ici-bas l’organe de la retenue et de la pondération ! La destinée de la France est d’être l’embêteuse du monde » [1].
À relire ce texte, ne croirait-on pas découvrir une série d’anticipation consacrée aux linéaments de la politique étrangère d’Emmanuel Macron et à celle de sa déclinaison diplomatique par la Maison des bords de Seine ? Une démarche marquant sa volonté sans faille, son énergie à obtenir qu’il en coûte un résultat par une inflation de discours. Ce qui est la définition que donne le Petit Larousse de vouloir. Emmanuel Macron porte une diplomatie du panache destinée à jouer les éclaireurs d’un monde meilleur sans s’attacher à son efficacité. Il ne se passe pas une semaine sans que le président ne propose une nouvelle idée, une nouvelle conférence (Cf. sur l’intelligence artificielle en février 2025) … le plus souvent sans concertation préalable avec ses principaux partenaires.
Dès sa prise de fonctions, Emmanuel Macron prend à bras-le-corps les sujets internationaux quitte à marginaliser le Quai d’Orsay. Ce qu’il assume en obtenant la dissolution du corps diplomatique. Il assume son volontarisme pour traiter problèmes régionaux et universels. Nous nous en tiendrons à deux exemples. Dans son discours de la Sorbonne (26 septembre 2017), il propose une refondation du projet européen. Avec son entretien à The Economist (7 novembre 2019), le chef de l’État s’alarme de la « fragilité extraordinaire de l’Europe », qui « disparaîtra » si elle « ne se pense pas comme puissance dans ce monde ». « Je ne crois pas dramatiser les choses, j’essaye d’être lucide » souligne-t-il. Crime de lèse-atlantisme, il déclare que « Ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’OTAN ». Et, l’on pourrait multiplier ses propositions de réforme de la gouvernance mondiale et ses projets de résolution des grandes crises pendantes. Mais, les résultats ne sont pas au rendez-vous.
Des résultats disparates : la diplomatie des illusions perdues
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Emmanuel Macron est hyperactif. À chaque problème, il possède la solution tel un magicien qui sort un lapin de son chapeau. Il est une sorte de Deus ex machina dans un monde en transition, complexe, imprévisible qui va de sidérations en surprises stratégiques et qui redécouvre que l’Histoire est tragique. N’est-ce pas le moment opportun pour mettre en œuvre la trilogie qui a fait ses preuves dans le passé ? Comprendre le monde d’aujourd’hui pour anticiper celui de demain afin de mieux s’y préparer. Voir, tenter de l’orienter dans le sens de l’intérêt général sans omettre notre intérêt bien compris. Tel n’est pas le cas au regard des objectifs fixés qui sont hors de portée.
Huit ans après la prise de fonctions d’Emmanuel Macron, les résultats escomptés sont loin d’être atteints. La liste de ses revers est impressionnante. Il n’est pas parvenu à réveiller la Belle au bois dormant qui a pour nom Union européenne. Au contraire, celle-ci est plus que jamais frappée d’inertie et de sidération face aux défis du XXIe siècle. L’OTAN se porte comme un charme contrairement au diagnostic inquiétant qu’il avait porté en son temps. Avec la Russie, le chef de l’État ne réussit pas à s’imposer en médiateur du conflit avec l’Ukraine. Au Maghreb, la réconciliation avec le Maroc s’effectue au prix d’une brouille avec l’Algérie. Qui plus est, la politique de repentance permanente pour les « crimes » passés se retourne en boomerang contre son défenseur. La France est évincée de ses bastions traditionnels en Afrique de l’Ouest. Elle n’a plus de politique en Afrique. Au Proche et au Moyen-Orient, la voix de notre pays est inaudible et peu crédible (Cf. la diplomatie jupitérienne théâtrale au Liban). En Asie, l’on peine à trouver les lignes directrices d’une diplomatie cohérente. In fine, la France n’apparaît plus comme une puissance moyenne d’équilibre surtout au regard de sa situation intérieure, politique et financière.
Les mots seuls ne parviennent pas à régler les problèmes. Pourquoi ? Vouloir et pouvoir ne sont pas toujours au rendez-vous. Le second fait souvent défaut alors qu’il devrait épauler le premier.
LE POUVOIR : L’EXIGENCE DES ACTES
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« C’est être malheureux que de vouloir et de ne pouvoir » (Blaise Pascal). Comment mieux résumer l’exercice périlleux auquel se livre le président de la République ? Il ressemble à la solution improbable de la quadrature du cercle. Emmanuel Macron découvre-t-il que le pouvoir est la condition du vouloir. Faute de quoi, il doit lutter contre les obstacles qui se dressent sur son chemin de réformateur du monde d’hier, de facilitateur de solutions pour crises actuelles. Ces obstacles expliquent les raisons (internes et externes) de nombre de ses insuccès.
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Des raisons internes : la diplomatie solitaire
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Certaines raisons tiennent à la méthode du chef de l’État. Impréparation, précipitation, improvisation dans la présentation de certaines de ses initiatives, arrogance vis-à-vis de certains acteurs incontournables, personnalisation prononcée de ses démarches, défaut d’humilité … constituent le marqueur de la diplomatie macronienne. À trop vouloir embrasser, l’hyperprésident mal étreint. Plus importantes sont les raisons qui résultent de l’incapacité d’Emmanuel Macron à dessiner une perspective, à l’incarner, à prendre de la hauteur. Ce cocktail de handicaps contribue à lester, dès l’origine, nombre de ses propositions. Une conduite réaliste et efficace de la politique étrangère (le long terme) et de la diplomatie (le court terme) suppose une combinaison harmonieuse de savoirs et d’expériences.
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Des raisons externes : la diplomatie paralysée
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D’autres raisons tiennent aux caractéristiques de l’environnement international actuel : complexité, imprévisibilité, retour de la puissance, poussée de la conflictualité, crise du multilatéralisme, retour au protectionnisme, défiance … En un mot, la gouvernance internationale portée sur les fonts baptismaux après la Seconde Guerre mondiale est remise en cause, y compris et surtout, par son principal géniteur, les États-Unis. Avant de quitter ses fonctions de chef d’état-major particulier du président de la République, l’amiral Bernard Rogel livre un regard lucide sur le monde : « Nous sommes rentrés, partout et pas seulement là, dans la logique du fait accompli et de la contestation des traités internationaux. Le multilatéralisme est en train de se déliter. C’est très dangereux. Quand plus personne ne respecte les règles, cela conduit à des conflits ».
Dans ces conditions, il paraît impossible pour un seul État – y compris la France – de parvenir à constituer une masse critique pour entraîner la majorité dans la direction qu’il souhaite. Vouloir ne signifie pas pouvoir dans la vie internationale. Le chef de l’État en fait l’amère expérience au fil du temps à tel point que la voix de la France est de moins en moins attendue, écoutée, y compris dans des Etats qui étaient sensibles à l’originalité de la diplomatie gaullo-mitterrandienne. Comme se plaisait à le rappeler l’ambassadeur Paul Cambon : « On peut définir la diplomatie comme l’art de lutter avec insuccès contre la force des choses ». Mais, point trop n’en faut !
DES LIMITES DE LA DIPLOMATIE SAUTILLANTE !
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« Qui ne fait pas quand il peut, ne peut pas quand il veut » (proverbe français). Le bon sens véhiculé par les adages constitue une leçon utile. Nul ne conteste la revendication de la France à peser sur la scène mondiale. Comme le rappelle Pierre de Coubertin : « l’important dans la vie, ce n’est pas le triomphe mais le combat ; l’essentiel ce n’est pas d’avoir vaincu mais de s’être bien battu ». Mais pour parvenir à ces objectifs, la méthode est aussi importante que le fond. En diplomatie, l’exécution importe souvent plus que la conception. Rien ne peut se ramener à une formule mathématique miracle. Il faut se confronter au réel. Une démarche internationale n’a de chance de succès que si elle est pensée, exécutée dans le temps et dans l’espace avec constance. Ce qui fait défaut à la diplomatie jupitérienne. Le vouloir sans le pouvoir tourne à l’incantatoire. Pour imposer ses vues diplomatiques, une ardente obligation n’est-elle pas de conjuguer vouloir et pouvoir ?
Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur.
[1] Jean Giraudoux, L’impromptu de Paris, pièce en un acte, 1937, pp. 67-68.
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(*) Vincent Gourvil est le pseudonyme d’un haut fonctionnaire, par ailleurs Docteur en sciences politiques. |
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